Disparition de Claude Durand, pilier de Fayard et de l'édition française


Vendredi 8 Mai 2015 - 16:07
AFP


Saint-Germain-des-Prés ne sera plus jamais comme avant: "l'empereur Claude", "le pape de l'édition", Claude Durand, PDG de Fayard pendant 30 ans, traducteur de Gabriel Garcia Marquez, éditeur de Soljenitsyne, Kadaré et Houellebecq, est mort.


Disparition de Claude Durand, pilier de Fayard et de l'édition française
Ecrivain, traducteur de l'anglais et de l'espagnol, et surtout pilier de l'édition française, Claude Durand est décédé dans la nuit de mercredi à jeudi à l'âge de 76 ans à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, a annoncé Fayard jeudi.

Claude Durand "a façonné pendant 50 ans le paysage littéraire et intellectuel à travers ses choix sans concession, contre tous les pouvoirs et à rebours du conformisme", a réagi l'Elysée dans un communiqué, en saluant un "ancien instituteur qui avait une conception élevée de la République".

Jacques Attali a estimé que la France perdait "un grand fils", évoquant un "ami loyal, et un citoyen exigeant" tandis que Patrice Poivre d'Arvor saluait "un homme libre".

Reprenant un titre de Julien Gracq, la ministre de la Culture Fleur Pellerin a rendu hommage à un "grand découvreur de talents" qui a servi la littérature "de toutes les façons": "En lisant, en écrivant".

Devenu "l'empereur" de Saint-Germain-des-Prés, le quartier de l'édition à Paris, Claude Durand est pourtant un enfant de la banlieue, né le 9 novembre 1938 à Livry-Gargan, en Seine-Saint-Denis.

Au cours de sa carrière, il a multiplié les "coups" d'édition permettant de lever le voile sur des vérités dormant dans le subconscient français, comme l'enquête de Pierre Péan, "Une jeunesse française" (1994), révélant le passé vichyste de François Mitterrand. Autre coup d'édition, "La Face cachée du Monde", par le même Pierre Péan et Philippe Cohen (2003).

Mais ses principaux faits d'armes concernent la littérature. De combat. C'est lui qui fera connaître aux lecteurs français le géant colombien Gabriel Garcia Marquez en 1967, avec "Cent ans de solitude", dont il réalise une traduction avec son épouse, avant même la parution du livre en espagnol en France.

Puis ce sera le coup de tonnerre du colossal ouvrage "L'Archipel du Goulag" d'Alexandre Soljenitsyne, expulsé d'URSS, dont Claude Durand devient l'agent et le complice jusqu'au décès de l'écrivain russe en 2008.

Dans les poids lourds de la littérature mondiale, il s'occupe aussi de l'Albanais Ismaïl Kadaré.

- Dénoncer un 'esprit d'imposture' -

Le parcours de Claude Durand passe par trois des plus belles maisons françaises, le Seuil d'abord, qu'il quitte déçu de ne pas avoir été choisi pour succéder à l'emblématique éditeur Paul Flamand. Grasset ensuite, rival littéraire et politique du Seuil, classé plus à droite, où sa rivalité avec Jean-Claude Fasquelle vire à l'aigre.

C'est là néanmoins qu'il obtient une reconnaissance de son propre talent d'écrivain en recevant le prix Médicis pour "La nuit zoologique".

Puis, il rejoint en 1980 les éditions Fayard où il va régner pendant quasiment 30 ans, alternant coups médiatiques, oeuvres littéraires de longue haleine, et livres de stars et personnalités politiques de tous bords.

En 2005, il arrache à prix d'or Michel Houellebecq à Flammarion. Il met aussi le pied à l'étrier à de jeunes éditeurs comme Sophie de Closets.

En 2010, après avoir quitté Fayard, il écrit sous pseudonyme, d'une plume acerbe et impertinente, "J'aurais voulu être éditeur" (François Thuret).

Lors de sa parution, il avoue que le système des prix littéraires en France est biaisé par la cooptation des jurés dans le petit monde très fermé de l'édition. "La méthode la plus courante est le troc de voix" entre jurés dépendant de telle ou telle maison d'édition, explique-t-il alors.

Dans sa dernière interview, datant du 26 avril, au Figaro, Claude Durand, qui continuait d'éditer une trentaine d'auteurs après avoir quitté Fayard en 2009, évoquait son dernier roman, "Usage de Faux" (Editions Bernard de Fallois), une histoire d'imposture.

"Ce que j'ai voulu dénoncer, c'est l'usurpation dans le monde de l'édition, le formatage, les masques que beaucoup portent, le mensonge. C'est tout un esprit d'imposture", expliquait-il.

En novembre 2013, "l'empereur Claude" avait postulé à l'Académie française mais n'avait pas été retenu. Dans son interview du 26 avril, il disait: "Si j'avais été élu, j'aurais été immortel. J'ai été battu, je n'en mourrai pas".


           

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