Le 3 novembre 2006, un événement majeur se tient dans la Cité interdite. Il s’agit du Sommet de Pékin qui réunit les hauts dignitaires de 48 États africains (sur 53), une grand-messe qui célèbre la nouvelle coopération sino-africainetremblement de terre géopolitique», estiment Serge Michel et Michel Beuret, journalistes et auteurs de Chinafrique, une enquête d’une année dans 15 pays du continent pour «raconter ce que la Chine fait en Afrique». Le constat est là : «La présence des Chinois en Afrique n’est plus une surprise. Ces 4 ou 5 dernières années, nous les avions vus progresser un peu partout lors de nos reportages en Angola, au Sénégal, en Côte d’Ivoire ou au Sierra Leone. Mais le phénomène a changé d’échelle. Tout se passe comme s’ils avaient décuplé leurs efforts au point de pénétrer l’imaginaire de tout un continent.» Les chiffres sont là pour le prouver. Le commerce bilatéral a été multiplié par 50 entre 1980 et 2005 et serait passé de 10 à 55 milliards de dollars entre 2000 et 2006 seulement. Le nombre de ressortissants chinois dans le continent serait de 750 000. Mais, ainsi que s’interrogent les reporters, qu’est-ce qui a amené les Chinois en Afrique, qu’y font-ils et surtout, cette rencontre marque-t-elle le rebond tant attendu par tout le continent depuis la décolonisation ?
La Chinafrique naît dans les années 1990 lorsque la France et l’ensemble de l’Europe commencent à se désintéresser de l’Afrique pour s’orienter vers l’Asie. C’est aussi le moment où les principaux bailleurs de fonds internationaux (FMI, Banque mondiale) conditionnent l’aide économique aux pays africains à des efforts en matière de bonne gouvernance et de démocratie. La Chine, elle, motivée par son appétit pour les matières premières dont le continent regorge (minerais, pétrole, bois, produits agricoles, etc.) va peu à peu changer la donne. Elle voit dans ce vaste marché de plus de 900 millions de personnes des opportunités de débouchés considérables pour ses marchandises. Outre sa volonté indéniable d’influence, la Chine cherche aussi, depuis le début des années 2000, à réduire, selon les auteurs, sa pression démographique et écologique en encourageant l’émigration de la population, notamment en Afrique. Mais l’Afrique, c’est aussi et surtout une «bonne occasion pour le dragon de se faire les griffes avant de se frotter à la concurrence globale en Europe ou en Amérique.» L’esprit d’aventure et d’entrepreneuriat, enfin, n’est pas étranger à cet intérêt pour l’Afrique. «Parce que les Chinois se sentent à l’étroit chez eux et que l’Afrique leur apparaît comme une terre vierge, pleine de promesses.» En effet, «sur un continent sous-développé, la demande est forte et la concurrence faible, voire inexistante.»
Un esprit gagnant/gagnant. Mais que fait la Chine en Afrique ? «La Chine ne fait pas que s’emparer des matières premières africaines. Elle écoule aussi ses produits simples et bon marché, retape les routes, les voies ferrées, les bâtiments officiels. Manque d’énergie ? Elle construit des barrages au Congo, au Soudan, en Éthiopie et s’apprête à aider l’Égypte à relancer son programme nucléaire civil. Besoin de téléphone ? Elle équipe toute l’Afrique de réseaux sans fils et optiques. Les populations locales sont réticentes ? Elle ouvre un hôpital, un dispensaire ou un orphelinat. Le Blanc était condescendant et m’as-tu-vu ? Le Chinois reste humble et discret. Les Africains sont impressionnés.»
