La révolution arrive à son point d'orgue. Mais elle est interrompue : c'est la pause-déjeuner. Il est une heure et demie du matin. "Déposez vos accessoires, s'il vous plaît !" crie le directeur de plateau dans son mégaphone. Les accessoires, ce sont entre autres des légions de petits drapeaux allemands en papier. Et des bananes.
Car c'est avec des drapeaux et des bananes que la République démocratique allemande (RDA) s'est effondrée, il y a vingt ans. [Les Berlinois de l'Est achetèrent ou se virent offrir par ceux de l'Ouest des bananes et des ananas, qu'ils avaient vus au cinéma mais n'avaient jamais eu l'occasion de goûter.] Aujourd'hui, l'Histoire se répète comme une farce. En cette nuit du mois de mars 2009, pour son nouveau film, Liebe Mauer [Cher Mur], le réalisateur Peter Timm tourne la scène de l'écroulement de la frontière séparant les deux Allemagnes, qui eut lieu le 9 novembre 1989. Il dispose notamment de plus de 300 figurants habillés avec des vrais vêtements de l'Est, d'une vingtaine de Trabant originales [modèle d'automobile autrefois fabriqué en Allemagne de l'Est] et d'une poignée de bouteilles de mousseux Rotkäppchen [très populaire en ex-RDA].
Mais l'accessoire majeur d'un film sur le Mur, le Mur lui-même, n'existe plus. Hormis quelques modiques vestiges, la matérialisation de la frontière qui, vingt-huit années durant, a rempli sa fonction avec une efficacité à faire frémir a disparu sans laisser de traces, ou presque. A Berlin, on s'est récemment demandé si on ne devrait pas reconstruire un morceau du Mur – pour les touristes, du moins. Puis on est arrivé à ce compromis : des poutres d'acier à la place du béton.
Le Mur a donc dû être reconstruit pour les besoins du film. Le décor en contreplaqué de 150 mètres de long et de 3,60 mètres de hauteur est pourvu d'un check-point, de trois miradors, d'une "zone de mort" [bande de terre de 10 mètres de large interdite d'accès, notamment protégée par des mines et des postes de tir automatique], à l'Est, et de graffitis des années 1980, à l'Ouest. Une grande affiche, dirigée avec provocation vers l'Ouest, célèbre les 40 ans de la RDA. Le décor ressemble à un parc d'attractions pour anciens cadres du Parti nostalgiques.
Le voyage au temps de la RDA fonctionne à la perfection. Même lorsqu'on sait que tout cela n'est pas vrai, la vue de Mur suscite encore un malaise diffus : les images de la dictature ont soudain l'air tellement réelles. Cela tient notamment au fait que ce "Mur de Berlin" ne se trouve pas à Berlin, mais dans le centre de Halle, une ville du Land de Saxe-Anhalt [dans l'ex-RDA].
Contrairement à la capitale fédérale, Halle est encore émaillée de tours d'habitation non rénovées qui recréent l'atmosphère de l'Allemagne démocratique. Manifestement, la dernière fois que les immeubles émergeant derrière le faux Mur ont été restaurés, c'était encore le Parti qui octroyait les matériaux de construction.
Ceux qui le souhaitent peuvent y voir un triomphe tardif du socialisme : aujourd'hui, l'authentique tristesse de la RDA attire l'industrie cinématographique et les subventions de l'Etat. Sur le budget de 4,5 millions d'euros de Liebe Mauer, 535 000 euros proviennent d'un programme régional de promotion cinématographique. Ce sont donc des artisans de Halle et de Leipzig qui ont construit le faux Mur conçu par la décoratrice Monika Bauert, qui, elle, vient de l'Ouest – personne n'est parfait. Et Wolfgang Tiefensee, ministre fédéral du Développement urbain, est venu prendre la pose devant le Mur pour une séance photo.
Si les circonstances du tournage ont quelque chose de burlesque, le film n'est censé l'être que modérément. Selon son créateur, Peter Timm, Liebe Mauer est une "comédie dramatique". Les acteurs Felicitas Woll et Maxim Mehmet jouent les rôles de deux amoureux vivant en 1989 : elle, une Berlinoise de l'Ouest qui habite un appartement donnant directement sur le Mur ; lui, un soldat de la RDA qui garde la frontière. Puis la Stasi [services secrets est-allemands] et la CIA s'en mêlent. Et le 9 novembre, c'est le happy end.
