Japon : L'île de Shikoku en tortillard


Mercredi 8 Avril 2009 - 09:23
courrierinternational.com


Loin de l'image trépidante du Japon du XXIe siècle, l'île de Shikoku, au sud-ouest de Honshu, offre celle d'un pays paisible, fait de paysages campagnards et montagneux où le visiteur peut prendre le temps de la découverte.


Japon :  L'île de Shikoku en tortillard
Les gestes sont rapides et précis. Un vieux cordonnier au visage d'ascète officie, digne devant sa tâche. Il ignore la voix sucrée des haut-parleurs sur fond de boîte à musique. Pas de kimonos dans cette rue marchande. Mais la fraîcheur et l'harmonie des couleurs, le soin de la mise, et jusqu'à cette façon qu'ont les Japonaises de marcher à petits pas traînants et saccadés font que même un jean et un tee-shirt semblent sortir d'une estampe ancienne du peintre Hokusai. Une quinzaine d'heures d'avion venaient de me projeter dans cet autre côté du monde dont, souvent, ne nous parviennent que les reflets d'un miroir déformant. De l'île de Shikoku, longtemps demeurée à l'écart, j'avais fait ma destination. Mais ma première escale sera à Kurashiki, cité historique de l'île principale, Honshu.
Kurashiki
Les murs ont la couleur du thé vert. Faits de papier et de bois, portes et cloisons coulissent. Une calligraphie et une céramique ornent une alcôve. Incongru dans ce décor, un petit téléviseur rouge trône sur les tatamis, à même le sol. C'est une chambre comme on en trouve dans toutes les auberges japonaises traditionnelles, les "minshuku" qui, mi-chambres d'hôtes, mi-chambres d'hôtel de campagne, procurent gîte et couvert à prix raisonnable. Le voyageur étranger y trouve l'exotisme en plus. J'y logerai tout au long de ce voyage. Le lendemain matin : poisson grillé, œuf cru dans un bol de riz, algues séchées, prunes salées et soupe de soja fermenté. Surprenant à 8 heures du matin. Mais c'est succulent, alors même sans avoir faim…
Départ d'Okayama
Non loin de Kurashiki, c'est dans la vaste gare d'Okayama que j'obtiens mon précieux forfait Japan Rail Pass, sésame des trains japonais. Prêt pour le départ ! Dans les trains, la plupart des Japonais s'assoupissent tandis que la voix d'une hôtesse, sur fond de petites musiques de berceuses, égrène le nom des stations et des correspondances. Alors, il suffit de se laisser guider et gagner par le sommeil.
Seto-Ôhashi, le pont sous la brume
Il y a plus de vingt ans, un premier voyage m'avait fait embarquer sur un bateau pour traverser la mer Intérieure. De nos jours, plusieurs ponts relient Honshu à l'île de Shikoku. Celui-ci, le pont Seto-Ôhashi, mesure plus de 12 kilomètres. Les brochures touristiques vantent l'un des plus beaux paysages du Japon. C'est sans compter sur le brouillard et la pluie. L'horizon se limite, aujourd'hui, aux câbles supportant l'ouvrage. Bientôt nous atteignons Shikoku, dont le nom veut dire "quatre pays". Cette île montagneuse est rurale au sud et industrialisée au nord. Nous arrivons en gare de Matsuyama.
Matsuyama
Que ce soit dans un train de banlieue, un autobus ou un hydroglisseur, un conducteur nippon est toujours un personnage impressionnant. Sa casquette et son maintien impeccables lui confèrent l'allure et la prestance d'un commandant de bord de Boeing 747. Celui de l'antique tramway qui relie la gare au quartier de Dogo ne déroge pas à cette règle. Il a, en plus, une extraordinaire voix de baryton. Son caverneux "Dogo Onsen !", le nom de l'arrêt, provoque un sursaut parmi les voyageurs. Vieux de trois mille ans, Dogo est le "onsen" le plus célèbre du pays. Stations thermales bâties sur des sources d'eau chaude, les "onsen" sont, du nord au sud, l'objet d'une véritable passion. Ils ont des vertus thérapeutiques mais ce sont aussi les oasis d'un Japon ancien où viennent se ressourcer les Nippons. Des galeries de marchands de souvenirs débouchent sur un bâtiment du XIXe siècle aux multiples toits imbriqués les uns dans les autres. C'est ici qu'un monde de kimonos, de bruissements d'eau, de senteur de bois mouillé et de thé vert s'ouvre derrière un rideau couvert d'idéogrammes.
"Domo arigato gozaïmasu. Dôzo !" Après cette formule de remerciement, l'employée me désigne les tatamis d'une vaste pièce aux piliers de bois centenaires. Des calligraphies ornent les parois coulissantes. Je reçois un kimono de coton léger, un "yukata", et la petite serviette blanche qui, au bain, tient lieu de feuille de vigne. Alimentés par de lourdes fontaines de granit, les bassins des hommes sont séparés de ceux des femmes. Savonné et rincé, le non-initié ne devra entrer que très progressivement dans ces eaux brûlantes venues des profondeurs. Dix personnes, pas plus. Les regards sont absents. Au milieu de ces vapeurs soufrées semble venir le fameux vide intérieur. Le temps passe très lentement. Cette paresse apparente est peut-être le secret d'un peuple aussi actif.
Uchiko
De nouveau dans un wagon, un horaire des chemins de fer nippons sur les genoux et le nez collé à la vitre, je suis séduit par une nuance particulière du vert de la campagne. Je décide de m'arrêter, rien qu'une heure, à la minuscule gare d'Uchiko. Des magasins de la période d'Edo étirent leurs antiques volets de bois ajourés le long d'une ruelle. Une heure passe vite. Il faut remonter dans le train suivant.