Le continent va ainsi connaître des niveaux de croissance inhabituels et suscitera à nouveau toutes les convoitises. Mais outre leur modestie, les Chinois ont de nombreuses cordes à leur arc. D’abord, ils sont travailleurs et efficaces, et comme le rapporte l’ouvrage, effectuent des travaux d’envergure en des temps records. En Algérie, par exemple, les employés du consortium chinois CITIC-CRCC sont engagés dans une véritable course contre la montre. «Ils ont 40 mois pour construire 528 kilomètres d’autoroute est-ouest, un record mondial». En outre, les Chinois présentent cette coopération comme un partenariat «gagnant/gagnant». Auparavant, la Guinée, pays riche en bauxite -minerai à partir duquel est fabriqué l’aluminium et dont le cours a considérablement augmenté ces dernières années- assistait, impuissante, à son exportation par les géants miniers américains comme Alcoa ou Alcan sans que celui-ci ait pu être transformé, et créer ainsi des emplois, des revenus fiscaux et une valeur ajoutée. L’excuse des exploitants miniers occidentaux, c’était le déficit d’électricité pour les opérations de raffinage in situ. La Chine, elle, a proposé à la Guinée une solution innovante. Le ministre des Mines explique : «Ils sont les seuls à nous proposer des packages : une mine, un barrage, une centrale hydraulique, un chemin de fer, une raffinerie, le tout financé par l’Exim bank of China qui se rembourse en alumine.» Un esprit win/win qui ne manque pas de séduire les pays africains. Mais la qualité majeure de la Chine, qui revient dans tous les témoignages est que, à l’inverse des pays occidentaux, elle ne s’ingère pas dans les affaires des pays africains et ne leur parle pas de démocratisation ni de droits de l’homme. Elle ne donne pas de leçons, alors même que la France -dont le déclin dans le continent est pour beaucoup dans la Chinafrique- avait une politique ambiguë vis-à-vis des dictateurs africains. Un argument de taille pour Pékin, répété maintes fois lors du sommet sino-africain de 2006 où ne manquait aucun des dictateurs africains au ban de la communauté internationale (comme l’indéboulonnable Robert Mugabe).
Politique de non-ingérence ? Comment fait la Chine pour s’imposer partout sur des projets à grande échelle ? La réponse vient de la Banque mondiale. C’est elle qui a contraint les pays africains à soumettre leurs travaux d’infrastructures à des appels d’offres. «Et les Chinois gagnent à tous les coups grâce à de la main-d’œuvre bon marché, à des économies d’échelle et sur les faux frais», remarquent les auteurs. Par exemple, dans le domaine des BTP, «les Chinois raflent tous les gros marchés d’infrastructure en affichant des prix de 30 à 50% inférieurs aux Français» au point que le géant Bouygues, «s’estimant parfois battu d’avance, ne prend même plus la peine de répondre à certains appels d’offres.» Petit à petit, les groupes français et européens se retirent d’autres secteurs stratégiques comme l’industrie de l’eau ou du bois. Tout semble donc aller pour le mieux pour l’Empire du Milieu en Afrique. Il ne faut pas pour autant sous-estimer certains défis qui ne manquent pas de se poser. Ainsi, dans certains pays, les communautés chinoises sont mal vues de la population. Au Cameroun par exemple, si la pacotille de masse importée satisfait les porte-monnaie les plus dégarnis, le hold-up des Chinois sur certaines activités traditionnelles comme la fabrication de beignets leur a valu l’antipathie de la population. «Les ouvriers chinois qualifiés, les médecins, les ingénieurs, on en a besoin. Mais des vendeurs de rue et des prostituées –elles seraient au nombre de 300 à Douala-, on n’en veut pas. Ceux-là véhiculent une image d’envahisseurs, de copieurs, de tricheurs, de gâche-métiers prêts à tout». Ici et là, en Algérie ou en Angola, la xénophobie s’alimente de rumeurs (infondées ?) sur les coutumes des Chinois. Ils auraient été surpris en train de manger du chat ou du chien. Pire, plusieurs ouvriers africains interrogés durant cette enquête se plaignent d’être battus par leurs contremaîtres chinois.
