Mais les urnes ont tranché et lui ont infligé un véritable camouflet. Car si les onze candidats du Hezbollah ont bel et bien été élus, comme le découpage électoral sur base confessionnelle le leur garantissait, les législatives libanaises 2009 illustrent le désaveu pas sa propre communauté de celui qui se présentait comme «le patriarche politique» des chrétiens. Ce désaveu coûte à l'opposition un Parlement qu'elle escomptait bien dominer, après des mois de campagne débridée. Lire la suite l'article
Le recul de Aoun
En effet, entre votes sunnites et chiites acquis d'avance au Courant du Futur de Saad Hariri pour les uns et au tandem chiite Hezbollah/Amal pour les autres, il revenait à la communauté chrétienne de faire pencher la balance. Les précédentes élections de 2005 (basées sur une différente loi électorale en raison de laquelle le vote chrétien était «absorbé» par celui des musulmans dans de nombreuses circonscriptions) avaient fait de Michel Aoun la figure dominante de la scène chrétienne avec plus de 70% des voix dans cette communauté. Aoun bénéficiait alors d'un capital de sympathie considérable: il revenait de quinze ans d'exil en France d'où il combattait la tutelle syrienne, et se présentait comme celui qui allait redonner aux chrétiens leur place sur l'échiquier libanais. Les troupes syriennes venaient de se retirer, sous la pression conjuguée d'une population excédée par l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, et d'une communauté internationale décidée à mettre fin à quinze années d'occupation.
Depuis, Aoun a fait de nombreux choix que les élections de dimanche ont sanctionnés: son alliance, non seulement avec le Hezbollah à la veille d'un conflit sanglant entre Israël et le Parti de Dieu, mais aussi avec des partis prônant ouvertement le rattachement du Liban à la Syrie; sa participation au blocage pendant un an et demi du centre de la capitale pour exiger le départ du gouvernement Siniora ; l'expression évidente d'une ambition présidentielle inassouvie, quitte à tourner le dos à un Occident dont les chrétiens libanais se sentent traditionnellement proches, etc. Ces éléments ont contribué au revirement d'un électorat ne se reconnaissant pas dans cette politique et sur lesquels sont venus se greffer les avertissements du patriarche maronite Nasrallah Sfeir. Autant celui-ci avait favorisé la victoire d'Aoun en 2005, autant ses critiques à peine voilées depuis 2006 ont probablement contribué au résultat inverse en 2009.
Le poids des expatriés libanais
Ainsi, les résultats sont sans appel: alors que sa coalition comptait 22 élus en 2005, Michel Aoun ne disposera plus que de 17 députés dans le prochain Parlement, loin des 40 prévus. Même dans les régions considérées comme des fiefs aounistes, ses députés auront été élu avec une marge faible, en dépit d'une participation aux élections record oscillant entre 60 et 70% (pour une moyenne nationale de 54,08%, de 20% supérieure au taux de 2005), et souvent avec le net support de l'électorat chiite, mobilisé massivement en faveur de Aoun par le Hezbollah. Par ailleurs, la diaspora libanaise s'est engagée fortement dans la bataille: quelque 19.000 expatriés libanais - dont beaucoup arrivant d'Amérique du Nord - seraient retournés au Liban dans le courant de la semaine pour aller voter, essentiellement dans les zones chrétiennes. De façon caractéristique, ces électeurs ont choisi les listes correspondant à la fois à la façon dont le résultat du vote influencera les relations du Liban avec leurs pays d'adoption et donc leur vie quotidienne d'expatriés, et au modèle démocratique en vigueur dans ces pays.
En ce sens, leur objectif est atteint: à l'étranger, une victoire de l'opposition libanaise aurait été essentiellement perçue comme une victoire du Hezbollah, ce qui aurait fait encourir au Liban le risque d'être classé dans l'axe radical Hamas-Syrie-Iran. L'impact d'une telle perception n'aurait pas été négligeable, tant la survie économique du pays du Cèdre est intrinsèquement dépendante de sa stabilité politique. L'économie libanaise est littéralement sous perfusion, soutenue par les aides et prêts internationaux d'une part, et par les transferts financiers des émigrés libanais d'autre part. Si le nouveau mandat accordé à la majorité ne résout pas l'ensemble des problèmes du Liban, il évite en tout cas que de nouveaux viennent s'y greffer.
Et après?
