Le régime algérien mis à nu


Jeudi 29 Janvier 2009 - 11:49
Cyberpresse.ca


Après deux années en prison pour crime de lèse-majesté, l'un des plus célèbres opposants politiques algériens, Mohamed Benchicou, directeur du principal quotidien de l'opposition à Alger, Le Matin (désormais interdit par le pouvoir), dénonce, dans un nouvel essai percutant qui vient de paraître, le régime algérien.


Le régime algérien mis à nu
Mais aussi son président Abdelaziz Bouteflika, une « créature du despotisme arabe qui compte persuader le peuple de ne pas se passer de lui ». Notre journaliste Gilles Toupin a rencontré le célèbre journaliste à Paris, où il vit un exil forcé.

Vous connaissez le Territoire des frères Ali Gator ? Vous connaissez la Joumloukia (néologisme tiré de l'arabe qui signifie républimonarchie) démocratique et populaire d'Aligatorie ? Certes, ce sont deux expressions ironiques mais fort représentatives de ce qu'est l'Algérie d'aujourd'hui, un pays dirigé par « un régime politique archaïque et de pouvoir absolu, fardé en démocratie ».

C'est l'une des plumes les plus agiles et les plus acerbes d'Algérie, celle de Mohamed Benchicou, qui manie ainsi la dérision et l'humour. Dans Journal d'un homme libre, qui vient de paraître aux éditions Riveneuve, il décrit la régression de son pays, aux prises avec une dictature plus soucieuse de confisquer à son profit la rente pétrolière que de veiller à l'épanouissement démocratique et économique de sa population.

« En Algérie, précise Mohamed Benchicou, un mandat d'amener a été délivré contre moi pour un texte soi-disant diffamatoire écrit il y a près de 20 ans... Je ne sais même pas de quoi il s'agit ! Je ne peux rentrer sans risquer la prison. Je ne vais pas jouer au héros... »

Comme le principal intéressé pouvait s'y attendre, Journal d'un homme libre - un témoignage explosif et dérangeant - est interdit en Algérie.

Ce n'est pas d'hier que Mohamed Benchicou s'insurge contre la dictature de son pays et la fracture sociale, politique et idéologique qui le caractérise. Son précédent ouvrage, Les geôles d'Alger (2007), a également été interdit. Le journaliste chevronné y raconte « l'enfer derrière les murs de la prison » d'El-Harrach, terrible pénitencier où il a été incarcéré de juin 2004 à juin 2006. La justice algérienne, « le bras armé du système », écrit-il, l'avait reconnu coupable d'avoir sur lui des bons de caisse lors d'un départ pour l'étranger, un délit qui n'existait même pas à l'époque dans le code pénal algérien.

Son emprisonnement dans des conditions moyenâgeuses fut en vérité un geste politique destiné à le briser et à donner l'exemple à ceux qui auraient la malencontreuse idée de critiquer le régime. Mohamed Benchicou avait eu le tort, aux yeux de la Joumloukia, de publier L'imposture (2004), un autre brûlot qui dresse un portrait dévastateur du président Abdelaziz Bouteflika.

Mais la prison n'a pas brisé l'opposant. « N'ayez pas peur de leurs prisons », lance-t-il à sa sortie du pénitencier en juin 2006. Ses compagnons de geôle, souvent de petites gens des quartiers populaires d'Alger, lui ont enseigné le génie de tourner en ridicule la gravité carcérale. Ce sont ces mêmes compagnons - qui surgissent à tout bout de champ dans Journal d'un homme libre pour le ramener à la rigueur de son propos - qui lui ont appris à théâtraliser et à caricaturer le malheur de son pays, « l'immensité du déclin », à mettre en scène les frères Ali Gator et les tribus des Têtes-képis (l'armée) et des Têtes-nues (les dirigeants politiques mis en place par l'armée).

Syndrome de la grenouille

Or, raconte Benchicou, « il arrive au Tête-nue parachuté chef de l'État d'être frappé du syndrome de la grenouille et, s'imaginant bœuf, de prendre son titre au sérieux. Au premier caprice, il est alors déménagé dans une gentilhommière secrète pour une vingtaine d'années ou dans l'au-delà... pour toujours ».

Mohammed Benchicou ne nomme jamais comme tel dans son livre le président Bouteflika ; il le surnomme, par dérision encore, Kaiser Moulay, deux termes qui font référence à la royauté. Kaiser Moulay est donc atteint du syndrome de la grenouille. Il veut écarter les militaires de son chemin, changer la Constitution pour se payer un troisième mandat, voire une présidence à vie, encourager l'obscurantisme des islamistes (qui ont fait plus de 150 000 victimes) et combattre la laïcité. Il met même de l'avant un pacte de réconciliation nationale dont personne ne veut, pas même les islamistes, et surtout pas les familles des victimes.

Il va jusqu'à rêver du prix Nobel de la paix 2006 pour légitimer son entreprise aux yeux de la communauté internationale. Ce sera un fiasco, raconte Benchicou. On ne donne pas le prix Nobel de la paix, fait-on savoir au chef de l'État, à quelqu'un qui emprisonne sept journalistes et libère 5000 terroristes sous prétexte d'amnistie et de réconciliation nationale. «On n'honore pas un homme qui étouffe sa propre société», résume le journaliste.

Image falsifiée

Ainsi l'idée ou l'image que l'on nous présente de l'Algérie au Canada et ailleurs en Occident, insiste l'écrivain, est-elle « une image falsifiée ».

« Cette image, explique à La Presse Mohamed Benchicou, est élaborée par des ethnologues politiques, avec l'aval des principales puissances mondiales. Elle consiste à normaliser la dictature en l'alignant sur les critères de légitimité occidentale. Cette dictature organise des élections qui ne changeront rien. Les élections lui assurent une légitimité; elles sont même organisées en présence d'observateurs internationaux. Les résultats sont truqués. Mais ce n'est pas grave... La presse en parle. Il y a des partis de l'opposition, mais ce sont des partis de fonctionnaires; ils n'ont absolument aucune emprise sur la politique. Mais ça permet de dire qu'il y a une opposition. Il y a un Parlement, un Parlement bidon, que personne n'a élu. Et ça permet de dire qu'il y a un Parlement et un régime parlementaire. »

La lecture du Journal d'un homme libre est un antidote sûr contre une certaine naïveté occidentale - en particulier chez les hommes politiques canadiens - face à la véritable nature du territoire des frères Ali Gator.
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Journal d'un homme libre, par Mohamed Benchicou, Éditions Riveneuve, Paris, 2008, 382 pages.


           

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