Le Sudan bookshop, une librairie qui raconte l'histoire du pays


Mercredi 15 Février 2012 - 11:32
AFP


Khartoum - Certains livres croupissent là depuis un demi-siècle, témoins d'une vie culturelle qui a connu des jours meilleurs: dans le Sudan bookshop, probablement la plus ancienne librairie du Soudan, c'est toute l'histoire du pays qui a sédimenté sur les rayonnages.


Le Sudan bookshop, une librairie qui raconte l'histoire du pays
Il se passe parfois trois semaines sans qu'un seul livre ne soit vendu, selon El Tayeb Mohammed Abdel Rahmane, 62 ans, qui tient l'affaire depuis des décennies.

Mais la fermeture n'est pas envisageable pour cette vénérable institution née il y a 110 ans dans une petite rue du centre de Khartoum remplie de détritus.

Le Sudan bookshop, ouvert en 1902 selon des documents que M. Abdel Rahmane a pu consulter, a été tenu par trois commerçants britanniques, puis repris par des Soudanais à la fin des années 60.

Il reflète la "culture du livre" qui prévalait dans le pays sous la colonisation britannique, puis égyptienne, et dans les premières années qui ont suivi l'indépendance en 1956, estime l'historien Abdoullah Ali Ibrahim.

"Dans cette ville, les librairies tenaient le haut du pavé. Maintenant, ce sont les restaurants et tous ces lieux commerciaux très agités", déplore-t-il, évoquant la présence dans les années 60 de quatre grandes librairies anglaises dans le centre de Khartoum, près du Nil, qui ont depuis disparu ou dépéri.

A la grande époque, les livres en anglais et la papeterie étaient importés de Londres, et les livres en arabe du Liban et d'Egypte, raconte M. Abdel Rahmane, qui se souvient avoir aussi exporté des livres soudanais vers l'Europe et d'autres pays d'Afrique.

"En ces temps-là, les dirigeants gouvernementaux venaient ici pour lire ou acheter des livres", se souvient-il.

- vintage -

Aujourd'hui, la librairie de trois étages tient plus du musée: près de la porte d'entrée se trouvent des livres en anglais, dont un manuel de cricket publié en 1965, un essai sur "Le problème de l'Union soviétique dans le monde arabe" et des éditions de poche antédiluviennes du "Livre de la Jungle". On trouve aussi une édition du "Nouveau semestriel hongrois" de l'hiver 1975 et des exemplaires du magazine "Sudan Now" vieux de dix ans.

M. Abdel Rahmane souligne qu'il vend aussi des dictionnaires et livres universitaires plus récents, ainsi que des livres en arabes, plus nombreux.

La papeterie est d'époque: agendas de 1988, nettoyant pour machines à écrire, et carnets de facture vintage.

La librairie ne rapporte pas assez pour payer les factures de téléphone et d'électricité --sans compter le faramineux loyer de 9.000 livres soudanaises (1.800 dollars).

Son avenir n'est guère enviable: le revenu réel de la population a plongé, notamment depuis la partition du pays en juillet, et le taux d'alphabétisation du pays ne dépasse pas les 61% selon l'ONU. L'anglais a en outre été marginalisé par le régime islamiste au pouvoir depuis 1989.

"Autrefois, il y avait des études très sérieuses de littérature britannique, Shakespeare, Shaw et tous ces gens. Tout ça, c'est fini" déplore le professeur Ibrahim, candidat déçu à la présidentielle en 2010.

Finies aussi les "grandes idées" du nationalisme, du socialisme et du marxisme qui ont permis au commerce du livre de prospérer jusque dans les années 60.

Mais Abdel Rahmane le libraire souligne que ses clients lui demandent de "faire de son mieux" pour garder ouvert le magasin qui reste "très connu", et qu'il a dû fermer temporairement pour cause de maladie.

"Moi, Tayeb Abdel Rahmane, je crois qu'il n'y a rien de mieux que le livre", lance-t-il, déterminé à maintenir le lieu en vie.


           

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