Internet : Sale temps pour les pirates


Mardi 21 Avril 2009 - 10:26
courrierinternational.com/Sam Sundberg


Les députés français devraient se prononcer à nouveau sur la loi "création et Internet" le 29 avril. Ce jour-là, ils auront peut-être en tête le verdict du procès intenté par l'industrie du contenu contre le site de partage The Pirate Bay.


Internet : Sale temps pour les pirates
Coupable. Coupable. Coupable. Coupable. Les juges n'ont pas fait dans la demi-mesure au procès de The Pirate Bay, l'un des premiers sites de téléchargement au monde [voir CI n° 955, du 19 février 2009]. En condamnant les accusés à un an de prison ferme chacun et à un total de 30 millions de couronnes suédoises [2,7 millions d'euros] de dommages et intérêts, la justice suédoise tape du poing sur la table. Terminé le partage de fichiers. Ajoutez à ce verdict la directive européenne IPRED [sur le renforcement des droits de la propriété intellectuelle], la réputation de la Suède en tant que sanctuaire de pirates devient soudain aussi erronée que la prétendue liberté sexuelle de ses habitants.
Il est possible qu'un jour nous regardions la Toile des années 2000 avec nostalgie. Quelle époque ! Quelle liberté ! Quelle naïveté ! Que croyions-nous faire, au juste ? Bah, répondrons-nous d'un haussement d'épaules, c'était comme ça, à l'époque. L'autre possibilité est que nous regarderons en arrière en frissonnant. Pourquoi avons-nous voulu nous fermer la possibilité d'une diffusion illimitée de la culture sur Internet ? Qu'avions-nous dans la tête ?
Le jugement prononcé est une grande victoire pour l'industrie des contenus. C'est aussi une victoire pour le ministère de la Justice suédois, qui, en 2006, juste avant de s'en prendre à The Pirate Bay, avait demandé aux autorités policières de s'atteler au problème du partage de fichiers. Désormais, les hommes politiques n'ont plus à avoir honte devant les lobbyistes des industries du disque et du cinéma, qui, lors de rencontres internationales, avaient comparé la Suède – pays natal de The Pirate Bay – à des nations comme la Chine, où le piratage est une industrie et représente une grande part de l'économie nationale.
Les avocats de la partie civile ont naturellement toutes les raisons de célébrer ce verdict, mais les responsables du Parti pirate [Piratpartiet, formation politique qui a recueilli 0,68 % des suffrages aux élections législatives de 2006] semblent également satisfaits. La sévérité du verdict va certes à l'encontre de leurs convictions idéologiques sur la régulation d'Internet, mais elle apporte aussi de l'eau au moulin de leur campagne pour les législatives européennes. Le jugement n'a pas entraîné dans l'opinion suédoise de vague de sympathie pour les auteurs et leurs droits. Si beaucoup se réjouissent que les pirates se fassent tancer par la justice, le verdict conforte les adeptes du partage de fichiers dans l'idée que quelque chose ne tourne pas rond dans la législation suédoise. Résultat : les membres de The Pirate Bay passent pour des martyrs et le Parti pirate apparaît comme une option politique intéressante. Dans les cinq heures qui ont suivi l'énoncé du verdict, le parti a accueilli 2 000 nouveaux membres. Avant que son site Internet ne plante, submergé par l'affluence d'internautes.
Il est déjà certain que les condamnés feront appel, et que The Pirate Bay est loin d'avoir dit son dernier mot dans ce procès. Celui-ci est en effet d'une importance capitale, car il fera date dans le débat sur le partage de fichiers. Mais, maintenant que quatre hommes ont été condamnés pour complicité de violation du droit d'auteur, il serait temps d'arrêter la chasse aux coupables et d'élaborer des réponses concrètes, constructives, comme de nouveaux modèles commerciaux, le micropaiement ou le passage au payant pour le partage de fichiers. Tout ce qui peut aider à assortir la libre diffusion de la culture sur Internet à des conditions justes pour les professionnels de la culture. Un jour, nous regarderons la Toile des années 2000 en plissant les yeux d'un air pensif. Nous nous mordrons les lèvres et penserons : c'étaient des années difficiles, des années folles. C'était un rude procès. Mais il était nécessaire.


           

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