Irak: les membres des forces de sécurité ont fui devant les jihadistes


Samedi 14 Juin 2014 - 10:25
AFP


Beyrouth - Les membres des forces de sécurité irakiennes mal entraînées et minées par les conflits confessionnels ont jugé vain de sacrifier leur vie pour résister à l'avance fulgurante des jihadistes, expliquent les experts.


Au lieu de les affronter comme c'était leur devoir, soldats et policiers ont pris la poudre d'escampette lorsque les combattants de l'Etat islamique d'Irak et du Levant (EIIL) ont pris d'assaut cette semaine Mossoul, la deuxième ville d'Irak, dans le nord du pays.

Un sauve-qui-peut qui a permis aux jihadistes de sécuriser la province environnante de Ninive, avant de pousser leur avantage vers les provinces voisines de Kirkouk et Salaheddine et d'étendre leur territoire plus au sud dans la province de Diyala.

Les experts expliquent cette débandade par une myriade de difficultés au sein des forces de sécurité, citant un entraînement lacunaire, la corruption et le climat pesant du confessionnalisme.

Dès son arrivée en Irak, le "pro-consul" américain Paul Bremer avait décidé en mai 2003 d'en finir avec les forces armées de Saddam Hussein. Il avait signé deux décrets sur la "debaassification" (le Baas étant le parti au pouvoir) de la société et le démantèlement de l'armée, jetant à la rue des centaines de milliers de soldats et d'officiers aguerris, dont beaucoup avaient rejoint la rébellion et aujourd'hui l'EIIL.

"Cette armée n'a aucune maturité", assure Anthony Cordesman, expert du Centre pour les études internationales et stratégiques. Pour lui, la débaassification a signifié que "beaucoup de gens de qualité n'ont pu retrouver leur poste dans l'armée".

Selon lui, le problème a été exacerbé quand Washington et Bagdad ont échoué à signer un accord pour laisser des formateurs militaires après le départ des troupes américaines en 2011.

Les soldats "ont été formés à la va-vite, peu ont goûté au combat et la structure militaire était incohérente car les Américains pensaient rester encore deux ans supplémentaires", note-t-il.

Il cite aussi la corruption au sein de l'institution militaire, depuis les recrues qui achètent leur poste ou paient pour obtenir une promotion jusqu'au Premier ministre Nouri al-Maliki qui nomme des officiers supérieurs "non pas en fonction de leurs compétences mais en fonction de leur loyauté".

- Un moral au plus bas -

John Drake, analyste en matière de sécurité au groupe AKE, assure que les troupes étaient inexpérimentées et démoralisées par des "attaques surprises" répétées.

"Beaucoup d'entre eux sont morts et leur moral a été progressivement érodé par ces attaques qui ne leur ont pas donné une grande expérience de combats".

L'EIIL, en revanche, a fait ses armes avec Al-Qaïda et s'est formé dans les combats en Syrie et dans la rébellion en Irak.

Pour Ayham Kamel, un responsable du think-tank Eurasia Group, l'exacerbation des divisions confessionnelles a poussé beaucoup à la désertion.

Le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki a été accusé de mener une répression grandissante contre les sunnites.

Les quartiers chiites ont été la cible, pour leur part, d'une vague d'attentats menés par les extrémistes sunnites.

Dans le fief sunnite de Mossoul, ces tensions ont conduit des militaires chiites à baisser les bras et ne pas combattre les extrémistes, explique Ayham Kamel.

"Les habitants n'ont pas été particulièrement accueillants envers l'armée (...) les soldats chiites se sentaient loin de chez eux et considéraient qu'ils risquaient quotidiennement de se faire tuer pour une ville à laquelle ils n'étaient pas attachés", dit-il.

- Un effet boule de neige -

Les militaires sunnites, en revanche, ont trouvé des arrangements, dans plusieurs cas, durant l'offensive des jihadistes, note Kamal.

"Ils ont conclu des accords avec eux au terme desquels ils quittaient leur uniforme, laissaient leurs armes et pouvaient filer", dit-il.

Mais le large exode de Mossoul, de la part des forces de sécurité et des dizaines de milliers de civils, a eu un effet "boule de neige", assure M. Drake.

"Un moral bas et la terreur inspirée par l'image impitoyable de l'EIIL ont suscité un mouvement de masse quand l'attaque a eu lieu", dit-il.

M. Cordesman est de cet avis. Pour lui, même si les unités les mieux entraînées avaient tenté de résister cela n'aurait pas fonctionné. "Si vous avez trois unités militaires et que seulement une est bonne, elle ne peut tenir si les autres lâchent".


           

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