Au Cap, des écoliers sur la ligne de feu de la guerre des gangs


Mercredi 11 Septembre 2013 - 12:02
AFP


Le Cap (Cap occidental) - La directrice de l'école primaire de Manenberg, une cité-dortoir du Cap, a été témoin ces dernières années d'une exécution sommaire devant l'entrée de l'établissement -- un homme abattu de trois balles en pleine tête -- et a perdu un élève, tué dans une fusillade mais après la classe.


Au Cap, des écoliers sur la ligne de feu de la guerre des gangs
Mais la violence des gangs qui se battent pour contrôler le trafic de drogue n'a jamais été pire que cette année. Ils ont transformé le quartier en quasi zone de guerre: les balles fusent, empêchant les enfants de dormir et d'aller à l'école.

"Cette année c'est la pire. Ca dure depuis si longtemps et ça ne semble pas prêt de cesser", soupire Brenda Manuel, qui dirige depuis 38 ans l'école Rio Grande.

Depuis l'apartheid et la construction de ces logements collectifs dans un quartier destiné à tenir à l'écart les métis, Manenberg a toujours été synonyme de violence. Mais en août, le risque de balles perdues a atteint un niveau insoutenable.

De juin à mi-août, il y a eu dix morts, dont sept en juillet. "En juin, on avait une moyenne de quatre à cinq fusillades par semaine. En juillet c'est monté à 24 voire 31 en une seule semaine", précise Chris Bauermeester, surintendant de l'unité de police du Cap affectée aux opérations spéciales.

Mi-août, une quinzaine d'établissements de ce quartier ghetto sont restés temporairement fermés, et 12.000 élèves strictement consignés chez eux après une explosion du nombre de fusillades quotidiennes.

Depuis, plus d'une centaine de policiers ont été déployés à grand renfort de sirènes et de gyrophares, et un semblant de trève s'est instauré entre gangs rivaux, les Americans et les Hard Livings, littéralement les Américains et les Durs, sans faire revenir la tranquillité mais apportant un peu de répit et de silence entre deux échanges de tirs.

Des hommes ont créé des couloirs de sécurité pour que les enfants puissent se rendre à l'école, et des policiers en faction ont fait leur apparition à l'entrée des établissements, y compris aux portes des écoles primaires.

On pourrait penser que les enfants -- dont la plupart ont des frères ou des cousins affiliés à un gang -- ne font plus guère attention aux coups de feu. "Mais je pense qu'ils ont peur", confie une institutrice de Rio Grande, Magdalene Paulse. Sa salle de classe fait face à un coin de rue où récemment les tirs ont fait rage pendant les heures de classe. "Ils entendent ça toutes les nuits et ils doivent se planquer", ajoute-t-elle.

"Dans la maison, il faut se coucher par terre, sous le lit. Si tu entends des coups de feu alors que tu es dehors, tu dois courir", explique un jeune garçon dans la rue.

Kerishney Adams, une fillette de 13 ans, confirme: "Je ne me sens jamais en sécurité", dit-elle, avouant qu'elle préfère se boucher les oreilles à chaque détonation. Depuis l'arrivée de la police, elle ressent "comme un soulagement". Dans sa classe, sa quarantaine de camarades ont tous, sans exception, déjà entendu des coups de feu au moins une fois dans leur vie.

Succession de petits immeubles décrépits couverts de graffitis, auxquels les habitants ont rajouté des baraquements de fortune, style bidonville, Manenberg, privé de verdure, est un concentré de tout ce que la misère, la ségrégation raciale et le manque d'espoir peut produire: un habitant sur trois se drogue.

Avec du "tik", une substance connue en Europe sous le nom de "crystal meth" et dont la fumée s'inhale pour donner un sentiment enivrant de joie de vivre, d'énergie et de confiance en soi. A Manenberg, cela se vend comme du chewing gum, 1,50 à 2 euros la dose. La marijuana coûte moins de 40 centimes d'euros et une pastille de Mandrax, un calmant, pas tout à fait 4 euros.

"Tout Manenberg tient sur 9 km2, c'est donc une toute petite petite zone pour écouler la dope et il faut rentabiliser. Les gangs passent leur temps à empiéter sur les plates-bandes les uns des autres, et c'est la bagarre permanente pour ça", commente Emile Gelderbloem, un policier de l'unité municipale anti-drogue.

"C'est malheureux à dire mais beaucoup de mes élèves deviennent des gangsters. Beaucoup d'anciens élèves circulent armés, c'est très triste", reprend Mme Manuel, dans la salle des professeurs de son école.

De 2007 à 2011, les quartiers du Cap victimes des gangs ont enregistré 532 meurtres, soit environ un tous les trois jours. Mairie et gouvernement provincial, tenus par l'opposition, ont demandé le renfort de l'armée. L'ANC, au pouvoir dans le pays, a fait jusqu'à présent la sourde oreille.


           

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