Des membres du Front des défenseurs de l’islam brûlent une effigie du moine bouddhiste Ashin Wirathu, du mouvement extrémiste 969, connu pour ses violences contre les musulmans, pendant une manifestation devant l’ambassade de Birmanie, à Jakarta (Indonésie)
Dans le monde entier, la liberté religieuse ne cesse d'être menacée. À une autre époque, la foi subissait principalement l'hostilité des autocraties laïques ou des régimes totalitaires. Les choses ont changé. Aujourd'hui, les persécuteurs les plus actifs des religions minoritaires ou des dissidents religieux sont les extrémistes. Au cours de ce siècle encore jeune, le monde aura assisté à une augmentation spectaculaire du nombre de groupes extrémistes pour qui les «autres» religions se doivent d'être combattues en raison de leurs soi-disant transgressions.
Les États reconnus ne sont plus les seuls à commettre des abus, comme au temps de la Guerre froide. Au Moyen-Orient, l’État islamique est devenu le parangon d'une organisation terroriste épousant une odieuse idéologie, d'inspiration religieuse, et honnissant la diversité de pensée et de croyance. Ses attaques génocidaires sur les Yézidis, remontant déjà à l'année dernière, et le choix entre la «conversion ou la mort» offert aux chrétiens (documenté dans un article récent et très commenté du New York Times) en sont quelques preuves parmi les plus atroces. Mais les musulmans ne sont pas pour autant épargnés. Les chiites ou les sunnites dissidents peuvent aussi être condamnés à mort.
Le Moyen-Orient n'est pas la seule région du monde affectée par cette nouvelle tendance. En Asie du Sud, les talibans (que ce soit dans leur version pakistanaise ou afghane) s'en sont pris aux chrétiens et à d'autres non-musulmans, tout en attaquant de manière abjecte des sectes islamiques censées incarner les «mauvais» musulmans. En Birmanie, le Mouvement 969, formé par des moines bouddhistes radicaux, incite au lynchages de musulmans de la minorité Rohingya. Et ces moines extrémistes suivent le même programme que leurs homologues du Sri Lanka, qui prennent aussi pour cible les minorités chrétiennes et musulmanes de ce petit pays insulaire.
En Afrique, la violence de l'extrémisme religieux touche aussi un nombre croissant de pays. L'organisation terroriste Boko Haram s'en prend autant à des églises qu'à des mosquées qui s'opposent publiquement à son idéologie et à sa brutalité. En Centrafrique, des milices d'obédience religieuse auront commis des massacres dans les communautés chrétiennes et musulmanes. À divers endroits du continent, plusieurs extrémistes ont annoncé leur ralliement à l’État islamique, nouvelle franchise de la violence religieuse.
Une nouvelle réalité qui constitue un épineux défi pour la communauté internationale, et pour ses engagements en faveur des droits de l'homme et de la liberté religieuse. Ces groupes sont souvent hors de portée des canaux diplomatiques normaux. Ce que peut penser le monde leur importe peu, vu qu'ils cherchent activement à bousculer l'ordre international.
Consolider la lutte contre le terrorisme
Pour y réagir, il faut que les gouvernements réfléchissent à de nouvelles stratégies. Il n'existe pas de recette unique permettant de vaincre le sectarisme religieux. L'extrémisme religieux violent se nourrit de nombreux facteurs, souvent spécifiques à des contextes locaux. La réaction se doit donc d'être flexible, globale et coordonnée, elle ne doit pas se fragmenter entre divers bureaux et agences. La Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF), dont je suis le directeur chargé de la politique et de la recherche, a proposé l'an dernier une série de changements à appliquer au droit et à la politique afin de permettre aux États-Unis d'être en meilleure posture pour s'engager sur ces questions. Parmi ses recommandations, l'USCIRF conseille aux États-Unis de modifier sa liste des «pays particulièrement préoccupants» afin d'y intégrer les pires transgresseurs de la liberté religieuse même s'il s'agit d’États faillis ou d'acteurs non étatiques, d'augmenter les financements alloués aux recherches de terrain et d'accentuer l'importance de la tolérance et de la liberté religieuse dans ses campagnes de communication les plus stratégiques.
Une meilleure assimilation de la liberté religieuse dans les initiatives américaines visant à combattre Daech peut améliorer la lutte contre le terrorisme
Le problème de la liberté religieuse est enchevêtrée avec bon nombre des défis auxquels les États-Unis doivent faire face en matière de politique étrangère. C'est ce qu'aura reconnu le président Barack Obama en février dernier, lors du sommet contre «l'extrémisme violent», lorsqu'il a souligné combien la véritable démocratie et la stabilité politique requéraient la «liberté de religion» –parce que, lorsque les individus sont libres de pratiquer la foi qu'ils ont choisie, «une société composée d'éléments divers peut rester unie».
