Des forces complexes se cachent derrière le voile


Vendredi 17 Juillet 2009 - 20:37
Cgnews - Hdhod - Aloysious Mowe


Aloysious Mowe (Hdhod) - Juxtaposer les opinions du président Obama et du président Sarkozy sur le port du voile par les musulmanes peut nous inciter à promptement condamner la position de l’un et à faire l’éloge de la position de l’autre. A travers un prisme, leurs positions pourraient caractériser d’un côté, le respect de la liberté religieuse et, de l’autre, une interférence injustifiée dans les questions religieuses.


Des forces complexes se cachent derrière le voile
A travers un autre prisme, ces mêmes positions pourraient être considérées comme un libéralisme multiculturel naïf par opposition à une compréhension pragmatique des dangers auxquels l’Etat français laïque se trouve confronté.

Nous faisons un amalgame trop rapide de la notion de séparation de l’Eglise et de l’Etat en France et aux Etats-Unis, alors que l’histoire de chacune de ces deux nations a engendré de subtiles et d’importantes différences dans la manière d’appréhender la séparation.

La conviction du président Obama selon laquelle l’Etat ne devrait pas empêcher ‘‘les citoyens musulmans de pratiquer leur religion comme ils jugent bon de le faire’’ trouve ses origines dans les clauses relatives au libre exercice et à l’établissement contenues dans le premier amendement de la Constitution. L’histoire de ces clauses est celle des pèlerins qui ont fui les contraintes imposées par l’Etat sur leur liberté religieuse dans l’Ancien Monde.

La lettre de Thomas Jefferson de 1802 adressée à l’Association des Baptistes de Danbury exprimait cette conviction de la façon suivante: ‘‘Croyant comme vous que la religion est une question qui ne se pose qu’entre l’homme et son Dieu, qu’il ne doit rendre de compte de sa foi ou de sa dévotion à personne d’autre, que les pouvoirs légitimes du gouvernement n’atteignent que les actions et non pas les opinions, je médite avec un respect souverain l’acte de l’ensemble du peuple américain qui a déclaré que son assemblée législative ne devrait pas faire de lois concernant l’établissement d’une religion ou interdisant le libre exercice de celle-ci, érigeant ainsi un mur de séparation entre l’Eglise et l’Etat.’’

Le mal qui est supposé être exclu dans la notion américaine de la séparation de l’Eglise et de l’Etat est la tyrannie de l’Etat sur ‘‘l’Eglise’’ ou la religion. La position du président Obama concernant les vêtements que les musulmanes devraient être autorisées à porter est totalement en harmonie avec cette conception de la séparation de l’Eglise et de l’Etat: l’Etat ne devrait pas dicter ce qu’une religion exige de ses fidèles.

Par ailleurs, la laïcité française s’est développée non sous l’emprise de la peur du pouvoir de l’Etat mais par crainte du pouvoir de l’Eglise catholique. En France, c’est l’histoire des guerres de religion et, plus tard, les campagnes menées par l’Eglise catholique contre la République qui ont influencé la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le mal que cette séparation est supposée exclure est celui du pouvoir de la religion organisée par opposition aux droits de la personne.

On peut dire beaucoup de bien des efforts de rapprochement du président Obama avec les musulmans mais cette approche qui ratisse large peut parfois nous laisser songeurs quant à la profondeur de sa compréhension des questions qui sont en jeu. Sa rhétorique au sujet de la liberté religieuse de porter le voile peut faire un excellent leitmotiv mais elle ne tient pas compte de la réalité de coercition et d’intolérance qui existe dans certaines communautés musulmanes.

Lorsque l’indépendante commission Stasi, mise en place par le président Chirac en 2003, s’est prononcée à la quasi-unanimité en faveur d’une loi visant à interdire le port du foulard dans les écoles françaises, l’argument le plus fort et le plus convaincant qui a été avancé par ses membres était que la nouvelle loi protégeait les filles ne voulant pas porter le foulard contre toute pression pouvant être exercées sur elles pour les y contraindre.

De telles pressions sont réelles et présentes dans beaucoup de communautés musulmanes. En Malaisie, par exemple, les jeunes filles musulmanes qui ne portent pas le voile à l’école sont soumises à de fortes pressions sociales de la part des enseignants et de leurs camarades. L’université internationale et islamique de Malaisie a introduit une loi en 2004 qui oblige même les étudiantes non-musulmanes à porter le voile.

Cette forme de coercition en Malaisie est le reflet d’un Etat sous haute surveillance, sponsorisé par l’islam. Si l’on tente de renoncer à l’islam, on risque d’être placé dans des prétendus centres de détention, d’être contraint à payer une amende et à purger une peine de prison. En résumé, en Malaisie, les musulmans n’ont pas le droit de déterminer leur propre religion ou d’exercer leur liberté de conscience.

Il peut aussi arriver que certaines musulmanes prennent volontairement le voile, comme signe d’identité visible et imposant, ou parce qu’elles sont profondément convaincues que leur foi exige une telle tenue. Une telle conviction et une telle absence de coercition ne sont, en aucun cas, un phénomène universel dans les communautés musulmanes. Le président Obama est sans doute préoccupé par l’Etat qui dicte ce que la femme musulmane doit porter mais que faudrait-il faire au regard des autorités religieuses ou des chefs de famille qui imposent de telles règles aux femmes?

Protéger les fidèles musulmans contre le pouvoir de l’Etat? Ou protéger les citoyens musulmans contre le pouvoir de l’ordre musulman établi? C’est là la vraie question, une question que le président Obama a esquivé mais aussi, peut-être, une question que le président Sarkozy a trop brutalement résolue: Comment l’Etat va t-il s’assurer que la conscience des femmes musulmanes soit respectée, non pas seulement par l’Etat mais aussi par leur propre autorité religieuse? Les inquiétudes de ceux qui défendent le modèle français de la laïcité ne devraient pas être trop facilement écartées sous prétexte qu’elles défendraient une interférence étatique infondée dans les affaires religieuses.

Le port du voile n’est pas une simple expression de la foi de la part des femmes musulmanes.

Vu sous un angle positif, ce peut être l’expression d’un pouvoir conféré aux femmes par lequel les celles-ci refusent d’être considérées par les hommes comme des objets sexuels et grâce auquel elles prennent le contrôle sur leur propre corps. Porter le voile peut aussi être la marque provocante et nécessaire d’une identité dans un monde où la méfiance à l’égard des musulmans est largement répandue.

D’un autre côté, le voile peut aussi être un moyen de contrôle dans les sociétés patriarcales et conservatrices et, pour certaines femmes qui prétendent le porter volontairement, il peut être l’expression d’une crainte intériorisée de leur propre sexualité.

Il nous faut comprendre ces aspects avant de proposer ou de critiquer l’interdiction du voile.


           

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