En revanche, une nouvelle problématique se pose désormais: la majorité va devoir former un gouvernement dans lequel, selon la coutume libanaise, l'ensemble des communautés religieuses sera représenté. Compte tenu de la domination exercée par le Hezbollah sur les chiites, et du poids réel qu'exerce son arsenal paramilitaire sur toute décision politique au Liban, je suis persuadée que le futur gouvernement sera «d'union nationale», comptant des membres de l'opposition. Toute la question sera de savoir dans quelles proportions: la majorité et le président de la République Michel Sleiman se sont déjà prononcés contre la formule du «tiers de blocage» qui prévalait dans le précédent cabinet et qui accordait donc un tiers des portefeuilles à l'opposition. Toute décision n'ayant pas l'aval de tous était bloquée. Or les officiels du Hezbollah — qui ne bénéficie plus du prestige et de la couverture nationale que lui garantissait le parti de Aoun via les chrétiens — ont d'ores et déjà fait savoir qu'ils escomptaient bien obtenir ce tiers de blocage: «La spécificité du Liban réside dans sa diversité, il n'y a ni majorité ni minorité. Aucun parti ne peut prétendre avoir la majorité parmi toutes les communautés [...] Le Hezbollah réaffirme que le Liban ne peut être gouverné que par le partenariat», a déclaré Hassan Fadlallah.
Cette configuration ramène le pays face aux mêmes dilemmes que ceux qui avaient conduit à une interminable crise institutionnelle en 2006, émaillée d'émeutes et de violences. Le Hezbollah comptait alors des ministres au gouvernement, mais s'en était retiré lorsque ce dernier avait voulu faire passer un projet de loi que le parti désapprouvait (en l'occurrence l'approbation de la formation du Tribunal International pour le Liban). Dès lors, le cabinet avait été jugé «illégitime», ce qui justifiait le recours à tous les excès.
Plus important encore, le député Mohammad Raad a affirmé lundi que «la majorité doit maintenant s'engager à ne pas remettre en question le rôle résistant du parti, la légitimité de notre arsenal et le fait qu'Israël est un ennemi d'Etat». Raad ne mâche pas ses mots: «le résultat des élections donne le signal de nouvelles turbulences politiques. Ces résultats indiquent que la crise se poursuivra, à moins que la majorité ne change d'attitude.» L'allusion aux événements de mai 2008 est à peine masquée: en restant dans une posture relativement confortable d'opposant, le Hezbollah peut poursuivre sa stratégie de blocage du processus démocratique, fort d'un arsenal qu'il est prêt à protéger par la force. Pour le professeur de sciences politiques Tony Atallah, les perspectives sont inquiétantes: «Je crains un autre 9 mai. Rien n'a changé dimanche car il n'y a ni vainqueur, ni vaincu, dans le sens où il n'y a pas de majorité qualifiée des deux tiers. Il faudra certainement plusieurs mois pour la formation d'un nouveau gouvernement car l'opposition va probablement bloquer les institutions.»
Qu'un mai 2008 se représente pour d'autres motifs un an après est donc tout à fait probable. Il explique la retenue avec laquelle la majorité célèbre sa victoire, consciente qu'elle est confrontée à un nouveau défi: gouverner, tout en évitant que le Liban ne replonge dans la violence.
Le recul de Aoun
En effet, entre votes sunnites et chiites acquis d'avance au Courant du Futur de Saad Hariri pour les uns et au tandem chiite Hezbollah/Amal pour les autres, il revenait à la communauté chrétienne de faire pencher la balance. Les précédentes élections de 2005 (basées sur une différente loi électorale en raison de laquelle le vote chrétien était «absorbé» par celui des musulmans dans de nombreuses circonscriptions) avaient fait de Michel Aoun la figure dominante de la scène chrétienne avec plus de 70% des voix dans cette communauté. Aoun bénéficiait alors d'un capital de sympathie considérable: il revenait de quinze ans d'exil en France d'où il combattait la tutelle syrienne, et se présentait comme celui qui allait redonner aux chrétiens leur place sur l'échiquier libanais. Les troupes syriennes venaient de se retirer, sous la pression conjuguée d'une population excédée par l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri, et d'une communauté internationale décidée à mettre fin à quinze années d'occupation.
Depuis, Aoun a fait de nombreux choix que les élections de dimanche ont sanctionnés: son alliance, non seulement avec le Hezbollah à la veille d'un conflit sanglant entre Israël et le Parti de Dieu, mais aussi avec des partis prônant ouvertement le rattachement du Liban à la Syrie; sa participation au blocage pendant un an et demi du centre de la capitale pour exiger le départ du gouvernement Siniora ; l'expression évidente d'une ambition présidentielle inassouvie, quitte à tourner le dos à un Occident dont les chrétiens libanais se sentent traditionnellement proches, etc. Ces éléments ont contribué au revirement d'un électorat ne se reconnaissant pas dans cette politique et sur lesquels sont venus se greffer les avertissements du patriarche maronite Nasrallah Sfeir. Autant celui-ci avait favorisé la victoire d'Aoun en 2005, autant ses critiques à peine voilées depuis 2006 ont probablement contribué au résultat inverse en 2009.
