Emeutes. ADDI Lahouari « Le peuple algérien réclame un Etat »


Jeudi 20 Janvier 2011 - 14:06
Salah Ziad


Soulignons qu’ADDI Lahouari est actuellement professeur Des Sciences Politiques à l’Université de Lyon en France et que ses contributions et analyses sur l’Algérie sont publiés dans la presse nationale et internationale.


ADDI Lahaouari
ADDI Lahaouari
Algerie-Focus.Com : Que vous inspirent les émeutes que vit l’Algérie depuis quatre jours ?

ADDI Lahaouari : Ces émeutes ne m’étonnent pas. Parce que je constate que l’administration est paralysée et ne fournit pas les services aux populations. Il y a une rupture totale entre le régime et la société algérienne. Parce que le régime ne veut pas que la société algérienne se dote de ses propres représentants.

Actuellement ce régime est en tout point semblable au régime colonial. Issu du mouvement national, il a perdu la grandeur qui a motivé ce mouvement. Il s’est figé et a fini par sombrer dans la corruption, l’incompétence et pour enfin tourner le dos à la société.

Mais comment peut-on expliquer ces émeutes ?

Il y a des indices de la manipulation. On peut avancer l’hypothèse que ces émeutes sont l’expression des luttes entre Bouteflika et les Généraux. Mais au-delà de ces explications, il y a une réelle insatisfaction au niveau de la société. Il y a une réelle demande d’un État en Algérie que le régime ne peut plus satisfaire. Il est quand même révélateur qu’un pays jeune comme l’Algérie est dirigé par un Président malade et complètement effacé de la sphère politique.

L’hypothèse de la manipulation ne résiste pas à l’analyse quand on observe l’âge des émeutiers. Ils sont pour la plupart des adolescents ?

Je précise que la manipulation est une hypothèse parmi d’autres pour expliquer ce qui se passe. Ce qu’il faut retenir c’est le fond réel de l’insatisfaction. Nous sommes en présence d’un régime autiste. Son schéma est le suivant : les militaires qui choisissent le personnel politique et administratif. Le critère de choix est l’obéissance à l’armée, donc incompétents et corruptibles. L’armée refuse que ce pays se dote d’un État de droit.

Peut-on faire le parallèle avec les événements d’Octobre 88 ?

L’exercice de la politique est interdit en Algérie par l’armée. Par politique j’entends le choix par le peuple de ses représentants et aussi la possibilité de demander des comptes à ces représentants. Si la protestation était véhiculée par des institutions légales, elle ne s’installera pas dans la rue.

C’est symptomatique que dans un pays où 40% des jeunes sont en chômage, le personnel de l’Etat est engagé dans une course effrénée pour l’enrichissement.

Il est temps que les militaires prennent la mesure du désastre et initient un changement par voie pacifique. Il est temps de débloquer la situation en ouvrant la télévision nationale et lui rendre son caractère public. Il est plus qu’urgent de laisser s’exprimer librement les différents courants politiques dans notre pays. Il ne faut plus que le sang coule dans ce pays, ni celui du policier ni celui du jeune émeutier.

D’autant que le changement est inéluctable. La dynamique de 1962 est totalement épuisée et doit céder la place à une autre.

Certains pensent que ces émeutes ont encore une fois montré le déphasage des partis politiques existants par rapport aux préoccupations des citoyens ?

Il y a de très petits partis qui ne gênent aucunement le régime. En plus ces partis n’ont aucun ancrage populaire. Comme je l’ai avancé plus haut, du moment que le libre exercice de la politique est interdit on ne peut pas parler de partis politiques.

Nous constatons encore une fois que les élites intellectuelles ont été prises par surprise par ces émeutes. Exactement comme Octobre 88 et l’émergence du mouvement islamiste radical durant les années 90 ?

Effectivement, les élites universitaires ont été surprises par l’émergence du mouvement islamiste. Parce que nous ne connaissions pas notre société. Parce que dans nos universités nous spéculions sur les figures spéculatives. Nous avions un langage des pieds noirs. Mais pour les émeutes, tout le monde s’y attendaient. Je peux vous dire que le peuple algérien est patient. On lui refuse depuis fort longtemps un État.

Certains avancent que ces émeutes visent Ouyahia à qui on prête des prétentions de présidentiable. Aussi, on indique ici et là que ces émeutes visent les mesures initiées par le premier ministre dans la loi de finances complémentaires de 2009. Qu’est ce que vous en pensez de ces lectures des événements ?

Réellement nous ne sommes pas informés. Les cercles du pouvoir en compétition se murent dans leur silence. Aucun leader ne s’y est exprimé jusqu’ici. Aucun Général, puisque je considère le Général comme acteur politique de premier ordre, n’a daigné donner une conférence de presse et éclairer l’opinion publique sur ce qui se passe dans le pays.

Les acteurs ne parlent pas. On ignore si ces émeutes sont l’œuvre d’un clan pour faire partir Bouteflika ou au contraire elles sont l’œuvre du clan présidentiel pour amener l’armée à investir la rue pour tuer des citoyens et se discréditer totalement aux yeux de la population. Nous sommes dans l’opacité la plus totale.

Tous les acteurs tiennent le peuple dans le mépris le plus total. En fait, l’Algérie est encore dans le moyen âge européen. Avec un Roi qui est Bouteflika et des cardinaux qui sont les généraux. Et qui se disputent leur bien qui est l’Algérie.


           

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