Par ailleurs, une meilleure assimilation de la liberté religieuse dans les initiatives américaines visant à combattre Daech, et d'autres extrémistes, peut améliorer la lutte contre le terrorisme. En fin de compte, la liberté religieuse est une question de liberté de penser –le droit pour les individus de croire ce qu'ils veulent et d'appliquer ces croyances dans leur vie, tant que ces applications sont pacifiques et non coercitives. Les environnements qui soutiennent la liberté religieuse sont ainsi mieux positionnés pour rejeter les idéologies violentes. La liberté religieuse n'est évidemment pas une panacée. Mais elle peut consolider la lutte contre le terrorisme en protégeant l'espace civique alloué à la diversité de pensée et de croyance.
Reste que les États-Unis ne peuvent être les seuls à mener ce combat. Les défis sont transnationaux, tant les groupes extrémistes se moquent des frontières et mélangent idéologie et criminalité. Pour permettre une réaction efficace, les pays valorisant la diversité de pensée et de croyance doivent, eux aussi, œuvrer de concert. Il existe déjà des initiatives multinationales de lutte contre le terrorisme et l'extrémisme, à l'instar du Forum mondial de lutte contre le terrorisme. D'autres initiatives sont en cours de réalisation et visent à construire des coalitions de gouvernements partageant un même état d'esprit favorable à la liberté de religion. Un réseau de législateurs internationaux a su tirer profit du capital politique de ses membres pour protéger la liberté religieuse au Pakistan, en Birmanie ou encore en Indonésie. Quant à l'Union européenne, son nouveau plan d'action en faveur des droits de l'homme accentue la promotion de la liberté religieuse et la protection des minorités, en se focalisant sur les vingt-huit nations qui la composent.
Législation religieuse oppressive
Et si les États-Unis, comme d'autres gouvernements, ont besoin de nouvelles stratégies proactives, ils doivent aussi décourager les mauvaises politiques mises en œuvre par des gouvernements partenaires et susceptibles d'alimenter l'extrémisme. Des études menées par le Pew Forum on Religion and Public Life ont montré que, si le monde est très largement religieux, les restrictions politiques sur la libre pratique religieuse sont en augmentation. C'est une recette d'instabilité et de violences accrues.
Dans bon nombre de régions, la brutalité des gouvernements aura transformé des extrémistes en martyrs et suscité des frustrations alimentant les logiques insurrectionnelles. Un récent rapport du département d’État américain sur le terrorisme consigne cette dynamique, notamment dans plusieurs pays d'Asie centrale. Pour ne donner qu'un exemple, ses données relatives au Tadjikistan soulignent «l'impact négatif sur les libertés religieuses» des actions gouvernementales cherchant à juguler l'extrémisme religieux, en interdisant par exemple aux femmes et aux mineurs de se rendre dans les mosquées. Des abus susceptibles de provoquer de violentes réactions. En 2010, le Mouvement islamique d’Ouzbékistan tuait ainsi vingt-cinq soldats tadjiks en représailles à la législation religieuse oppressive en vigueur dans ce pays et limitant la libre pratique de l'islam.
Les États-Unis doivent aussi décourager les mauvaises politiques mises en œuvre par des gouvernements partenaires et susceptibles d'alimenter l'extrémisme
Des groupes extrémistes peuvent aussi trouver l'inspiration dans les lois régressives des pays où ils opèrent. Prenez par exemple les lois contre le blasphème. Quand de telles lois sont officielles, des extrémistes se sentent souvent obligés de les faire respecter eux-mêmes. Au Pakistan, premier pays du monde en matière d'individus emprisonnés pour ce soi-disant «crime», la pénalisation du blasphème aura alimenté la violence extrémiste contre des défenseurs des droits de l'homme, voire suscité des lynchages contre des chrétiens ou des musulmans ahmadis. Sombre ironie de l'histoire, la pénalisation du blasphème renforce précisément les groupes extrémistes qu'une telle législation est censée combattre.
Des extrémistes religieux tuent des représentants de minorités religieuses ou des dissidents de leur propre foi, et représentent un danger aussi manifeste qu'actuel contre la diversité de pensée et de croyance. Ces groupes violents constituent, dans un avenir proche, un défi majeur pour les États-Unis et leurs alliés en termes de sécurité nationale, de préoccupations humanitaires et de droits de l'homme. À l'évidence, des régimes laïcs comme la Corée du Nord ou l’Érythrée poursuivront leurs abus, et les États-Unis comme la communauté internationale devront redoubler d'efforts pour exhorter ces régimes autoritaires à la réforme. Mais l'essor d'un extrémisme religieux violent nécessite une nouvelle perspective –un changement de cap qui verra les gouvernements reconnaître le problème, s'y adapter rapidement et œuvrer de concert afin de le résoudre.
