Excursion sur les sommets de l’Arabie Heureuse


Dimanche 15 Mars 2009 - 09:02
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Des paysages inattendus et un climat surprenant dans un pays souvent perçu comme une immense étendue aride. Nous sommes à Abha, où la nature est verdoyante et vierge. Il fait un temps humide, brumeux, vif. Rien à voir avec la chaleur sèche de Riyad [capitale de l’Arabie Saoudite] ni avec la moiteur pesante de Khobar, sur la côte du Golfe.


Excursion sur les sommets de l’Arabie Heureuse
Nous sommes à 2 200 mètres d’altitude, sur une montagne en forme de cône dont on aurait tranché la pointe pour aménager une surface horizontale. C’est là, sur ce plateau, que se situe Abha. La ville est entourée d’une route circulaire bordée d’acacias et d’arbres hybrides qui restent verdoyants toute l’année. Pour atteindre la place centrale de la ville, on peut emprunter n’importe quelle rue à partir de cette route circulaire : vos pas vous mèneront vers le centre sans risque de vous perdre.
Quand nous sommes arrivés, ma femme, mes enfants et moi-même, nous nous sommes inquiétés du manque d’oxygène. Et de la fine poussière, omniprésente, provenant du désert du Rub Al-Khali [le “Quart vide”, aussi appelé le “désert des Déserts”]. Par la suite, nous avons surtout été émerveillés par la qualité de l’air, dans lequel on perçoit le léger parfum des genévriers qui monte des flancs de la montagne. Les nuages d’Abha se soustraient aux regards en se confondant avec les maisons, en se nichant dans les rues et en jouant avec les rayons du soleil. Un des quartiers de la ville s’appelle Dabab [Brouillard] – en réalité, il ne s’agit pas de brouillard, mais de quelque chose de plus clair, de plus léger, de plus vaporeux. Comme je pense qu’il faut parfois se laisser emporter si l’on ne veut pas rester à la surface des choses, j’ai flâné dans les nuages d’Abha et j’ai longuement respiré son air tonique et vivifiant. En ce lieu, il pleut hiver comme été. En hiver, ce sont d’impressionnantes averses, tandis que, en été, c’est un spectacle de son et lumière. Les éclairs fusent et semblent suivre une trajectoire tracée par de gros câbles de cuivre luisant. Les coups de tonnerre résonnent avec une telle puissance qu’ils vous font sursauter en pleine nuit ; ils vous arrachent de vos rêves et vous donnent l’impression que des roulements de tambour s’abattent sur le toit.
Abha se trouve dans la province saoudienne de l’Assir, frontalière du Yémen. Il n’est donc pas étonnant que ses habitants ressemblent aux Yéménites, jusque dans leur comportement. Ce sont des montagnards aux traits rudes, dont les colères éclatent et retombent tout aussi brusquement. Les moments de détente et de convivialité s’organisent autour d’un plat de viande de bouc, comme c’est la coutume chez les gens de la montagne et les éleveurs de chameaux.
Beaucoup de peuples sont passés par là en laissant chacun leur trace. A commencer par les juifs, qui se sont multipliés, après l’union de la reine de Saba avec le roi Salomon, dans le nord de l’actuel Yémen et dans le sud de l’actuelle Arabie Saoudite. Nombreux sont les noms de lieu qui rappellent l’influence hébraïque ou celle de vieux dialectes arabes. Des influences qui sont parfois difficiles à démêler, probablement parce que l’arabe, l’hébreu et le syriaque appartiennent à la même famille linguistique. Et puis il y a la forte empreinte des Ottomans, qui ont construit une multitude de fortins pour abriter leurs garnisons le long de la route reliant le Yémen à La Mecque et à Istanbul. La ville n’a pas échappé aux rapides transformations engendrées par l’essor pétrolier des années 1970. Les traces de la civilisation mondiale marquée par les nouvelles technologies sont évidentes et les portes de la ville sont ouvertes au tout-venant. Ainsi, dans la “rue des restaurants”, vous ne trouverez pas seulement des plats yéménites, tels que la crème au goût de qat, mais également des kebabs et des falafels libanais, des plats thaïlandais pimentés, des soupes chinoises et des currys indo-pakistanais. Le marché aux poissons est lui-même dominé par des marchands bengalis, alors que leurs produits proviennent de la mer Rouge et des côtes yéménites ou omanaises de la péninsule Arabique.