Car c'est avec des drapeaux et des bananes que la République démocratique allemande (RDA) s'est effondrée, il y a vingt ans. [Les Berlinois de l'Est achetèrent ou se virent offrir par ceux de l'Ouest des bananes et des ananas, qu'ils avaient vus au cinéma mais n'avaient jamais eu l'occasion de goûter.] Aujourd'hui, l'Histoire se répète comme une farce. En cette nuit du mois de mars 2009, pour son nouveau film, Liebe Mauer [Cher Mur], le réalisateur Peter Timm tourne la scène de l'écroulement de la frontière séparant les deux Allemagnes, qui eut lieu le 9 novembre 1989. Il dispose notamment de plus de 300 figurants habillés avec des vrais vêtements de l'Est, d'une vingtaine de Trabant originales [modèle d'automobile autrefois fabriqué en Allemagne de l'Est] et d'une poignée de bouteilles de mousseux Rotkäppchen [très populaire en ex-RDA].
Mais l'accessoire majeur d'un film sur le Mur, le Mur lui-même, n'existe plus. Hormis quelques modiques vestiges, la matérialisation de la frontière qui, vingt-huit années durant, a rempli sa fonction avec une efficacité à faire frémir a disparu sans laisser de traces, ou presque. A Berlin, on s'est récemment demandé si on ne devrait pas reconstruire un morceau du Mur – pour les touristes, du moins. Puis on est arrivé à ce compromis : des poutres d'acier à la place du béton.
Le Mur a donc dû être reconstruit pour les besoins du film. Le décor en contreplaqué de 150 mètres de long et de 3,60 mètres de hauteur est pourvu d'un check-point, de trois miradors, d'une "zone de mort" [bande de terre de 10 mètres de large interdite d'accès, notamment protégée par des mines et des postes de tir automatique], à l'Est, et de graffitis des années 1980, à l'Ouest. Une grande affiche, dirigée avec provocation vers l'Ouest, célèbre les 40 ans de la RDA. Le décor ressemble à un parc d'attractions pour anciens cadres du Parti nostalgiques.
Le voyage au temps de la RDA fonctionne à la perfection. Même lorsqu'on sait que tout cela n'est pas vrai, la vue de Mur suscite encore un malaise diffus : les images de la dictature ont soudain l'air tellement réelles. Cela tient notamment au fait que ce "Mur de Berlin" ne se trouve pas à Berlin, mais dans le centre de Halle, une ville du Land de Saxe-Anhalt [dans l'ex-RDA].
Contrairement à la capitale fédérale, Halle est encore émaillée de tours d'habitation non rénovées qui recréent l'atmosphère de l'Allemagne démocratique. Manifestement, la dernière fois que les immeubles émergeant derrière le faux Mur ont été restaurés, c'était encore le Parti qui octroyait les matériaux de construction.
Ceux qui le souhaitent peuvent y voir un triomphe tardif du socialisme : aujourd'hui, l'authentique tristesse de la RDA attire l'industrie cinématographique et les subventions de l'Etat. Sur le budget de 4,5 millions d'euros de Liebe Mauer, 535 000 euros proviennent d'un programme régional de promotion cinématographique. Ce sont donc des artisans de Halle et de Leipzig qui ont construit le faux Mur conçu par la décoratrice Monika Bauert, qui, elle, vient de l'Ouest – personne n'est parfait. Et Wolfgang Tiefensee, ministre fédéral du Développement urbain, est venu prendre la pose devant le Mur pour une séance photo.
Si les circonstances du tournage ont quelque chose de burlesque, le film n'est censé l'être que modérément. Selon son créateur, Peter Timm, Liebe Mauer est une "comédie dramatique". Les acteurs Felicitas Woll et Maxim Mehmet jouent les rôles de deux amoureux vivant en 1989 : elle, une Berlinoise de l'Ouest qui habite un appartement donnant directement sur le Mur ; lui, un soldat de la RDA qui garde la frontière. Puis la Stasi [services secrets est-allemands] et la CIA s'en mêlent. Et le 9 novembre, c'est le happy end.