Source
Les États reconnus ne sont plus les seuls à commettre des abus, comme au temps de la Guerre froide. Au Moyen-Orient, l’État islamique est devenu le parangon d'une organisation terroriste épousant une odieuse idéologie, d'inspiration religieuse, et honnissant la diversité de pensée et de croyance. Ses attaques génocidaires sur les Yézidis, remontant déjà à l'année dernière, et le choix entre la «conversion ou la mort» offert aux chrétiens (documenté dans un article récent et très commenté du New York Times) en sont quelques preuves parmi les plus atroces. Mais les musulmans ne sont pas pour autant épargnés. Les chiites ou les sunnites dissidents peuvent aussi être condamnés à mort.
Le Moyen-Orient n'est pas la seule région du monde affectée par cette nouvelle tendance. En Asie du Sud, les talibans (que ce soit dans leur version pakistanaise ou afghane) s'en sont pris aux chrétiens et à d'autres non-musulmans, tout en attaquant de manière abjecte des sectes islamiques censées incarner les «mauvais» musulmans. En Birmanie, le Mouvement 969, formé par des moines bouddhistes radicaux, incite au lynchages de musulmans de la minorité Rohingya. Et ces moines extrémistes suivent le même programme que leurs homologues du Sri Lanka, qui prennent aussi pour cible les minorités chrétiennes et musulmanes de ce petit pays insulaire.
En Afrique, la violence de l'extrémisme religieux touche aussi un nombre croissant de pays. L'organisation terroriste Boko Haram s'en prend autant à des églises qu'à des mosquées qui s'opposent publiquement à son idéologie et à sa brutalité. En Centrafrique, des milices d'obédience religieuse auront commis des massacres dans les communautés chrétiennes et musulmanes. À divers endroits du continent, plusieurs extrémistes ont annoncé leur ralliement à l’État islamique, nouvelle franchise de la violence religieuse.
Une nouvelle réalité qui constitue un épineux défi pour la communauté internationale, et pour ses engagements en faveur des droits de l'homme et de la liberté religieuse. Ces groupes sont souvent hors de portée des canaux diplomatiques normaux. Ce que peut penser le monde leur importe peu, vu qu'ils cherchent activement à bousculer l'ordre international.
Consolider la lutte contre le terrorisme
Pour y réagir, il faut que les gouvernements réfléchissent à de nouvelles stratégies. Il n'existe pas de recette unique permettant de vaincre le sectarisme religieux. L'extrémisme religieux violent se nourrit de nombreux facteurs, souvent spécifiques à des contextes locaux. La réaction se doit donc d'être flexible, globale et coordonnée, elle ne doit pas se fragmenter entre divers bureaux et agences. La Commission américaine sur la liberté religieuse internationale (USCIRF), dont je suis le directeur chargé de la politique et de la recherche, a proposé l'an dernier une série de changements à appliquer au droit et à la politique afin de permettre aux États-Unis d'être en meilleure posture pour s'engager sur ces questions. Parmi ses recommandations, l'USCIRF conseille aux États-Unis de modifier sa liste des «pays particulièrement préoccupants» afin d'y intégrer les pires transgresseurs de la liberté religieuse même s'il s'agit d’États faillis ou d'acteurs non étatiques, d'augmenter les financements alloués aux recherches de terrain et d'accentuer l'importance de la tolérance et de la liberté religieuse dans ses campagnes de communication les plus stratégiques.
Une meilleure assimilation de la liberté religieuse dans les initiatives américaines visant à combattre Daech peut améliorer la lutte contre le terrorisme
Le problème de la liberté religieuse est enchevêtrée avec bon nombre des défis auxquels les États-Unis doivent faire face en matière de politique étrangère. C'est ce qu'aura reconnu le président Barack Obama en février dernier, lors du sommet contre «l'extrémisme violent», lorsqu'il a souligné combien la véritable démocratie et la stabilité politique requéraient la «liberté de religion» –parce que, lorsque les individus sont libres de pratiquer la foi qu'ils ont choisie, «une société composée d'éléments divers peut rester unie».
