L'affaire Ghosn: dans le dédale des procédures judiciaires japonaises


Jeudi 24 Octobre 2019 - 11:58
AFP


Tokyo - L'affaire Ghosn a révélé plusieurs facettes jusqu'ici méconnues à l'étranger du système juridique japonais, très différent de ceux d'autres pays et qui a parfois choqué.


Voici les principaux points de procédure apparus dans ce cas.

L'arrestation de Carlos Ghosn en novembre 2018 a été opérée directement par les inspecteurs de l'unité spéciale d'enquête du bureau des procureurs de Tokyo, et non par la police.

Cela réduit de 24 heures la durée totale de la garde à vue qui dans ce cas peut aller jusqu'à 22 jours moyennant une demande à un juge de prolongation de dix jours, renouvelable une fois.

Durant cette période, le suspect est soumis à des interrogatoires réguliers (enregistrés en vidéo), à la discrétion des procureurs, sans la présence d'un avocat, ce que dénoncent de nombreux défenseurs. Il peut néanmoins consulter son avocat à tout moment en dehors des heures d'interrogatoire.

C'est dans ce délai que le parquet doit décider d'inculper ou non le suspect. Il peut être aussi de nouveau arrêté sur un autre motif et voir ainsi sa garde à vue excéder la durée de 22 jours valable pour un seul motif d'arrestation. Au total, M. Ghosn a été arrêté quatre fois et a passé quelque 130 jours en prison, en cumulant garde à vue et détention provisoire.

"Le principe général est +une accusation, une arrestation+", explique à l'AFP l'avocat Yasuyuki Takai, ex-inspecteur de l'unité spéciale du bureau des procureurs de Tokyo.

L'inculpation déclenche une période de détention provisoire qui peut être stoppée par le juge, moyennant le paiement d'une caution.

L'inculpation au Japon signifie un renvoi devant le tribunal. Il n'y a pas de non lieu pouvant intervenir entre-temps sur décision d'un juge d'instruction car il n'y a pas de juge d'instruction.

Il existe deux formes d'inculpation: rapide (pour les cas les plus simples) et normale (pour les cas où la peine encourue est d'un an de réclusion minimum).

M. Ghosn est sous le coup de quatre inculpations, sur deux types de chefs d'accusation, dont un conjointement à Nissan et à un de ses ex-bras droits, Greg Kelly. Ce n'est donc en fait pas un seul, mais deux procès distincts auquel il aura droit.

C'est dans cette phase que se trouve actuellement l'affaire Ghosn: il s'agit pour lui de préparer sa défense avec ses avocats en fonction des éléments du dossier peu à peu communiqués par le parquet au cours d'audiences préliminaires à huis clos qui ont lieu au rythme d'environ une par mois.

L'audience de jeudi était considérée comme plus importante que les précédentes, parce que c'est la première fois que les avocats y ont présenté leur ligne de défense.

M. Ghosn avait auparavant comparu une fois devant un tribunal en janvier à sa demande et en public, alors qu'il était en détention provisoire. Il avait alors usé d'une disposition juridique autorisant un prévenu à exiger devant une cour d'obtenir des explications sur les raisons de sa détention, un type d'audience qui n'a aucun effet sur la suite de la procédure.

Le premier procès de M. Ghosn devrait s'ouvrir dans les derniers jours d'avril 2020, selon un calendrier proposé par le tribunal aux avocats et aux procureurs.

La loi japonaise sur "l'accord de coopération" judiciaire est entrée en vigueur mi-2018, et l'affaire Ghosn en a fait malgré elle la publicité.

Il s'agit d'une disposition légale entre un suspect et les procureurs, dont bénéficient cette fois des cadres de Nissan qui ont été impliqués dans les malversations reprochées à M. Ghosn mais qui sont présentés comme des "lanceurs d'alerte".

En échange d'informations sur d'autres personnes, ils ne sont pas eux-mêmes inculpés ou bénéficient d'un allègement des chefs d'accusation. L'ex-patron de Nissan et ses avocats y voient plutôt "une collusion" entre le constructeur automobile et le parquet japonais, destinée à le faire tomber.

D'après un haut responsable du ministère de la Justice, il ne faut pas confondre cet "accord de coopération" avec "la négociation de peine" américaine.

"Ce n'est valide que pour certaines affaires financières ou économiques, le trafic de drogues ou d'armes", précise ce haut responsable.

"Cela existait de facto déjà avant par une entente verbale, désormais c'est un contrat écrit", souligne l'expert Yasuyuki Takai.


           

Nouveau commentaire :

Actus | Economie | Cultures | Médias | Magazine | Divertissement