Les jihadistes à l'assaut du patrimoine irakien


Vendredi 6 Mars 2015 - 18:18
AFP


Les condamnations se sont multipliées vendredi après une nouvelle attaque du groupe jihadiste Etat islamique contre le patrimoine irakien: la destruction au bulldozer de la cité antique de Nimroud, l'Unesco dénonçant un "crime de guerre".


Les jihadistes à l'assaut du patrimoine irakien
 Après avoir réduit en miette des trésors archéologiques dans le musée de Mossoul (nord) la semaine dernière et mis le feu à sa bibliothèque, des hommes de l'EI sont entrés jeudi avec des bulldozers dans Nimroud, joyau archéologique inestimable du nord du pays, selon le ministère irakien du Tourisme.

"On ignore encore l'étendue des destructions" infligées à la cité pluri-millénaire construite sur les bords du Tigre, à une trentaine de kilomètres au sud-est de Mossoul, a indiqué à l'AFP un responsable sous couvert d'anonymat.

Mais l'Unesco a d'ores et déjà dénoncé "un crime de guerre", selon un communiqué de sa directrice générale Irina Bokova qui a saisi le Conseil de sécurité de l'ONU et la Cour pénale internationale.

L'EI justifie ces destructions en arguant que les statues favorisent l’idolâtrie. Mais selon plusieurs experts, les "idoles" si vivement dénoncées dérangent moins les jihadistes lorsqu'il s'agit de les vendre au marché noir. Ce sont les statues trop imposantes pour être transportées aisément qui sont détruites, estiment-ils.

- 'Tuer la civilisation' -

Le grand ayatolah Ali al-Sistani, la plus haute autorité chiite de l'Irak, a estimé que ces destructions étaient la preuve "de la sauvagerie, de la barbarie et de l'hostilité (des jihadistes) pour les Irakiens", dans un prêche prononcé par un assistant à Kerbala (centre).

"Leur projet, c'est de détruire le patrimoine irakien, site par site", explique Abdelamir Hamdani, un archéologue irakien de l'université Stony Brook de New York. "Maintenant, on attend la vidéo".

"Ce va être au tour de Hatra", a-t-il ajouté, en référence à une cité vieille de 2000 ans inscrite au patrimoine mondial de l'Unesco située à 100 km au sud de Mossoul.

La semaine passée, les jihadistes avaient mis en ligne une vidéo du saccage du musée de Mossoul, deuxième ville d'Irak qu'ils ont pris en juin 2014.

A Bagdad, rue Moutanabi, rendez-vous de l'intelligentsia, les condamnations étaient sur toutes les lèvres.

"Après avoir tué l'esprit, ils commencent à tuer la civilisation", dénonce Ibrahim Daoud, écrivain et poète. "Une civilisation considérée comme la fierté de l’Irak et du monde a été effacée en quelques minutes à peine", renchérit Adel Abdullah, employé au ministère de la Santé.

Nimroud est l'une des villes phares de l'empire assyrien, où ont été exhumés en 1988 plus de 600 bijoux, décorations et pierres précieuses, l'une des plus importantes découvertes archéologiques du XXe siècle.

La plupart des objets inestimables provenant de Nimroud sont exposés dans des musées en Irak ou en Europe, mais le site abrite toujours des bas-reliefs et de colossaux "lamassu", ces taureaux ailés à face humaine.

"Je pense que ce qu'ils ont détruit (à Nimroud) c'est la reconstruction à l'identique, dans les années 1960, des murs du palais", avance Eleanor Robson, professeur à l'University College.

- Impuissance -

La communauté internationale a fermement critiqué les destructions, mais semble cantonnée au rôle d'observateur, impuissante à agir sur les territoires dominés par l'EI, se désole Stuart Gibson, expert à l'Unesco.

"Nous avons dans le passé pressé les populations locales de reconnaître l'inestimable valeur de leur patrimoine, et la nécessité de le protéger", ajoute M. Gibson. "Malheureusement, à l'heure actuelle, les populations sont épuisées et terrifiées. Le reste d'entre nous n'a d'autre choix que (...) de regarder, désespéré".

L'EI contrôle de vastes territoires en Irak et en Syrie voisine où il a déclaré un "califat" et multiplié les pires exactions, mais semble perdre du terrain sous la pression conjuguée des forces irakiennes au sol et de la coalition internationale menée par les Etats-Unis dans les airs.

Autour de Tikrit, au sud de Mossoul, armée, police, milices et combattants tribaux poursuivaient leur offensive pour reprendre la ville aux jihadistes.

Tikrit est la deuxième ville la plus importante conquise en Irak par l'EI. Avec 30.000 hommes mobilisés, l'offensive est présentée comme "la plus massive" depuis la prise par l'EI en juin 2014 de pans entiers du territoire.

Mais les civils payent un lourd tribu: près de 28.000 personnes ont dû fuir la région selon l'ONU. Ils viennent s'ajouter au 2,5 millions de personnes déplacées par l'avancée des jihadistes en 2014.


           

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