Quand Hassan II humiliait Warren Christopher


Lundi 13 Juillet 2009 - 12:57
Maâti Monjib


Parution (Le Jouranl). Dans un récent ouvrage, Martin Indyk, ancien assistant de Warren Christopher, rapporte un récit inédit des relations qu’entretenait Hassan II avec le premier Secrétaire d’Etat américain de l’administration Clinton.


Quand Hassan II humiliait Warren Christopher
Décembre 1993, aéroport de Rabat-Salé. «Dennis Ross et moi-même commencions à nous demander pourquoi le cortège de voitures officielles ne bougeait pas. Nous venions de quitter le Boeing 707 du secrétaire d’Etat, celui-là même qui, trente ans plus tôt, transportait la dépouille mortelle de Kennedy de Dallas à Washington… » Il venait d’atterrir au Maroc avec, à son bord, Warren Christopher et son «équipe de paix». Ainsi commence le témoignage de Martin Indyk sur l’accueil que leur réservait Hassan II quelques temps après le début des contacts officiels entre l’OLP et Tel Aviv. Indyk était, à l’époque, assistant du ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis pour le Proche-Orient. Il vient de publier ses mémoires, Innocent Abroad: An Intimate Account of American Peace Diplomacy in the Middle East, sur les negociations arabo-israéliennes durant les deux mandats de Bill Clinton.
Christopher vient à Rabat quatre mois après la célèbre rencontre entre Yasser Arafat et Itzhak Rabin quand ils se sont serré la main pour la première fois en présence du président Clinton. De fait, Christopher n’avait rien pu réaliser de concret lors d’une nouvelle tournée au Proche-Orient. Ses collaborateurs, dont Ross et Indyk, l’ont convaincu de faire cette escale à Rabat, sur le chemin du retour, vu les relations privilégiées entre les deux pays et le rôle joué par Hassan II dans le rapprochement entre les régimes arabes et Tel Aviv. Ils avaient pu s’entendre avec les Marocains sur l’annonce par le chef de la diplomatie américaine, lors de son arrêt à Rabat, de réalisations modestes mais concrètes sur le chemin de la normalisation entre pays arabes et Israël comme la volonté du Maroc d’établir une ligne aérienne entre Casablanca et Tel Aviv ainsi que des liens téléphoniques et postaux directs. Après les accords d’Oslo et la rencontre de la Maison Blanche entre le chef de l’OLP et le Premier ministre israélien, les Américains voulaient montrer au monde que, grâce à eux, la dynamique de paix n’était pas confinée aux seuls Palestiniens et Israéliens.

Choc des cultures
Martin Indyk raconte que dès qu’ils ont décollé du Caire, les fonctionnaires du Département d’Etat, qui étaient déjà au Maroc, les avaient informés que le roi Hassan II recevrait Christopher et sa délégation autour d’un dîner dans l’enceinte de son Palais de Rabat. «Je commençais déjà à saliver à l’idée des mets exquis qui nous seraient apprêtés par la cuisine royale», écrit l’auteur mais, ajoute-t-il, Christopher, déjà exténué par ses nombreux déplacements à Jérusalem, Amman, Damas, Riyad et Le Caire, décline l’invitation. Il demeure intraitable malgré les efforts d’Indyk et de ses collègues de le persuader d’accepter l’offre royale. Comme touché dans son honneur par ce refus, Hassan II les fait attendre une demi-heure à l’aéroport et quand le cortège est finalement autorisé à prendre le chemin du Palais, il le fait à la vitesse de la tortue.
Une fois là-bas, le roi les reçoit sans excès de manières. Les Américains n’en croient pas leurs yeux : Hassan II est en habits d’intérieur. Il porte un smoking de velours noir et des pantoufles assorties, signées en or à l’emblème royal. Cela dégoûta le secrétaire d’Etat car, non seulement l’accoutrement du roi ne respectait pas le protocole mais il étalait d’une façon ostentatoire le goût du luxe et de l’opulence du monarque. En outre, Christopher n’avait aucune envie de s’ennuyer à nouveau au cours «d’un repas sans fin avec un autre potentat arabe», précise Indyk. Il ajoute que le ministre «avait peu de temps pour les despotes et encore moins de respect pour la royauté.»

«That’s what kings do»
L’auteur donne de ces moments une description aussi glauque que captivante : «Tout d’abord entrent les deux jeunes princes, suivis par un assortiment étrange de conseillers : un général borgne, qui a apparemment laissé le patch de l’œil manquant chez lui. Un ministre des Affaires étrangères semi-paralysé et du visage et du corps, un ministre de l’Intérieur qui était de mauvais poil ce jour-là et qui ressemblait davantage à Ben Gourion qu’au plus redoutable oppresseur des dissidents marocains, et enfin André Azoulay…. Les uns après les autres, ils courbaient l’échine en s’aplatissant littéralement devant le roi, embrassant sa main tandis que lui les renvoyait d’un geste dédaigneux.» Hassan II, fin diplomate et qui connaît à merveille la mentalité occidentale, a-t-il intentionnellement organisé les choses de façon à mettre mal à l’aise cette délégation dont le chef refusait de s’asseoir à sa table ?
L’ancien diplomate raconte qu’une telle scène n’a rien fait pour arranger l’humeur déjà maussade de Christopher qui avait grandi dans une très petite ville du Dakota du nord durant la Grande Dépression. Il y avait côtoyé de près la misère humaine, ce qui l’a rendu profondément stoïcien. Il n’avait que mépris pour la richesse facile et ostentatoire.
Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, le secrétaire d’Etat déclare au roi qu’il est heureux de se trouver au Maroc et d’y annoncer le début de la normalisation avec Israël. Hassan II «lui jette un regard acéré, puis souffle la fumée de sa luxueuse cigarette, roulée à la main, en direction de Christopher.» Hassan II explique, «en français, alors qu’il parlait anglais» que rien ne sera annoncé sous le prétexte que ce serait «inapproprié qu’un officiel américain annonce de Rabat des décisions que les Marocains peuvent annoncer eux-mêmes.» Dennis Ross et Martin Indyk se sentent obligés de présenter leurs excuses à Christopher alors qu’ils se dirigent vers la limousine du secrétaire d’Etat. Celui-ci leur répond par une boutade : «Ainsi font les rois» (that’s what kings do).


           

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