En Chine, la photographie en miroir de la crise


Lundi 5 Janvier 2009 - 18:31
Le Monde.fr/Emmanuelle Lequeux


Des usines désaffectées, où les ruines du travail jonchent le sol ; des brumes mélancoliques (la pollution ?) traversées de silhouettes désemparées laissant prise au vide ; les visages doux des ethnies traditionnelles de Mongolie, décimées par le progrès...


En Chine, la photographie en miroir de la crise
Telle est l'image que la Chine a donné d'elle-même lors de la 4e édition du Festival de photographie de Lianzhou, organisée durant le mois de décembre 2008. A quatre heures de bus de Guangzhou (Canton), cette grise cité-champignon entourée de montagnes en pain de sucre accueille chaque année près de quatre-vingts expositions dans d'anciennes usines de chaussures et de bonbons ou des silos désaffectés.

Un défi dans ce pays qui a fait de son art contemporain l'un des outils culturels de sa conquête du monde, mais qui a négligé la photographie comme médium artistique. Il demeure très difficile ici pour un photographe de vivre de son art. Et seuls de rares collectionneurs chinois s'intéressent au genre. Est-ce cette misère dans laquelle les photographes vivent qui les rend plus sensibles à la réalité de leur pays que leurs acolytes plasticiens ? Le fossé apparaît en tout cas énorme. Quand les arts plastiques livrent de la Chine un visage vif, gai, plein de couleurs, la photographie ausculte ses failles.

Parmi les rares photographes de rue à avoir témoigné des bouleversements des années 1980, le sage Mo Yi raconte dans ses clichés noir et blanc le désarroi négligé de son peuple : "Les années post-Mao ont vu le bouleversement de nos habitudes, et ont créé un déséquilibre flagrant : 99 % de la population a regardé le dernier 1 % s'enrichir très rapidement. Dans ce 1 % se mêlent d'anciens prisonniers qui se sont lancés dans le commerce aussi bien que des gens proches de la politique ou du pouvoir."

Vers un horizon perdu

Même analyse chez Luo Dan, l'une des révélations de cette édition : "Les valeurs qui existaient avant sont détruites, les gens aujourd'hui n'en font plus qu'à leur tête et ne pensent qu'à l'argent, qui ne produit que des joies éphémères"... Très marqué par la Beat Generation et ses écrivains, à commencer par Jack Kerouac, cet ancien photoreporter constate un terrible contraste avec la Chine actuelle : "Cette génération américaine, qui a eu la chance de profiter de la reconstruction de l'après-guerre, a su mettre le spirituel au-dessus du matériel. Nous vivons aujourd'hui en Chine dans une ambiance similaire, mais nous sommes au contraire très matérialistes. Grâce à mes photos, j'aimerais faire prendre conscience aux gens que tout cela n'est que vanité."

Avec ses paysages figés dans la brume, ses personnages regardant vers un horizon perdu, ce photographe de Chengdu livre une superbe vision de sa mélancolie. En chinois, ce terme se traduit par "triste et blessé". Des adjectifs qui pourraient s'accorder à un pays qui prend la crise de plein fouet ? Dans les représentations qu'elle offre ici d'elle-même, la Chine semble en tout cas déboussolée. "Nous avons pressenti cette crise, nous avons senti son odeur avant qu'elle n'arrive, analyse Duan Yuting, directrice artistique du festival. C'est une réaction au développement trop rapide dans le domaine économique aussi bien que dans le domaine de l'art. Nous essayons au contraire de montrer des oeuvres qui s'attachent à regarder la réalité en face."

Mais quelle réalité ? Le festival offre une réponse complexe, honorant par exemple avec le Prix de la mémoire, l'un des grands propagandistes de Mao, Shi Shaohua. Très critiqué dans les années 1980, il mettait en scène dans ses clichés la noblesse des jeunesses communistes, l'âpreté au combat des libérateurs de la révolution de 1949... "Aujourd'hui, nous avons compris que ces photos témoignent de la réalité, c'est la vraie Chine du passé qu'il montre", se défend le commissaire de cette exposition, Bao Kun.

Voilà qui témoigne du rapport paradoxal que la Chine entretient avec son passé récent. Commandées par le parti dans les années 1950, les photographies de Shi Shaohua ont été cachées par le gouvernement pendant la Révolution culturelle, qui a engendré la destruction de multitudes d'images. Elles sont toujours aux mains des autorités, qui produisent des tirages afin de les vendre aux collectionneurs. Pour les responsables du festival, les montrer répond à un besoin de faire prendre conscience de la richesse de ce patrimoine photographique, et de sa rareté : de l'avant-49, il reste infiniment peu de témoignages. Amplement malmené par l'Histoire, ce trésor demeure, aujourd'hui encore, très mal préservé.


           

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