Afro-Brésiliens: Rio, première ville esclavagiste du monde


Jeudi 1 Mars 2018 - 12:31
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Longtemps on cru que l’esclavage brésilien était le fait de planteurs de canne à sucre du Nordeste et des mines d’or dans les montagnes du Minas Gerais. Salvador de Bahia semblait être la capitale de l’esclavage au Brésil. Mais des travaux d’infrastructures en 2011 ont mis à jour le passé de Rio, ex-capitale du Brésil, première ville esclavagiste au monde, auto proclamée Ville Merveilleuse .


Dans le vieux port de Rio de Janeiro, se trouve le quartier décrépi de la Gamboa, autrefois dit La Petite Afrique. En 1996, alors qu’elle cherche à améliorer sa salle de bains, une famille humble fait une découverte macabre mais extraordinaire. Là dans les soubassements de sa maison, le cimetière des Pretos Novos ou furent enterrés les Jeunes Esclaves. On savait que ce cimetière existait mais on en avait perdu la trace! On estime que 30 000 personnes furent enterrées ici sur 4 000m2. 

Pour comprendre ce que ce cimetière représente, il faut savoir qu’on appelait Jeunes Esclaves, les Africains qui venaient tout juste d’arriver. Beaucoup ne survivaient pas et on les jetait ici. Certains avaient 6 à 13 ans. Pour les «maitres», c’était un investissement à long terme et ils étaient faciles à dresser. On l’apprend en visitant le Memorial dos Pretos Novos, la maison que la famille Guimaraes a transformé en musée et dont la survie est constamment remise en question. 

Entre 1824 et 1830, date de la fermeture du cimetière suite aux plaintes du quartier, on enterra ici 6 122 africains: 60% d’hommes, 30% de femmes et 10% d’adolescents et enfants.

C’est plus de noirs enterrés qu’il n’y avait d’habitants 160 ans plus tôt, lorsque la Cour du Portugal, fuyant les armées de Napoleon se réfugia à Rio: 3 850 habitants dont 3000 indiens, 750 blancs et 100 noirs ! Dix millions d’africains furent amenés sur le continent dont 3 millions 600 000 seulement au Brésil. 

Rio de Janeiro en reçu plus que toute autre ville d’Amérique: 500 000 à 1 million en 30 ans, affectés aux plantations de café. D’Angola et du Mozambique, les Bantous des «cafezais» et les Ghanéens du Minas Gerais pratiquaient le culte des Ancêtres. L’océan était une rupture mais un enterrement sans sépulture était pire que tout. Beaucoup se rapprochaient de l’Ordre du Rosaire. Ceux qu’on enterra aux Pretos Novos, un charnier auquel on mettait le feu, n’eurent pas ce privilège. 

La chanteuse noire Elza Sores, élue à 80 ans chanteuse du millénaire par la BBC le dit en clair dans le fanzine publié par l’Institut Pretos Novos: «La viande la moins chère vendue sur le marché est celle des nègres». A un kilomètre à peine, se trouve le quai où on les débarquait. C’est le Quai du Valongo, des rampes et des dalles de pierre sur environ 2 000 m². On y a retrouvé des amulettes du centre-ouest de l’Afrique et de l’Afrique Occidentale. 

Il y a 10 ans, les Cariocas, habitants de Rio ainsi que le reste du Brésil ignoraient quasiment tout de ce cimetière et de ce quai, son passé esclavagiste, la face B de leur Ville Merveilleuse.

Pour un Brésilien, surtout de Rio, il fallait chercher les responsables de ce moment peu glorieux de l’histoire nationale du côté des plantations de sucre du Nordeste. On sait désormais que Rio a battu tous les records ! Il a fallu les grands évènements, la Coupe du Monde, les JO et des travaux d’installation du tramway dans le centre-ville pour que le Quai Valongo, actuelle rue Barao do Tefé soit révélé. 

Comme le cimetière, le Valongo avait été enterré. D’abord par le Quai de l’Impératrice en 1843 puis par un autre port, plus moderne en 1910. Mais surtout, dans la mémoire collective... A l’époque, il y avait des lagunes en plein Centro de Rio, des collines aussi. Elles ont été démolies pierre par pierre pour assainir la région.

C’est un autre Rio que l’Empire finissant puis la République se sont inventé. Aujourd’hui, il reste encore le Morro da Conceiçao, témoin des premières occupations portugaises, joliment réhabilité en une sorte de petit Montmartre populaire. 

Du haut du Morro da Conceiçao, on voit la Baie de Rio par laquelle arrivaient les navires négriers. A droite, accroché à son flanc, le Monastère Sao Bento, fondé par les Bénédictions portugais en 1590. Tout autour, encerclant le Morro par l’arrière, une rue en demi-cercle, l’actuelle rue Camerino par laquelle on évacuait les chargements humains de la rua 1°de Março jusqu’au Quai do Valongo. On refait le parcours.

Bordée d’échoppes liées à la pratique de l’esclavage, elle possédait des baraquements où les nouveaux venus étaient engraissés pour gagner en valeur sur le marché. 

Nous ressortons sur la Baie de Guanabara, sur le flanc gauche du Morro, à l’opposé de Sao Bento. Là, se trouve un bâtiment bâti trois siècles après le Monastère. Ce sont les Docks construits à la fin de l’Empire, une commande de Dom Pedro II... à André Rebouças, un ingénieur noir !

L’emploi de main d’oeuvre esclave sur ce chantier est alors interdit. L’Empereur est plus progressiste que la nation qu’il dirige. Il sait que l’esclavage a fait son temps. Mais les seigneurs d’un pays qui s’industrialise sous la pression des Anglais et des machines à vapeur, ont encore besoin de bras ! 

Il faudra attendre 1888, encore 20 ans, pour que l’abolition soit proclamée par la Princesse Isabel, fille de Dom Pedro II en faveur de laquelle il a abdiqué et qu’il presse de mettre fin à l’esclavage.

La loi Aurea sera le fait d’arme d’Isabel, à mettre au crédit de l’Empire, pas de la République. Tout comme le Collège José Bonifacio, l’une des premières écoles publiques du Brésil que Dom Pedro II fit construire pour répondre aux besoins... de la population noire du quartier, à 200 mètres de l’ancien cimetière des Pretos Novos !


           

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