Par ailleurs, si la Chine s’enorgueillit de ne pas vouloir s’immiscer dans les affaires politiques des pays, elle n’en est pas moins confrontée aux mêmes problèmes de stabilité que les autres puissances étrangères, ce qui la contraint parfois à sortir de sa réserve : «pour sécuriser ses investissements, elle doit s’engager». A travers la vente d’armes à plusieurs États (Soudan, Zimbabwe) ou milices -en dépit des embargos et des normes internationales-, la Chine soutient de facto des régimes africains répressifs ou des rébellions, profitant «du chaos pour faire circuler des armes et faciliter ainsi son accès aux ressources». Pour les auteurs, ainsi, «à certains égards, elle commence à ressembler aux autres acteurs, avec ses cohortes de gardes de sécurité, ses chantiers qui s’enlisent, ses scandales de corruption et, quoi qu’elle en dise, son mépris parfois envers la population locale.»
Malgré tout, les résultats sont là. Reste à savoir si l’Afrique, et surtout ses dirigeants, plus habitués à servir leurs intérêts que ceux de leur pays, sauront saisir cette opportunité pour le développement.
La Chinafrique naît dans les années 1990 lorsque la France et l’ensemble de l’Europe commencent à se désintéresser de l’Afrique pour s’orienter vers l’Asie. C’est aussi le moment où les principaux bailleurs de fonds internationaux (FMI, Banque mondiale) conditionnent l’aide économique aux pays africains à des efforts en matière de bonne gouvernance et de démocratie. La Chine, elle, motivée par son appétit pour les matières premières dont le continent regorge (minerais, pétrole, bois, produits agricoles, etc.) va peu à peu changer la donne. Elle voit dans ce vaste marché de plus de 900 millions de personnes des opportunités de débouchés considérables pour ses marchandises. Outre sa volonté indéniable d’influence, la Chine cherche aussi, depuis le début des années 2000, à réduire, selon les auteurs, sa pression démographique et écologique en encourageant l’émigration de la population, notamment en Afrique. Mais l’Afrique, c’est aussi et surtout une «bonne occasion pour le dragon de se faire les griffes avant de se frotter à la concurrence globale en Europe ou en Amérique.» L’esprit d’aventure et d’entrepreneuriat, enfin, n’est pas étranger à cet intérêt pour l’Afrique. «Parce que les Chinois se sentent à l’étroit chez eux et que l’Afrique leur apparaît comme une terre vierge, pleine de promesses.» En effet, «sur un continent sous-développé, la demande est forte et la concurrence faible, voire inexistante.»
Un esprit gagnant/gagnant. Mais que fait la Chine en Afrique ? «La Chine ne fait pas que s’emparer des matières premières africaines. Elle écoule aussi ses produits simples et bon marché, retape les routes, les voies ferrées, les bâtiments officiels. Manque d’énergie ? Elle construit des barrages au Congo, au Soudan, en Éthiopie et s’apprête à aider l’Égypte à relancer son programme nucléaire civil. Besoin de téléphone ? Elle équipe toute l’Afrique de réseaux sans fils et optiques. Les populations locales sont réticentes ? Elle ouvre un hôpital, un dispensaire ou un orphelinat. Le Blanc était condescendant et m’as-tu-vu ? Le Chinois reste humble et discret. Les Africains sont impressionnés.»
Le continent va ainsi connaître des niveaux de croissance inhabituels et suscitera à nouveau toutes les convoitises. Mais outre leur modestie, les Chinois ont de nombreuses cordes à leur arc. D’abord, ils sont travailleurs et efficaces, et comme le rapporte l’ouvrage, effectuent des travaux d’envergure en des temps records. En Algérie, par exemple, les employés du consortium chinois CITIC-CRCC sont engagés dans une véritable course contre la montre. «Ils ont 40 mois pour construire 528 kilomètres d’autoroute est-ouest, un record mondial». En outre, les Chinois présentent cette coopération comme un partenariat «gagnant/gagnant». Auparavant, la Guinée, pays riche en bauxite -minerai à partir duquel est fabriqué l’aluminium et dont le cours a considérablement augmenté ces dernières années- assistait, impuissante, à son exportation par les géants miniers américains comme Alcoa ou Alcan sans que celui-ci ait pu être transformé, et créer ainsi des emplois, des revenus fiscaux et une valeur ajoutée. L’excuse des exploitants miniers occidentaux, c’était le déficit d’électricité pour les opérations de raffinage in situ. La Chine, elle, a proposé à la Guinée une solution innovante. Le ministre des Mines explique : «Ils sont les seuls à nous proposer des packages : une mine, un barrage, une centrale hydraulique, un chemin de fer, une raffinerie, le tout financé par l’Exim bank of China qui se rembourse en alumine.» Un esprit win/win qui ne manque pas de séduire les pays africains. Mais la qualité majeure de la Chine, qui revient dans tous les témoignages est que, à l’inverse des pays occidentaux, elle ne s’ingère pas dans les affaires des pays africains et ne leur parle pas de démocratisation ni de droits de l’homme. Elle ne donne pas de leçons, alors même que la France -dont le déclin dans le continent est pour beaucoup dans la Chinafrique- avait une politique ambiguë vis-à-vis des dictateurs africains. Un argument de taille pour Pékin, répété maintes fois lors du sommet sino-africain de 2006 où ne manquait aucun des dictateurs africains au ban de la communauté internationale (comme l’indéboulonnable Robert Mugabe).