Uwajima
Huit heures du soir, arrivée en gare d'Uwajima. Ici le béton de l'après-guerre des rues désertes a l'odeur de la province. Trop tard pour dîner dans ce bout du monde. Cependant, d'une échoppe me parviennent des effluves d'omelettes au poulpe, des "takoyaki". Pour moi la patronne rallume la plaque chauffante puis me raconte sa vie, le temps de la cuisson. Au matin, beau soleil de printemps. Un chemin mène au sanctuaire Taga Jinja où trône un gigantesque phallus de bois. Il n'y a point de malice dans ce culte de la fertilité venu des temps anciens. Dans les endroits reculés, il n'est pas rare de le rencontrer.
Uwajima-Kôchi à travers la montagne
Le lendemain, le wagon bringuebale au rythme des vallées vertes, des rizières et des cerisiers en fleur. Le bleu du ciel est celui des estampes de la célèbre route du Tokaïdo du peintre Hiroshige. A chaque village, montée et descente de mamans attentionnées, d'écoliers biens sages et d'anciens au sourire apaisant. Un incident rompt soudain cette harmonie. Le conducteur annonce un arrêt imprévu : un autre train doit passer. "Tout sera fait pour éviter le retard !" explique-t-il aux passagers. Seconde après seconde l'évolution de la situation est transmise avec force excuses. Puis le train redémarre et les quelques minutes sont facilement rattrapées. Alors que le train arrive à l'heure exacte, le conducteur prend un ton officiel pour présenter aux voyageurs ses excuses personnelles. Il leur demande, en outre, de bien vouloir accorder leur pardon à la compagnie des chemins de fer. Une telle humilité de la part des transporteurs nous est encore inconnue.
Kôchi
Souvent, une ville japonaise ressemble à un désordre de petites rues pittoresques entrecoupées de bretelles autoroutières. Telle n'est pas Kôchi. Ici, les brises de l'océan Pacifique, tout proche, font frémir les palmiers des larges avenues. Mais la lumière qui les inonde et la décontraction des promeneurs font qu'un souffle méditerranéen semble parcourir la ville.
Samedi soir, dans les galeries marchandes, des groupes de jeunes font leur fête de la musique. Rock, jazz, classique ou mélodies japonaises… On est très sage.
Le jour suivant, au pied du château Kôchi-jô se tient le grand marché du dimanche. Fruits, légumes, poissons et brocante ont les couleurs de l'Asie du Sud-Est avec, en plus, un sens, tout nippon de la chose ordonnée.
Le soir, je découvre mon auberge. Elle ressemble à un immeuble de bureaux. Cependant l'intérieur est traditionnel et typiquement japonais. Du dernier étage, un "onsen" entièrement vitré domine la ville. Après le bain, vêtu d'un "yukata", je dîne, assis en tailleur. La spécialité de Kôchi est le "maguro-no-tataki". Ces petits morceaux de thon, grillés un bref instant, restent crus à l'intérieur. Délicieuse, variée, riche en légumes et poissons, la cuisine nippone est savoureuse. Celle qui est récemment apparue dans notre pays n'en est souvent qu'un pâle reflet.
Noriko, la maîtresse des lieux, porte un kimono sombre. Elle s'agenouille pour le service. Qu'un étranger comprenne son accent des montagnes lui fait grand plaisir. Cela vaudra que ma coupe de saké chaud ne reste jamais vide. "Je viens d'un village presque inaccessible, me raconte-t-elle. Enfant, j'y avais appris à toujours respecter un animal croisé en chemin, car il peut être habité par un esprit, un ‘kami'. D'ailleurs, si vous allez dans un sanctuaire, il faut toujours claquer deux fois des mains en entrant. Sinon gare aux ‘kami' ! C'est sérieux, il faut me croire !"
La vallée d'Iya
Vient le moment de quitter Kôchi et le Shikoku. Le train file, enjambant torrents et vallées. En dessous se déroule un pays sans fin de bois, de chemins et de fermes. Sur un plateau lointain, telle une île au milieu du vert tendre des rizières, trône un hameau de quelques maisons de bois. Je pense que ce pourrait être le village de Noriko. Encore une éternité de forêts, de torrents et de gorges, puis au nord, le Shikoku rural fait place à un enchevêtrement de lignes électriques, de maisons, d'immeubles et d'usines.
Seto-Ôhashi, sous le bleu du ciel
Quittant cette "île des quatre pays", le train s'engage de nouveau sur le pont Seto-Ôhashi. Aujourd'hui, le temps est clair. Les rayons du soleil et la géométrie de la structure métallique éblouissent d'abord le regard. Puis la couleur émeraude de la mer Intérieure s'étale. Des îlots de toutes tailles, grands rochers aux formes étranges, sont couverts d'une végétation dense. Au loin, une brume légère les fond dans l'azur. Ce spectacle est un privilège. Jadis, il ne devait s'offrir, du haut des mâts, qu'aux seuls hommes de vigie des navires traversant le détroit.
Douze kilomètres en train ne sont qu'un long instant. Bientôt, la voix sucrée et rassurante d'une hôtesse annonce la première gare de Honshu.


           

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