Quand le travail devient souffrance : une consultation pour dire les maux


Samedi 15 Novembre 2008 - 10:35
AFP


Paris - "Je préfère me tuer plutôt que de retourner travailler": cette phrase, Marie Pezé, psychologue et psychanalyste, l'entend "toutes les semaines" dans sa consultation "Souffrance et Travail", qu'elle tient depuis 11 ans à l'hôpital Max Fourestier de Nanterre.


Ouvriers, cadres, téléopératrices, infirmières ou juristes, ils ont en commun d'avoir un jour poussé la porte du bureau qu'elle occupe, au fond d'un long couloir, pour lui raconter leurs douleurs physiques et psychiques, et leur volonté parfois "d'envoyer leur voiture dans le mur".

De ces histoires, celle qui a ouvert la première consultation hospitalière "Souffrance et Travail" en 1997, suivie depuis par une vingtaine d'autres dans toute la France, a écrit un livre intitulé "Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés" (Edition Pearson).

"Je rencontre des gens qui présentent le même tableau que des victimes d'un attentat dans le RER: crises d'angoisse, phobie du lieu de travail, troubles du sommeil, pertes des capacités cognitives", explique Marie Pezé, également expert près de la cour d'appel de Versailles en psychopathologie du travail.

Ainsi, Solange, téléopératrice de 52 ans, "usée" par les multiples mutations, les changements de procédures, l'intensification des cadences, la surveillance permanente de sa hiérarchie, et qui, après un arrêt maladie de trois mois, s'effondre sur son lieu de travail en apprenant que sa supérieure a jeté pendant son absence toutes ses affaires personnelles, parce que "c'était sans importance".

Elle décrit aussi Agathe, aide-soignante, qui tombe dans la paranoïa face aux conditions de travail qui se dégradent dans son service, Eliane, assistante de direction de 34 ans morte subitement au travail de surmenage, ou encore François, juriste d'entreprise, qui a tenté de se tuer face à la pression.

"Des suicides liés au travail, il y en a partout et de plus en plus, il ne faut pas stigmatiser une entreprise", insiste Marie Pezé. Pour les salariés, "c'est souvent le seul moyen qu'ils ont trouvé pour arrêter le mécanisme d'hyperactivité de l'organisation du travail".

Elle raconte ces ouvrières qui vissent 27 bouchons par minute et font des crises de nerf à cause du rythme. Mais leur direction a prévu brancards et barrettes de lexomil au vestiaire, pour qu'elles décompressent quelques minutes avant de retourner à la chaîne.

"Il n'y a pas de pervers, de bourreaux, de victimes", soutient Marie Pezé, qui dénonce plutôt l'organisation du travail, le productivisme effréné et le management basé sur le stress, la pression, la concurrence, "les objectifs inatteignables, les évaluations rudes et le contrôle de l'activité".

Elle déplore aussi "les techniques" qui font adhérer aux objectifs de l'entreprise et "déplacent en vous le curseur du bien et du mal", et "le sexisme ordinaire".

Ainsi, cette femme cadre, victime du harcèlement sexiste de ses collègues, la poussant peu à peu à nier sa féminité, supprimant bijoux, jupes et cheveux longs, jusqu'à ne plus avoir ses règles. Obligée de s'endurcir, d'"endosser la panoplie guerrière", elle adopte à son tour le management par la peur.
"On a atteint des seuils. Tout ce que l'on fait faire aux gens actuellement c'est au-delà de ce que l'organisme peut supporter", prévient Marie Pezé.

Elle-même, face à ses 700 à 900 consultations par an, "la gravité de certains cas" et "son impuissance", a craqué, victime de troubles neurologiques qui lui ont fait perdre l'usage de son bras droit. Aujourd'hui rétablie mais sous médicament, elle avoue qu'elle ne se remet "toujours pas" de ces consultations "désespérantes".


           

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