A la différence des villes égyptiennes ou libanaises, où l’on peut entrer au hasard dans un café en étant presque sûr d’y rencontrer des amis, Abha n’a pas une vie sociale très chaleureuse. Il faut s’y prendre au moins une semaine à l’avance pour fixer un rendez-vous avec une connaissance. A cause des lourdeurs protocolaires, mais aussi d’une sorte de paresse institutionnalisée.
Il y avait certes ce qu’on appelait le “village artistique”, avec ses boutiques d’artisanat traditionnel et ses bâtiments historiques, où les artistes de la ville se rencontraient à la recherche d’inspiration. Mais les cafés populaires, avec leur atmosphère intimiste, sont en train de disparaître, et c’est dans un très moderne Hyper Café que j’ai rencontré le poète d’origine palestinien Achraf Fayad. Il est né à Abha et m’a beaucoup parlé de la ville.
C’est avec lui que je me suis ensuite promené dans les montagnes escarpées de l’Assir, sur des routes sinueuses qui parcourent des pentes abruptes, mettant à rude épreuve les freins des voitures mais aussi les cœurs des passagers. Nous avons visité une vieille forteresse ottomane installée au sommet d’une montagne qui domine une vallée aussi profonde qu’une gorge de l’enfer. Nous sommes passés par plus d’une vingtaine de tunnels creusés dans le ventre de la montagne pour arriver à Jizane, sur la côte de la mer Rouge. C’est là également que l’on peut visiter le chemin de l’Eléphant, qui aurait été emprunté par Abraham l’Abyssin [roi chrétien du Yémen, d’origine éthiopienne, qui aurait marché sur La Mecque avec une troupe d’éléphants, lui-même étant sur le dos d’un éléphant blanc. La ville, qui était alors païenne, aurait miraculeusement résisté sous la conduite du grand-père de Mahomet. L’année de cette légendaire attaque est appelée “année de l’Eléphant” et serait l’année de naissance de Mahomet.] C’est un chemin de pierres, si étroit par moments qu’il suffit tout juste pour laisser passer un éléphant. Il nous ramène des siècles en arrière, comme si les pas de l’éléphant imprimaient encore leur marque sur nos esprits, évoquant la déception et les soupirs de l’Abyssin. C’est là également que les oiseaux ababil l’auraient bombardé de pierres de lave [selon la tradition musulmane]. On m’a dit qu’il s’agissait d’une espèce de pigeons qui existe encore à La Mecque, mais nulle part ailleurs au monde.
Le plus haut sommet de l’Assir, Al-Saoudah, s’élève à 2 910 mètres d’altitude. Il y fait froid et humide, un temps qui rend la vie dure en été et impossible en hiver. Il se trouve à environ une demi-heure d’Abha en voiture. De part et d’autre de la route, on voit des maisons d’un style très particulier – avec des murs en pierre volcanique noire et des fenêtres allongées encadrées de blanc, à la mode yéménite – qui donnent tout son cachet à la région. On remarque également des tours qui servaient probablement de minarets ou de tours d’observation.
Un arrêt à Tihamah [région côtière du Sud-Ouest saoudien] nous a permis de rencontrer des hommes habillés à la mode locale, avec une tunique courte, une couronne de myrrhe et un poignard à la ceinture. Il s’agissait de marchands qui vendaient des noix de coco importées du sultanat d’Oman, ainsi que du miel de lotus. On pouvait voir leurs marchandises arrimées sur le toit de leurs voitures garées le long de la route. Quelques heures plus tard, parvenus au sommet d’une longue route escarpée, nous nous sommes à nouveau arrêtés pour savourer un point de vue spectaculaire sur la vallée en sirotant tour à tour du Nescafé, du café turc, du thé et du maté.
Il était temps de rentrer à Abha. De ce dernier trajet, je garde surtout en mémoire l’image d’une multitude d’épouvantails en tuniques blanches veillant sur les petits champs qui s’étageaient en terrasses sur toute la hauteur de la montagne.


           

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