Le poids des expatriés libanais
Ainsi, les résultats sont sans appel: alors que sa coalition comptait 22 élus en 2005, Michel Aoun ne disposera plus que de 17 députés dans le prochain Parlement, loin des 40 prévus. Même dans les régions considérées comme des fiefs aounistes, ses députés auront été élu avec une marge faible, en dépit d'une participation aux élections record oscillant entre 60 et 70% (pour une moyenne nationale de 54,08%, de 20% supérieure au taux de 2005), et souvent avec le net support de l'électorat chiite, mobilisé massivement en faveur de Aoun par le Hezbollah. Par ailleurs, la diaspora libanaise s'est engagée fortement dans la bataille: quelque 19.000 expatriés libanais - dont beaucoup arrivant d'Amérique du Nord - seraient retournés au Liban dans le courant de la semaine pour aller voter, essentiellement dans les zones chrétiennes. De façon caractéristique, ces électeurs ont choisi les listes correspondant à la fois à la façon dont le résultat du vote influencera les relations du Liban avec leurs pays d'adoption et donc leur vie quotidienne d'expatriés, et au modèle démocratique en vigueur dans ces pays.
En ce sens, leur objectif est atteint: à l'étranger, une victoire de l'opposition libanaise aurait été essentiellement perçue comme une victoire du Hezbollah, ce qui aurait fait encourir au Liban le risque d'être classé dans l'axe radical Hamas-Syrie-Iran. L'impact d'une telle perception n'aurait pas été négligeable, tant la survie économique du pays du Cèdre est intrinsèquement dépendante de sa stabilité politique. L'économie libanaise est littéralement sous perfusion, soutenue par les aides et prêts internationaux d'une part, et par les transferts financiers des émigrés libanais d'autre part. Si le nouveau mandat accordé à la majorité ne résout pas l'ensemble des problèmes du Liban, il évite en tout cas que de nouveaux viennent s'y greffer.
Et après?
En revanche, une nouvelle problématique se pose désormais: la majorité va devoir former un gouvernement dans lequel, selon la coutume libanaise, l'ensemble des communautés religieuses sera représenté. Compte tenu de la domination exercée par le Hezbollah sur les chiites, et du poids réel qu'exerce son arsenal paramilitaire sur toute décision politique au Liban, je suis persuadée que le futur gouvernement sera «d'union nationale», comptant des membres de l'opposition. Toute la question sera de savoir dans quelles proportions: la majorité et le président de la République Michel Sleiman se sont déjà prononcés contre la formule du «tiers de blocage» qui prévalait dans le précédent cabinet et qui accordait donc un tiers des portefeuilles à l'opposition. Toute décision n'ayant pas l'aval de tous était bloquée. Or les officiels du Hezbollah — qui ne bénéficie plus du prestige et de la couverture nationale que lui garantissait le parti de Aoun via les chrétiens — ont d'ores et déjà fait savoir qu'ils escomptaient bien obtenir ce tiers de blocage: «La spécificité du Liban réside dans sa diversité, il n'y a ni majorité ni minorité. Aucun parti ne peut prétendre avoir la majorité parmi toutes les communautés [...] Le Hezbollah réaffirme que le Liban ne peut être gouverné que par le partenariat», a déclaré Hassan Fadlallah.
Cette configuration ramène le pays face aux mêmes dilemmes que ceux qui avaient conduit à une interminable crise institutionnelle en 2006, émaillée d'émeutes et de violences. Le Hezbollah comptait alors des ministres au gouvernement, mais s'en était retiré lorsque ce dernier avait voulu faire passer un projet de loi que le parti désapprouvait (en l'occurrence l'approbation de la formation du Tribunal International pour le Liban). Dès lors, le cabinet avait été jugé «illégitime», ce qui justifiait le recours à tous les excès.
Plus important encore, le député Mohammad Raad a affirmé lundi que «la majorité doit maintenant s'engager à ne pas remettre en question le rôle résistant du parti, la légitimité de notre arsenal et le fait qu'Israël est un ennemi d'Etat». Raad ne mâche pas ses mots: «le résultat des élections donne le signal de nouvelles turbulences politiques. Ces résultats indiquent que la crise se poursuivra, à moins que la majorité ne change d'attitude.» L'allusion aux événements de mai 2008 est à peine masquée: en restant dans une posture relativement confortable d'opposant, le Hezbollah peut poursuivre sa stratégie de blocage du processus démocratique, fort d'un arsenal qu'il est prêt à protéger par la force. Pour le professeur de sciences politiques Tony Atallah, les perspectives sont inquiétantes: «Je crains un autre 9 mai. Rien n'a changé dimanche car il n'y a ni vainqueur, ni vaincu, dans le sens où il n'y a pas de majorité qualifiée des deux tiers. Il faudra certainement plusieurs mois pour la formation d'un nouveau gouvernement car l'opposition va probablement bloquer les institutions.»
Qu'un mai 2008 se représente pour d'autres motifs un an après est donc tout à fait probable. Il explique la retenue avec laquelle la majorité célèbre sa victoire, consciente qu'elle est confrontée à un nouveau défi: gouverner, tout en évitant que le Liban ne replonge dans la violence.