Des Africains s'inspirent d'HEC pour vendre leur coton


Mardi 20 Janvier 2009 - 09:31
Le Monde.fr/Laetitia Clavreul


"Evolution de l'environnement concurrentiel", "chaîne de valeurs", "segmentation de produits"... Ces termes ne sortent pas de la bouche d'as du marketing, mais de producteurs de coton africains.


Des Africains s'inspirent d'HEC pour vendre leur coton
Venant de treize pays de l'ouest et du centre du continent, tous responsables ou techniciens de syndicats cotonniers, ils se sont réunis du lundi 12 au vendredi 16 janvier, à Ségou, au Mali. Avec une idée en tête, "faisons nos affaires nous-mêmes", du nom de la session de l'Université du coton, dont ils suivent le deuxième module, après une semaine passée en 2008 au Burkina Faso.

La formation est dispensée par deux professeurs d'HEC, spécialistes de stratégie et de leadership, et payée par la Fondation pour l'agriculture et la ruralité dans le monde (FARM). L'initiative en revient à l'Association des producteurs de coton africains (Aproca), qui regroupe les unions nationales africaines de producteurs de coton. C'est aussi elle qui a décidé du contenu.

Ces producteurs africains, on les avait découverts lors des négociations de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Cancun (Mexique) en 2003 et à Hong-Kong en 2005 où, sous la houlette du Burkinabé François Traoré, figure emblématique de l'agriculture africaine, ils avaient sensibilisé l'opinion publique à l'injustice du commerce mondial. Aujourd'hui, les subventions américaines au coton perdurent, et leur combat n'a toujours pas été récompensé. Il n'a pas été vain pour autant.

C'est en effet à Cancun que M. Traoré a pris conscience qu'il fallait s'armer. Il se souvient du choc ressenti. Dans sa délégation, ils étaient quatorze. En face, il y avait 600 négociateurs américains de haut niveau. "C'est paradoxal. L'Afrique regorge de matières premières et est absente du commerce mondial. Nous allons continuer à nous battre en nous formant pour nous faire une place dans la mondialisation", affirme-t-il aujourd'hui, alors que la crise du coton africain s'est aggravée et que le ralentissement économique mondial inquiète.

Devant un auditoire dissipé, en plein exercice de présentation des enseignements de la semaine, le Ghanéen Mohammed Nashiru Adam lance : "Nous avons appris que, quand on a un genou à terre, on doit continuer de se battre !" Applaudissement général. La bonne humeur est de mise, comme le port du boubou, même si quelques-uns ont opté pour le costume.

Les cours sont basés sur des études de cas : le lancement difficile du cheddar néo-zélandais, la montée en puissance du français Malteurop, nouveau numéro un mondial des malteurs. Daniel Genton, professeur de stratégie, présente la "matrice des valeurs" des montres. Il y a les Seiko, "une valeur sûre pour avoir l'heure", les Cartier, "signes d'une appartenance sociale", ou encore les marques de distributeur, "montres de dépannage". Toutes ne se vendent pas au même prix. "Attention, les acheteurs essayent toujours de focaliser la discussion sur le prix, et il y a toujours un concurrent qui propose moins cher. Cela s'appelle la spirale de la destruction de valeur", prévient le formateur.

Pas facile cependant de comprendre comment appliquer l'exemple au coton. Le lendemain, sur suggestion d'une participante, l'exercice sera réexpliqué avec les différentes qualités de basins, tissu damassé prisé en Afrique. "Il faut savoir vendre avant de produire, et distinguer les besoins du marché", essaye de convaincre M. Genton. L'Afrique, marginale au niveau de la production mondiale de coton (5 %), se place toujours parmi les principaux exportateurs. Il y existe clairement des opportunités de produire de la haute qualité, donc de bien valoriser la marchandise, car le coton y est cultivé avec peu d'engrais et récolté à la main.

"Si vous ne vous y intéressez pas, d'autres capteront la valeur à votre place et vous ne serez que des producteurs à façon", insiste le professeur. Chaque participant y trouve son intérêt. "Si notre société cotonnière, la CMDT, est privatisée, les producteurs auront un rôle à jouer. Il nous faut un minimum de bagages pour réussir à en tirer profit, explique le Malien Soloba Mady Keita. Nous étions des syndicalistes, il va falloir qu'on devienne des gestionnaires."

Passer le relais

"Cette formation nous aide à réaliser que, dans la compétition mondiale, nous fournissons du coton de qualité", remarque le Gambien Omar Sompo Ceesay. Comme les lusophones, cet anglophone a droit à la traduction simultanée des cours, dispensés en français. Le soir, en bambara, parlé par beaucoup, la communication entre producteurs des divers pays est facilitée. L'idée est désormais d'offrir cette formation à deux autres groupes de 40 personnes, puis de passer le relais à des professeurs africains. Elle est aussi de préparer la relève de François Traoré, âgé de 56 ans.

Dans le milieu français du développement, cette initiative de formation des élites ne fait pas l'unanimité. Parce que les cours de HEC coûtent cher, et que la formation à la gestion des producteurs de base et l'alphabétisation semblent à certains plus adaptées. "C'est en formant des leaders qu'on va impulser une nouvelle dynamique", répond Bernard Bachelier, le directeur de FARM, soutenue par des fonds publics et privés. Pour lui, son projet ne doit pas être concurrent des soutiens classiques, mais complémentaire.


           

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