Barack Obama ferme Guantanamo


Vendredi 23 Janvier 2009 - 15:33
Le Point.fr/Patrick Sabatier


Tout comme la première, la seconde journée de Barack Obama à la Maison Blanche a été dominée par la politique étrangère. En ordonnant par décret présidentiel la fermeture de la prison de Guantanamo, le nouveau président a honoré une promesse électorale.


Barack Obama ferme Guantanamo
Mais il a surtout envoyé un message très clair à l'intention du reste du monde : les États-Unis sont de nouveau déterminés à respecter le droit international, qu'ils avaient traité par le mépris pendant les huit années de la présidence de George W. Bush, et entendent restaurer leur stature morale.

Une majorité des Américains - 53 % précisément - sont opposés à la détention de suspects de terrorisme sur la base navale située à Cuba. Mais la question de Guantanamo n'est certainement pas une de leurs préoccupations les plus pressantes en cette période de crise économique et de poursuite des guerres en Irak et Afghanistan. Si Barack Obama a choisi la fermeture de Guantanamo comme première mesure de son mandat, en même temps que l'interdiction de la torture et la fermeture des prisons secrètes de la CIA, c'est autant par stratégie diplomatique que par obligation morale.

"Nous sommes déterminés à vaincre les terroristes"

Comme l'a expliqué l'amiral Dennis Blair, nouveau patron des services de renseignements, Guantanamo et ses prisonniers cagoulés en combinaison orangée était devenu "un symbole négatif pour le monde entier et un outil de recrutement pour les terroristes qui met en péril notre sécurité nationale". De la même manière, le recours à des techniques d'interrogatoire qui relèvent de la torture contre les suspects de terrorisme n'est "ni moral, ni légal, ni efficace", a expliqué l'amiral, détaillant devant la commission du renseignement du Congrès l'approche de la nouvelle administration. "Toute mesure de détention et d'interrogation doit être conforme aux conventions de Genève, à la convention sur la torture et à notre Constitution".

"Nos idéaux nous assurent la supériorité morale" sur les terroristes, a rappelé Barack Obama, flanqué d'une brochette d'ex-généraux et amiraux lors de la cérémonie télévisée de signature de ses premiers décrets ( executive orders )."Nous sommes déterminés à vaincre [les terroristes], mais nous nous battrons à notre façon", c'est-à-dire dans les respect de l'État de droit et des principes moraux dont George W.Bush avait jugé pouvoir s'affranchir au nom de l'impératif de sécurité nationale. Dans son discours d'investiture mardi, Obama avait proclamé son refus de se laisser enfermer dans "le dilemme entre le respect de nos idéaux et les nécessités de la sécurité nationale". Pour la nouvelle administration américaine, le respect des droits de l'homme et de la loi internationale sont finalement des armes plus précieuses dans la guerre contre l'islamo-terrorisme que la torture et la détention arbitraire.

Mais l'action d'Obama est aussi prudente dans la réalité que spectaculaire dans l'affichage de la rupture avec l'ère Bush. Son conseiller juridique, Greg Craig, qui avait dès mercredi soir expliqué à des membres du Congrès la nouvelle politique, a reconnu qu'Obama entend tenir compte des préoccupations des membres de la communauté du renseignement, qui estiment que la guerre au terrorisme ne peut pas toujours être livrée avec efficacité dans le strict respect des normes juridiques de l'état de paix. Les décrets pris jeudi laissent ouverte la possibilité que les services de lutte antiterroriste puissent avoir recours à des méthodes d'interrogatoire musclées qui aillent au-delà des normes militaires, et qu'ils puissent procéder à des arrestations, détentions et transferts de prisonniers en secret et hors tout cadre juridique. Ils ne suppriment pas les tribunaux militaires d'exception, qui ont été mis en place pour juger les détenus de Guantanamo.

Guantanamo pourra rester en place encore un an

La prison devra fermer ses portes, mais elle pourra rester en place pendant encore un an. C'est que l'administration Obama n'a pour l'heure pas de réponse à la question du sort qui doit être fait aux 245 prisonniers qui s'y trouvent encore, dont une soixantaine, comme l'a reconnu lui-même Barack Obama, sont "extrêmement dangereux". Que faire, par exemple, du "cerveau" autoproclamé des attentats du 11-Septembre, Khaled Sheikh Mohamed, s'il ne peut pas être condamné par un tribunal ordinaire parce qu'il a été torturé ? Quel sort réserver à Oussama ben Laden si le chef d'al-Qaeda venait à être capturé ? Où les détenir, et devant quel tribunal les juger ?

Des juristes proches de l'équipe Obama ont proposé d'incarcérer sans jugement les "ennemis combattants" que sont les militants djihadistes dans des prisons militaires sur le sol américain. Mais cela reviendrait à recréer Guantanamo sur le sol national. Ou de les transférer dans une prison afghane placée sous contrôle de l'Otan, un Guantanamo "internationalisé", en quelque sorte. Certains proposent la création d'une sorte de Cour de sûreté de l'État, dotée de procédures d'exception, pour juger les personnes accusées de terrorisme. Un certain nombre des détenus de Guantanamo pourraient certes être libérés. Mais ils ne peuvent pas être renvoyés dans leur pays d'origine sans risque pour leur vie. C'est le cas, par exemple, d'une douzaine de Chinois musulmans d'ethnie ouïghoure, capturés en Afghanistan. Avant même que Barack Obama n'entre à la Maison Blanche, son équipe avait lancé des ballons d'essai, demandant aux Européens d'accepter certains de ces militants islamistes, car leur libération sur le sol américain provoquerait à coup sûr une tempête de protestations. Les Européens en discutent, mais sans grand enthousiasme.

La décision d'en finir avec Guantanamo conforte le préjugé favorable dont jouit Barack Obama dans le monde entier, et contribue à rompre l'isolement des États-Unis sur la scène internationale, mais elle ne met pas fin au casse-tête. Pas davantage que les deux autres mesures fortes de la journée : la prise en main du département d'État par Hillary Clinton - confirmée mercredi soir au poste de secrétaire d'État -, et la nomination - annoncée dès mercredi - de deux émissaires spéciaux, des diplomates chevronnés ayant fait leurs preuves sous l'ère Clinton, pour s'attaquer aux deux dossiers les plus explosifs du moment. L'ex-secrétaire d'État adjoint Richard Holbrooke, architecte de la paix dans les Balkans, va tenter de déminer la poudrière Afghanistan/Pakistan et Inde. Et l'ex-sénateur (démocrate) George Mitchell, négociateur de la paix en Irlande du Nord, devra chercher le moyen de remettre Israéliens et Palestiniens sur le chemin d'une paix jusqu'à présent introuvable.


           

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