Faustin Linyekula: la danse sur les ruines de la guerre


Mardi 9 Juillet 2013 - 13:35
AFP - Marie-Pierre FEREY


Avignon - La danse est pour Faustin Linyekula une "nécessité intime" autant qu'un geste citoyen: il s'acharne à construire à Kisangani, en RDC, un centre de formation et de création, "parce qu'on ne va pas passer toute notre vie à blâmer nos pères pour l'état de ruines qu'ils nous ont laissé".


Faustin Linyekula: la danse sur les ruines de la guerre
Au festival d'Avignon (sud de la France), il crée "Drums and digging", conçu dans la cour d'une maison de Kisangani, dans ce nord-est de la République démocratique du Congo dont il est originaire.

"Ca part d'une nécessité intime: j'ai besoin de vivre là", explique-t-il, "et comme il n'y a pas d'infrastructure, il faut les créer, alors je le fais".

Linyekula, né en 1974 au Zaïre, aujourd'hui RDC, a dû quitter son pays et ses troubles politiques, pour le Kenya où il fonde la première compagnie contemporaine de danse de Nairobi. Puis il veut rentrer au pays et crée à Kinshasa les studios Kabako en 2001, qu'il décide de transférer à Kisangani en 2006.

Un choix politique: "tout est centralisé au Congo, hors Kinshasa, il n'y a pas de salut, hors chef de l'Etat, pas de salut!" lance-t-il.

C'est non pas un centre, mais trois lieux qu'il veut implanter: "un lieu de résidence d'artistes dans un quartier à la périphérie de la ville, un lieu qui soit comme un théâtre, et un troisième lieu qu'on dit citoyen, parce qu'il est dans le quartier le plus pauvre de Kisangani, le plus abandonné par les pouvoirs publics: il y a près de 200.000 personnes qui habitent là-bas et même pas d'eau courante".

"On a un projet architectural qu'on a commencé, on a les fondations, on le fait sur fonds propres, ça prendra du temps, peut-être quinze ans", prévoit-il.

Cercle

"En attendant on est installé dans une cour, où vivent trois autres familles. On a déjà un public avant de monter le spectacle!" sourit-il.

"Drums and digging" a été créé dans cette cour, et "au bout d'une semaine, les enfants en connaissaient toutes les chansons par coeur".

"Une ville en ruines, finalement, offre beaucoup de possibilités", constate Faustin Linyekula, sans se laisser décourager par le manque total de soutien des autorités.

Les interprètes de "Drums and digging", chanteurs, danseurs et musiciens, ont travaillé sur l'image du cercle, de la communauté. "Quand je vois un cercle dans un village, je me dis que le monde devrait être comme ça. C'est impossible, mais on peut au moins recréer le cercle pendant 1h30".

"Si le cercle existait, il n'y aurait pas toute la violence, parce que depuis 1996, il y a eu plus de 3 millions de morts, et ça continue, ce n'est pas fini ... le cercle c'est un souvenir, c'est un rêve".

Un constat qui ne vaut pas seulement pour l'Afrique: "En France, c'est juste aussi cassé", remarque-t-il, "il suffit d'ouvrir les journaux une demi-heure pour comprendre que ++liberté égalité fraternité++ c'est un idéal".

"Une fois qu'on a constaté ça, qu'est-ce qu'on fait?": Faustin Linyekula croit à la "responsabilité des individus".

"La notion de responsabilité est essentielle: on ne va pas passer toute notre vie à blâmer nos pères pour l'état de ruines qu'il nous ont laissé, ou à blâmer l'ex-colonisateur, ou plutôt le colonisateur, parce que ça continue".

Alors il construit un décor éphémère, fragile construction de bambous qui recrée la cour de Kisangani, et il forme un cercle.

("Drums and digging", du 9 au 16 juillet au Cloître des Célestins à Avignon, diffusé en direct sur Arte le 13 juillet à 22H20).


           

Nouveau commentaire :

Actus | Economie | Cultures | Médias | Magazine | Divertissement