Politique de non-ingérence ? Comment fait la Chine pour s’imposer partout sur des projets à grande échelle ? La réponse vient de la Banque mondiale. C’est elle qui a contraint les pays africains à soumettre leurs travaux d’infrastructures à des appels d’offres. «Et les Chinois gagnent à tous les coups grâce à de la main-d’œuvre bon marché, à des économies d’échelle et sur les faux frais», remarquent les auteurs. Par exemple, dans le domaine des BTP, «les Chinois raflent tous les gros marchés d’infrastructure en affichant des prix de 30 à 50% inférieurs aux Français» au point que le géant Bouygues, «s’estimant parfois battu d’avance, ne prend même plus la peine de répondre à certains appels d’offres.» Petit à petit, les groupes français et européens se retirent d’autres secteurs stratégiques comme l’industrie de l’eau ou du bois. Tout semble donc aller pour le mieux pour l’Empire du Milieu en Afrique. Il ne faut pas pour autant sous-estimer certains défis qui ne manquent pas de se poser. Ainsi, dans certains pays, les communautés chinoises sont mal vues de la population. Au Cameroun par exemple, si la pacotille de masse importée satisfait les porte-monnaie les plus dégarnis, le hold-up des Chinois sur certaines activités traditionnelles comme la fabrication de beignets leur a valu l’antipathie de la population. «Les ouvriers chinois qualifiés, les médecins, les ingénieurs, on en a besoin. Mais des vendeurs de rue et des prostituées –elles seraient au nombre de 300 à Douala-, on n’en veut pas. Ceux-là véhiculent une image d’envahisseurs, de copieurs, de tricheurs, de gâche-métiers prêts à tout». Ici et là, en Algérie ou en Angola, la xénophobie s’alimente de rumeurs (infondées ?) sur les coutumes des Chinois. Ils auraient été surpris en train de manger du chat ou du chien. Pire, plusieurs ouvriers africains interrogés durant cette enquête se plaignent d’être battus par leurs contremaîtres chinois.
Par ailleurs, si la Chine s’enorgueillit de ne pas vouloir s’immiscer dans les affaires politiques des pays, elle n’en est pas moins confrontée aux mêmes problèmes de stabilité que les autres puissances étrangères, ce qui la contraint parfois à sortir de sa réserve : «pour sécuriser ses investissements, elle doit s’engager». A travers la vente d’armes à plusieurs États (Soudan, Zimbabwe) ou milices -en dépit des embargos et des normes internationales-, la Chine soutient de facto des régimes africains répressifs ou des rébellions, profitant «du chaos pour faire circuler des armes et faciliter ainsi son accès aux ressources». Pour les auteurs, ainsi, «à certains égards, elle commence à ressembler aux autres acteurs, avec ses cohortes de gardes de sécurité, ses chantiers qui s’enlisent, ses scandales de corruption et, quoi qu’elle en dise, son mépris parfois envers la population locale.»
Malgré tout, les résultats sont là. Reste à savoir si l’Afrique, et surtout ses dirigeants, plus habitués à servir leurs intérêts que ceux de leur pays, sauront saisir cette opportunité pour le développement.