Mort du grand médiéviste Jacques Le Goff, "ogre historien" et pionnier


Mardi 1 Avril 2014 - 18:10
AFP - Myriam CHAPLAIN RIOU


Paris - Le grand médiéviste français Jacques Le Goff, l'un des pères de la Nouvelle Histoire, est décédé mardi à l'âge de 90 ans après avoir bouleversé l'approche du Moyen Age, restituant tous les aspects de la société, sans oublier les mentalités, des rois comme du peuple.


Pour lui, la mémoire devait servir l'avenir, les leçons de l'histoire éclairer la marche du monde. Au fil de sa fructueuse carrière et d'une oeuvre monumentale, ce fils de Breton né à Toulon le 1er janvier 1924, normalien et agrégé d'histoire, s'est consacré avec passion à ce qu'il appelait le "long Moyen Age occidental", de l'Antiquité tardive au siècle des Lumières. Il contestait l'idée reçue selon laquelle la Renaissance aurait mis fin à l'obscurantisme médiéval.

"Il a magnifié la vision du Moyen Age" et "+inventé+ l'anthropologie historique", révolutionnant l'histoire, a réagi auprès de l'AFP l'historien Pierre Nora. "C'était mon ami le plus cher et l'historien de mon coeur", a-t-il confié.

La ministre de la Culture Aurélie Filippetti a salué quant à elle "une figure majeure de notre paysage intellectuel", qui s'attachait "à déceler dans notre monde contemporain l'héritage souvent caché des périodes antérieures, mettant notamment en évidence les racines profondes de la construction européenne".

Européen convaincu, Jacques Le Goff n'hésitait pas à quitter le Moyen Age pour aborder l'actualité la plus chaude: "Un historien ne peut pas vivre uniquement dans le passé", affirmait cet homme chaleureux à l'imposante stature. "L'histoire est ce qui permet de mettre en perspective les mutations en oeuvre aujourd'hui", expliquait-il.

Soucieux de toucher un large public, il animait aussi sur France Culture "Les lundis de l'histoire", dont il était devenu producteur en 1968. "Il continuait d'y participer, enregistrant les émissions chez lui" ces dernières années, a précisé la radio.

Dans son dernier livre, "Faut-il vraiment découper l'histoire en tranches?", paru au Seuil en janvier, il livrait sa réflexion sur la nécessité de combiner "continuité et discontinuité" dans notre façon de concevoir le temps historique.

- 'Vacciné contre le communisme' -

Surnommé tour à tour "l'ogre historien" ou "le pape du Moyen Age", Jacques Le Goff avouait être tombé dès l'adolescence dans la marmite de l'histoire, sa compagne depuis 1950, à la lecture de Walter Scott.

Elève puis successeur de Fernand Braudel, en 1972, à la tête de l'Ecole pratique des hautes études, Jacques Le Goff est considéré dès la sortie en 1957 de son premier livre, "Les intellectuels au Moyen Age", comme l'héritier de l'Ecole des Annales, qui avait bouleversé l'approche historique dans les années 1930. Il dirigera d'ailleurs à partir de 1967 la prestigieuse revue Annales.

"Une idée fondamentale de l'Ecole des Annales, c'est que l'histoire se fait dans un va-et-vient constant du présent vers le passé et du passé vers le présent", expliquait-il.

Jacques Le Goff publie aussi "Marchands et banquiers au Moyen Age", "L'imaginaire médiéval", une biographie de "Saint-Louis" qui fera date, "L'Europe est-elle née au Moyen Age?": une quarantaine d'ouvrages au total, parmi lesquels "La naissance du purgatoire" (1981) restait l'un de ses préférés, avait-il confié en 2008 à l'AFP.

Il fut l'un des pères dans les années 1970 du mouvement dit de "la Nouvelle Histoire" et son travail s'est accompagné en permanence d'une réflexion sur le métier d'historien, avec "La Nouvelle Histoire", "Faire de l'histoire" (3 tomes, avec Pierre Nora) ou "Histoire et mémoire".

Jeune chercheur boursier à Prague, Jacques Le Goff avait vécu en direct la prise du pouvoir par les communistes en 1948. Il en avait été "vacciné contre le communisme" et s'amusait des revirements de ses confrères qui avaient après-guerre épousé l'idéal communiste.

Lui se considérait comme "un homme de gauche" et militait pour une Europe unie, forte, ouverte, tolérante. Marié à une Polonaise d'origine, décédée, parlant anglais, italien, polonais et allemand, il avait pour meilleur ami l'historien et homme politique polonais Bronislaw Geremek, mort en 2008, et incarnait lui-même cette Europe du dialogue qu'il appelait de ses voeux.


           

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