Par ailleurs, une meilleure assimilation de la liberté religieuse dans les initiatives américaines visant à combattre Daech, et d'autres extrémistes, peut améliorer la lutte contre le terrorisme. En fin de compte, la liberté religieuse est une question de liberté de penser –le droit pour les individus de croire ce qu'ils veulent et d'appliquer ces croyances dans leur vie, tant que ces applications sont pacifiques et non coercitives. Les environnements qui soutiennent la liberté religieuse sont ainsi mieux positionnés pour rejeter les idéologies violentes. La liberté religieuse n'est évidemment pas une panacée. Mais elle peut consolider la lutte contre le terrorisme en protégeant l'espace civique alloué à la diversité de pensée et de croyance.
Reste que les États-Unis ne peuvent être les seuls à mener ce combat. Les défis sont transnationaux, tant les groupes extrémistes se moquent des frontières et mélangent idéologie et criminalité. Pour permettre une réaction efficace, les pays valorisant la diversité de pensée et de croyance doivent, eux aussi, œuvrer de concert. Il existe déjà des initiatives multinationales de lutte contre le terrorisme et l'extrémisme, à l'instar du Forum mondial de lutte contre le terrorisme. D'autres initiatives sont en cours de réalisation et visent à construire des coalitions de gouvernements partageant un même état d'esprit favorable à la liberté de religion. Un réseau de législateurs internationaux a su tirer profit du capital politique de ses membres pour protéger la liberté religieuse au Pakistan, en Birmanie ou encore en Indonésie. Quant à l'Union européenne, son nouveau plan d'action en faveur des droits de l'homme accentue la promotion de la liberté religieuse et la protection des minorités, en se focalisant sur les vingt-huit nations qui la composent.
Législation religieuse oppressive
Et si les États-Unis, comme d'autres gouvernements, ont besoin de nouvelles stratégies proactives, ils doivent aussi décourager les mauvaises politiques mises en œuvre par des gouvernements partenaires et susceptibles d'alimenter l'extrémisme. Des études menées par le Pew Forum on Religion and Public Life ont montré que, si le monde est très largement religieux, les restrictions politiques sur la libre pratique religieuse sont en augmentation. C'est une recette d'instabilité et de violences accrues.
Dans bon nombre de régions, la brutalité des gouvernements aura transformé des extrémistes en martyrs et suscité des frustrations alimentant les logiques insurrectionnelles. Un récent rapport du département d’État américain sur le terrorisme consigne cette dynamique, notamment dans plusieurs pays d'Asie centrale. Pour ne donner qu'un exemple, ses données relatives au Tadjikistan soulignent «l'impact négatif sur les libertés religieuses» des actions gouvernementales cherchant à juguler l'extrémisme religieux, en interdisant par exemple aux femmes et aux mineurs de se rendre dans les mosquées. Des abus susceptibles de provoquer de violentes réactions. En 2010, le Mouvement islamique d’Ouzbékistan tuait ainsi vingt-cinq soldats tadjiks en représailles à la législation religieuse oppressive en vigueur dans ce pays et limitant la libre pratique de l'islam.
Les États-Unis doivent aussi décourager les mauvaises politiques mises en œuvre par des gouvernements partenaires et susceptibles d'alimenter l'extrémisme
Des groupes extrémistes peuvent aussi trouver l'inspiration dans les lois régressives des pays où ils opèrent. Prenez par exemple les lois contre le blasphème. Quand de telles lois sont officielles, des extrémistes se sentent souvent obligés de les faire respecter eux-mêmes. Au Pakistan, premier pays du monde en matière d'individus emprisonnés pour ce soi-disant «crime», la pénalisation du blasphème aura alimenté la violence extrémiste contre des défenseurs des droits de l'homme, voire suscité des lynchages contre des chrétiens ou des musulmans ahmadis. Sombre ironie de l'histoire, la pénalisation du blasphème renforce précisément les groupes extrémistes qu'une telle législation est censée combattre.
Des extrémistes religieux tuent des représentants de minorités religieuses ou des dissidents de leur propre foi, et représentent un danger aussi manifeste qu'actuel contre la diversité de pensée et de croyance. Ces groupes violents constituent, dans un avenir proche, un défi majeur pour les États-Unis et leurs alliés en termes de sécurité nationale, de préoccupations humanitaires et de droits de l'homme. À l'évidence, des régimes laïcs comme la Corée du Nord ou l’Érythrée poursuivront leurs abus, et les États-Unis comme la communauté internationale devront redoubler d'efforts pour exhorter ces régimes autoritaires à la réforme. Mais l'essor d'un extrémisme religieux violent nécessite une nouvelle perspective –un changement de cap qui verra les gouvernements reconnaître le problème, s'y adapter rapidement et œuvrer de concert afin de le résoudre.
Source