Il fut Le Magnifique. L'Alpagueur et l'Incorrigible. L'Animal et le Guignolo. Ou si l'on préfère l'As des as : Bébel, le Cartouche bondissant des films de de Broca, le professionnel casse-cou des fantaisies de Lautner, le morfalou insatiable des polars de Verneuil. Ce Bébel qui, au dire même de Francis Huster, avait enterré le vrai Belmondo, "en lui tombant dessus, avec le triomphe de L'Homme de Rio, comme un coup du destin". Parce qu'avant de devenir le cascadeur en chef du cinéma français, il y avait eu Jean-Paul, fils de Paul Belmondo le sculpteur, élève étourdissant et rétif du Conservatoire, et se retrouvant, après quelques petits rôles chez Allégret et chez Carné, embarqué par les jeunes hussards de la Nouvelle Vague dans un cinéma qui entreprenait de dépoussiérer les vieux films de studio et de faire souffler le grand air de la vie. À bout de souffle, en 1960, marqua l'irruption sur les écrans de ce drôle de tendre voyou, chapeau de travers, décontraction en sautoir, se passant le doigt sur ses (grosses) lèvres comme il avait vu Bogart le faire dans ses films et s'en allant mourir, tout au bout de la rue Campagne-Première, en prononçant comme dernier mot un "dégueulasse" pas vraiment dans les normes de la politesse académique. Ce fut une révolution : "Il réinventait tout", dit Francis Huster.
C'est, à coup sûr, de cette admiration pour l'acteur qu'est né le désir de celui-ci de faire revenir ce Belmondo-là à l'écran. "Je le connais depuis 40 ans, dit-il. Pour moi, il est resté avant tout cet acteur prodigieux qui jouait chez Chabrol, chez Melville, chez Brook, chez Godard, chez Malle, chez Truffaut. Le Belmondo d'avant Bébel, celui du Doulos, d'Un singe en hiver, de La Viaccia, de La Ciociara".
La Ciociara : un film de Vittorio de Sica. Est-ce une coïncidence ? Un homme et son chien, que Francis Huster est allé proposer à Belmondo pour le ramener au cinéma, c'est précisément la reprise d'un autre film du réalisateur italien : Umberto D. "C'était une vieille idée que j'avais, dit encore Francis Huster, de tourner un remake de ce film admirable. À un moment où je vivais une belle histoire d'amour avec Geneviève Bujold, j'étais avec elle en Amérique, et lors d'une soirée, j'en avais longuement parlé avec Martin Scorsese. Lui-même me disait l'importance qu'avait eue pour lui ce film. Je lui confiais, de mon côté, que j'aimerais un jour en tourner un remake, mais je ne voyais pas alors quel acteur était capable de jouer ça".
"Comme un combat de boxe à gagner"
Puis le temps a passé. Belmondo, avant même l'échec de Stavisky, qu'il avait tourné en 1974 avec Alain Resnais, avait donné une nouvelle voie à sa carrière, se dirigeant du côté des grands films populaires aptes à servir au mieux son goût de la fantaisie et des exploits physiques. Pierrot le fou laissait la place aux cascades des Mariés de l'an II, Le Voleur devenait Flic ou voyou, et Léon Morin prêtre choisissait de célébrer de Joyeuses Pâques... Il y eut bien quelques essais, l'âge venant, pour essayer d'échapper aux acrobaties à la Bébel : le retour au théâtre, d'abord, qui se traduisit par l'achat d'une salle et par quelques rôles-phares : Cyrano, Kean. Et, au cinéma, la volonté de renouer avec des personnages plus denses : la distance prise avec l'aventure dans Itinéraire d'un enfant gâté, la reprise d'un rôle de Raimu dans L'Inconnu dans la maison... Puis, en 2000, le coup d'arrêt brutal, l'accident cérébral, la paralysie.
"À ce moment-là, dit Francis Huster, beaucoup se sont dit dans le métier que Belmondo, c'était fini. Moi, j'ai toujours pensé le contraire. Et lorsque Jean-Louis Livi, le producteur, m'a fait part de son intention d'essayer de ramener Jean-Paul au cinéma, je lui ai proposé ce vieux projet d'une reprise d'Umberto D, qui m'est apparu alors comme une évidence. Ce vieil homme, rejeté par tous, et qui se retrouve à la rue, dans la solitude de la vieillesse, il n'y avait que lui pour le faire. On lui a proposé le scénario, sans avoir de solution de rechange : s'il disait non, on ne le faisait pas. Il l'a lu, quelques jours après il a appelé, en disant : Ok, je le fais, mais à une seule condition : me filmer tel que je suis".
