"Hanuabada", un sanctuaire pour les homosexuels de Port Moresby


Vendredi 30 Novembre 2018 - 10:28
AFP



Parce qu'il assume le fait d'être gay, Kapera Patrick a tout connu des violences et discriminations homophobes qui minent la société papouasienne. Mais sa vie a changé depuis qu'il vit à Hanuabada, "sanctuaire gay" de Port Moresby.

C'est un "quartier" à des années-lumière du centre de la capitale papouasienne qui a bénéficié d'un impressionnant lifting pour accueillir récemment, pour la première fois, le sommet Asie-Pacifique (Apec).

Hanuabada, c'est un regroupement branlant de milliers de cabanes construites sur pilotis et reliées entre elles par des planches de bois traîtresses, des "rues" sur lesquelles courent des enfants, habillés ou non. Et devant nombre de ces maisons de fortune, des cages enfermant un cochon, qui servira de nourriture ou de monnaie d'échange.

Hanuabada, dont le nom signifie "gros village", a été construit au-dessus de la mer car ses habitants pensent que l'eau les protège de la sorcellerie des peuples des montagnes.

Le mot, en tout cas, est passé que les gays pouvaient y vivre en sécurité, ce qui, ailleurs, ne va pas de soi dans un pays où l'homosexualité est toujours illégale.

Aujourd'hui, ce quartier de 50.000 habitants passe pour un havre de tolérance envers une communauté homosexuelle papouasienne qui commence petit à petit à s'affirmer.





"Avant, je vivais dans un endroit qui s'appelle Joyce Bay où j'était victime de violences", raconte Kapera Patrick, 24 ans. "On me jetait des bouteilles, des pierres. Puis j'ai entendu parler de cet endroit et une famille m'a fait venir et m'a accepté", poursuit celui qui travaille à temps partiel comme barman.

C'est "un endroit très libre et les gens me connaissent. Ils ne sont pas violents. Ils m'acceptent tel que je suis", dit-il à l'AFP.

Le "gros village" est même de temps en temps le théâtre de fêtes travesties et nombreux sont les homosexuels qui ont, ici, leur première expérience sexuelle.

Marelyn Baita, 29 ans, la "soeur" adoptive de Kapera Patrick, raconte comment cette communauté a grandi.

"Ils vivaient à l'extérieur, ils avaient peur de s'afficher, alors ils sont venus ici car certains de leurs amis les ont fait venir. Le village les connaît et les protège", explique-t-elle.

La communauté gay est acceptée ici car "c'est ainsi qu'elle est", poursuit-elle. "Nous ne pouvons pas les changer. C'est leur personnalité. C'est leur vie. Il faut les accepter comme ils sont."

A en croire les militants de la cause homosexuelle, les choses commencent un peu à s'améliorer au sein d'une société papouasienne notoirement homophobe. Mais les mentalités ne changeront pas fondamentalement tant que la sodomie n'aura pas été dépénalisée.





Parker Hou, qui a lui-même été battu et même délibérément brûlé en raison de sa sexualité, explique que cette "illégalité" prive dans les faits les homosexuels d'accès aux services médicaux et participe du taux élevé de l'infection au VIH.

"A cause de la loi, la plupart de nos amis se cachent. S'ils sont infectés, ils ont trop peur d'aller dans une clinique", observe cet homme de 44 ans, qui milite pour l'abolition de ce qu'il présente comme une rémanence de "l'Angleterre victorienne du 19e siècle".

"Nous utilisons cette loi anglaise à des fins de discrimination de nos propres citoyens de Papouasie-Nouvelle-Guinée. C'est tellement bête", lâche-t-il dépité.

Un des grands facteurs des préjugés homophobes est aussi le faible niveau d'éducation d'une population papouasienne dont près de la moitié est analphabète, selon David Lawrence, un militant de la cause gay.

Victime de persécutions en raison de sa sexualité et chassé de son école, David Lawrence est depuis devenu un militant reconnu des droits des homosexuels, au point d'avoir rencontré en 2015 la Reine Elizabeth, qui reste sur le papier le chef de l'Etat papouasien.





Il dit avoir rencontré des gays violés en raison de leur sexualité et fait état de trois d'entre eux qui ont été assassinés, vraisemblablement par des membres de leur famille ou de leur entourage qui avaient honte.

Mais les réseaux sociaux ont changé la vie de nombreux homosexuels ces dernières années, raconte Lesley Bola, qui travaille pour Onusida.

Ainsi les gays utilisent Facebook - souvent sous de faux noms - pour entrer en contact et "s'exprimer librement" sans crainte de représailles, explique cette quinquagénaire, qui dit avoir observé un réel changement d'attitude ces 10 dernières années.

Son travail consiste notamment à tenter de faire évoluer les mentalités dans le milieu médical. Ce qui est loin d'être gagné.

L'existence de lieux comme Hanuabada montre cependant que les perceptions peuvent évoluer quand il y a une plus grande exposition des gays, lesbiennes et transgenres.

"Quand mon père est venu ici la première fois et qu'il a vu des homosexuels, il ne pouvait pas y croire", raconte Marelyn Baita. "Il était tellement en colère."

"Ce sont des hommes mais ils s'habillent parfois comme des femmes", sourit-elle. "Il était en colère mais au fil des années, il s'est mis à les accepter."


           

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