A la télévision afghane, la comédie du pouvoir fait hurler de rire


Vendredi 9 Juin 2017 - 11:34
AFP


Une émission de télévision en Afghanistan est devenue le poil à gratter des chefs de guerre arrogants et des policiers et politiciens négligents, qui se retrouvent régulièrement épinglés à l'écran par des parodies audacieuses.


La comédie peut être un métier à risque en Afghanistan, mais "Shabake Khanda" --littéralement, "le canal du rire"-- l'émission en vogue de la chaîne Tolo, dit ses quatre vérités aux puissants comme nul autre média.

Ce rendez-vous hebdomadaire fait appel aux comédiens les plus téméraires du pays pour dénoncer la corruption, les abus et les magouilles des politiques sur un ton badin.

Un récent épisode de cette émission qui existe depuis deux ans s'en prenait au ministre de la Défense, réputé pour s'assoupir pendant les réunions officielles.

"Wazir sahib, dois-je vous réveiller pour défendre le pays? Vous dormez alors qu'un kamikaze est venu nous attaquer!", s'écrie le présentateur, illustrant l'irritation grandissante du pays face à l'insécurité galopante.

Ce ministre a depuis lors démissionné, à la suite du massacre par les talibans de plus de 140 jeunes soldats sur une base militaire du nord.

Un autre épisode mettait en scène un officier de l'armée qui venait de parier et de perdre au jeu son véhicule blindé.

- Alcool en bandoulière -

Il peut aussi s'agir d'un responsable de la police contraint de démissionner pour avoir entretenu des relations avec un "bacha bazi", une pratique traditionnelle qui consiste pour les messieurs de tous âges à s'offrir un jeune garçon comme esclave sexuel.

"Sous couvert de comédie, on montre la réalité de la vie en Afghanistan", relève Rafi Tabee, le producteur de 27 ans. "Une comédie est bien plus drôle quand elle contient une part de vérité".

"En plus, dans un pays en pleine tragédie, on fait rire les gens", dit-il.

Shabake Khanda s'offre un luxe que bien peu de médias peuvent partager: une dénonciation sans concession du mensonge et de la manipulation.

L'émission s'est forgé la réputation de chercher les ennuis en dénonçant l'indicible et en dévoilant les vérités qui dérangent. Et elle semble plus osée à chaque nouvel épisode.

L'une de ses cibles préférées est la figure d'un impressionnant chef de guerre connu pour son amour de la boisson, qu'un comédien imite toujours avec une cartouchière en bandoulière, mais chargée de bouteilles d'alcool à la place des munitions.

- 'Tirez sur les montagnes, pas sur Kaboul !' -

Autre sketch favori des spectateurs, celui dans lequel le président afghan Ashraf Ghani, au téléphone, essaie de convaincre un autre ex-chef de guerre --le pays n'en manque pas-- de renoncer aux tirs de joie pour célébrer l'accord de paix que tous deux s'apprêtent à signer.

- "Pour l'amour de Dieu, est-ce vraiment nécessaire? Voulez-vous vous retrouver encore sur la liste noire?", s'écrie, soucieux, le chef de l'Etat.

- "Empêcher les tirs de joie c'est comme faire un riz Kabouli sans riz", rétorque l'autre, flanqué d'un lance-roquettes.

- "Alors tirez sur les montagnes, les déserts, mais pas sur Kaboul", implore le président. Mais l'autre a déjà raccroché.

La frontière entre la comédie et la réalité se brouille quand un parlementaire se retrouve privé d'électricité pour avoir ignoré sa facture.

"Si vous ne rétablissez pas le courant immédiatement, c'est moi qui vous débranche", tempête le député face au responsable de la compagnie. En réalité, l'élu n'a jamais payé son ardoise.

Cette forme d'humour ne plaît pas à tout le monde dans un pays de culture patriarcale où ce qui est perçu comme humiliant peut faire naître la violence.

"Deux hommes armés ont fait irruption chez moi en lançant: +Vous vous moquez de nos leaders? Ca ne doit pas se reproduire+", rapporte un des acteurs, Siar Matin.

Les partisans du chef de l'Etat ont également mis son confrère Ibrahim Abid en garde. Il faut dire que le comédien campe à merveille le président et ses fameuses sautes d'humeur!

- Le pouvoir de la dérision -

"Jouer la comédie ici est aussi dangereux que tuer une vache en Inde!", où l'animal est sacré, s'amuse un autre saltimbanque, Nabi Roshan. "Les gens en colère sont après vous".

Pour autant, le pouvoir de la dérision est tel que des Afghans ordinaires sollicitent désormais l'équipe de Shabake Khanda: "Les gens s'adressent à nous plutôt qu'à leurs députés pour résoudre leurs problèmes", affirme Siar Matin.

L'humour apporte aussi un réconfort et une échappatoire dans un pays où l'espoir s'amenuise, entre le conflit qui s'étend, la hausse du chômage et une vie politique dysfonctionnelle.

"On dit que rire est un péché en Afghanistan", reprend Roshan. "Mais les gens sont heureux de briser les tabous."

C'est même devenu une boutade dans le pays: "Les gens préviennent, +si tu te conduis mal, Shabake Khanda va faire une émission sur toi !+", s'amuse Massoud Sanjer, le directeur de Tolo TV.

La plupart des épisodes sont improvisés, sans véritable script: "On rigole et on joue... On joue et on rigole...", avoue Tabee, le producteur.


           

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