France: les danseurs de l'Opéra rangent leurs chaussons


Lundi 9 Décembre 2019 - 12:52
AFP


​Paris - C'était un spectacle inédit: parmi les centaines de milliers de manifestants défilant en France, jeudi dernier, contre la réforme des retraites, se trouvaient des danseurs de l'Opéra de Paris, un des plus prestigieux ballets au monde.


L'Opéra et la Comédie Française sont les seules institutions culturelles concernées par la réforme emblématique du président Emmanuel Macron: il s'agit de fusionner en un seul l'ensemble des 42 régimes actuels, dont ceux des cheminots, des conducteurs de métros et... du Ballet de Paris.

Le régime spécial de l'Opéra est un des plus anciens de France, puisqu'il date de 1698, sous Louis XIV.

La grève a déjà entraîné la semaine dernière l'annulation d'une dizaine de spectacles de ballet, d'opéra et de théâtre.

Ce n'est pas la première fois que le Ballet de l'Opéra, un des plus prestigieux au monde, est en grève, mais il est rare de le voir battre le pavé.

"En 20 ans dans cette maison, c'est la première fois que je vois des danseurs dans la rue", affirme à l'AFP Alexandre Carniato, danseur et élu à la Caisse des retraites de l'Opéra.

Sur les 154 danseurs du Ballet, "on était 120 à manifester, du corps de ballet aux étoiles", explique ce "quadrille" (dernier échelon dans la hiérarchie de la compagnie).

A 41 ans, il lui reste un an avant de tirer sa révérence, en raison d'une disposition singulière: la retraite à 42 ans. Elle tient compte de la "pénibilité" du métier, avec le risque de blessures et l'interruption prématurée de carrière et du fait que la majorité peut difficilement continuer à danser les grands ballets au-delà de cet âge avec le même niveau d'excellence.

"Le Ballet de l'Opéra de Paris est le seul employeur de France à former ses futurs salariés dès l'âge de 8 ans (...) les accidents de travail sont parmi les plus élevés de France", a tweeté Adrien Couvez, danseur de la compagnie.

A partir du moment où "on est embauché à 16 ans à l'Opéra, on fait une journée de 09H00 à 23H30... Plus on avance dans l'âge, plus on craint de ne pas aller au bout. A 40 ans, certains ont des hanches en titane", observe M. Carniato.

Une fois leur caisse spéciale supprimée, les danseurs craignent de voir leur pension disparaître.

"La plus grande contrainte est de retrouver un emploi" à 42 ans, selon M. Carniato.

"Ma pension de 1.067 euros me permettra de rebondir si je la cumule par exemple à un poste dans une école municipale où le salaire standard est de 1.200 euros", souligne-t-il.

Le ministre de la Culture avait confirmé à la chaîne d'information continue BFMTV que le régime de l'Opéra allait disparaître. "Est-ce que pour autant, on ne prendra pas en compte les réalités d'un certain nombre de métiers? Bien sûr que non", avait-il dit, sans en dire plus.

Jusqu'à présent, "on n'a pas de réponse. On ne sait pas à quoi s'attendre", assure M. Carniato.

Les danseurs défendent un régime avantageux qui fait des envieux dans les ballets régionaux comme Bordeaux ou Toulouse, dans le Sud-Ouest.

"Les danseurs de l'Opéra de Paris sont les seuls et uniques en France avec cette retraite privilégiée de 42 ans! Tous les autres danseurs sont la plupart du temps en CDD avec rien au bout!", a tweeté Marc Ribaud, directeur de la danse du ballet de l'Opéra de Nice (sud-est).

"J'estime qu'ils doivent être comme nous et pas le contraire", estime Carniato. "Si on veut que la troupe garde cette aura dans le monde, il faut que cette pension reste. Sinon les meilleurs danseurs partiront à l'étranger où ils seront trois fois mieux rémunérés".

L'Opéra est une vitrine culturelle de la France et l'Etat contribue à la moitié du financement de sa caisse de retraite (14 millions d'euros par an).

"Ce n'est pas parce qu'on travaille dans un palais (le palais Garnier de l'Opéra de Paris, ndlr) qu'on vit une vie de château", avait témoigné le danseur étoile Germain Louvet auprès du journal communiste Regards.


           

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