Dix semaines de tournage en extérieur, un Belmondo arrivant chaque jour le premier sur le plateau et le quittant le dernier, et surtout un bonheur de tous les instants, dont il a donné la raison à Francis Huster : "Quand j'ai eu mon AVC, lui a-t-il confié, j'étais totalement lucide. Je voyais simplement que quand je parlais, personne ne me comprenait. Je me suis juré d'arriver à me faire comprendre à nouveau. Tout ce travail, tous ces efforts, c'était pour moi comme un combat de boxe à gagner".
Combat formidable, en effet, qui montre que Belmondo reste celui qu'il a toujours été. Même si en découvrant à l'écran ce combat plein à la fois de panache et de pathétique, on ne peut s'empêcher de penser non sans tristesse que l'homme se retrouve, pour de bon, là où le film de Godard l'avait d'entrée de jeu placé : à bout de souffle.
C'est, à coup sûr, de cette admiration pour l'acteur qu'est né le désir de celui-ci de faire revenir ce Belmondo-là à l'écran. "Je le connais depuis 40 ans, dit-il. Pour moi, il est resté avant tout cet acteur prodigieux qui jouait chez Chabrol, chez Melville, chez Brook, chez Godard, chez Malle, chez Truffaut. Le Belmondo d'avant Bébel, celui du Doulos, d'Un singe en hiver, de La Viaccia, de La Ciociara".
La Ciociara : un film de Vittorio de Sica. Est-ce une coïncidence ? Un homme et son chien, que Francis Huster est allé proposer à Belmondo pour le ramener au cinéma, c'est précisément la reprise d'un autre film du réalisateur italien : Umberto D. "C'était une vieille idée que j'avais, dit encore Francis Huster, de tourner un remake de ce film admirable. À un moment où je vivais une belle histoire d'amour avec Geneviève Bujold, j'étais avec elle en Amérique, et lors d'une soirée, j'en avais longuement parlé avec Martin Scorsese. Lui-même me disait l'importance qu'avait eue pour lui ce film. Je lui confiais, de mon côté, que j'aimerais un jour en tourner un remake, mais je ne voyais pas alors quel acteur était capable de jouer ça".
"Comme un combat de boxe à gagner"
Puis le temps a passé. Belmondo, avant même l'échec de Stavisky, qu'il avait tourné en 1974 avec Alain Resnais, avait donné une nouvelle voie à sa carrière, se dirigeant du côté des grands films populaires aptes à servir au mieux son goût de la fantaisie et des exploits physiques. Pierrot le fou laissait la place aux cascades des Mariés de l'an II, Le Voleur devenait Flic ou voyou, et Léon Morin prêtre choisissait de célébrer de Joyeuses Pâques... Il y eut bien quelques essais, l'âge venant, pour essayer d'échapper aux acrobaties à la Bébel : le retour au théâtre, d'abord, qui se traduisit par l'achat d'une salle et par quelques rôles-phares : Cyrano, Kean. Et, au cinéma, la volonté de renouer avec des personnages plus denses : la distance prise avec l'aventure dans Itinéraire d'un enfant gâté, la reprise d'un rôle de Raimu dans L'Inconnu dans la maison... Puis, en 2000, le coup d'arrêt brutal, l'accident cérébral, la paralysie.
"À ce moment-là, dit Francis Huster, beaucoup se sont dit dans le métier que Belmondo, c'était fini. Moi, j'ai toujours pensé le contraire. Et lorsque Jean-Louis Livi, le producteur, m'a fait part de son intention d'essayer de ramener Jean-Paul au cinéma, je lui ai proposé ce vieux projet d'une reprise d'Umberto D, qui m'est apparu alors comme une évidence. Ce vieil homme, rejeté par tous, et qui se retrouve à la rue, dans la solitude de la vieillesse, il n'y avait que lui pour le faire. On lui a proposé le scénario, sans avoir de solution de rechange : s'il disait non, on ne le faisait pas. Il l'a lu, quelques jours après il a appelé, en disant : Ok, je le fais, mais à une seule condition : me filmer tel que je suis".
Dix semaines de tournage en extérieur, un Belmondo arrivant chaque jour le premier sur le plateau et le quittant le dernier, et surtout un bonheur de tous les instants, dont il a donné la raison à Francis Huster : "Quand j'ai eu mon AVC, lui a-t-il confié, j'étais totalement lucide. Je voyais simplement que quand je parlais, personne ne me comprenait. Je me suis juré d'arriver à me faire comprendre à nouveau. Tout ce travail, tous ces efforts, c'était pour moi comme un combat de boxe à gagner".
Combat formidable, en effet, qui montre que Belmondo reste celui qu'il a toujours été. Même si en découvrant à l'écran ce combat plein à la fois de panache et de pathétique, on ne peut s'empêcher de penser non sans tristesse que l'homme se retrouve, pour de bon, là où le film de Godard l'avait d'entrée de jeu placé : à bout de souffle.