La Tunisie accueille avec joie un Nobel qu'elle n'attendait plus


Samedi 10 Octobre 2015 - 09:59
RFI


Quatre organisations de la société civile tunisienne ont reçu conjointement le prestigieux prix Nobel 2015 de la paix, vendredi 9 octobre à Oslo. En 2013, la Ligue tunisienne des droits de l'homme (LTDH), l'organisation patronale Utica, l’Ordre des avocats et le syndicat historique Union générale tunisienne du travail (UGTT) s’étaient posés en « quartet pour le dialogue national » dans leur pays, ce qui a permis de sauver la transition démocratique face à la grave crise qu’elle rencontrait. Une joie pour les Tunisiens, mais aussi un appel à continuer le combat. Car il reste de nombreux chantiers.


La présidente du comité Nobel annonce que le quartet tunisien est lauréat du prix de la paix 2015
La présidente du comité Nobel annonce que le quartet tunisien est lauréat du prix de la paix 2015
Vendredi, il a été sans cesse interpellé dans la rue. Mouldi Jendoubi, secrétaire général adjoint de l'UGTT, l'une des organisations du quartet, reçoit les félicitations avec le sourire. « Personnellement, je suis très, très ému par ce prix, avoue-t-il. Je l’offre à l’âme des martyrs qui ont donné leur sang pour la révolution tunisienne. »

Pour les quatre organisations tunisiennes qui se partagent cette année le prix Nobel de la paix, il s’agit de la consécration d’un travail de médiation porté par l’ensemble de la société civile. C'est sur ce point qu'insiste Anouar Kousri, membre du comité directeur de la LTDH : « Il n’y a pas seulement la Ligue et ces quatre organisations, il y a des milliers d’associations qui ont défendu une société libre et démocratique. »

Le chômage reste le principal problème en Tunisie

Autre représentant du quartet : Mohamed Fadhel Mahfoudh, le bâtonnier de l'Ordre des avocats. Dans son bureau au palais de justice, un énorme bouquet de fleurs est là, en signe de cette victoire. Une victoire inespérée, mais pleine d'espoir pour la Tunisie, explique-t-il : « Je pense que c’est un message pour les Tunisiens. Et puis, le quartet, c’est en quelque sorte la conscience civile du pays. »

La Tunisie est une démocratie jeune, qu’il s’agit de protéger, plaide-t-il : « Le processus politique est réussi. Bien sûr, nous sommes appelés à exercer une espèce de vigilance, pour assoir définitivement l’Etat de droit, l’Etat des libertés, l’Etat des droits de l’homme, et l’Etat démocratique, tout simplement. »

La responsabilité est grande, explique également Kacem Afaya, autre secrétaire adjoint de l’UGTT : « Le grand problème qu’a vécu la Tunisie et sur lequel la révolte s’est enclenchée, c’est le chômage, c’est la création d’emplois », rappelle-t-il, pointant ainsi qu’un long chemin reste à parcourir puisque ce problème subsiste.

Un quartet en première ligne face à l'impasse politique

Pour Wided Bouchamaoui, présidente de l’Utica, on peut cependant, d’ores et déjà, parler d’un « modèle tunisien ». « Même si on trébuche, même si on tombe, on se relève, on se remet sur pied parce que ce pays regorge de compétences, s’enthousiasme-t-elle. La jeunesse, elle est là pour sauver ce pays, il faut lui donner les moyens pour réussir ces défis économiques et sociaux. »

Un hommage à des médiateurs en temps de crise, voilà en fait ce que récompense le comité Nobel cette année. La crise en question est née de l'assassinat de deux opposants tunisiens, en février et juillet 2013, deux ans après le départ du président déchu Zine el-Abidine Ben Ali en exil. A l'époque, les islamistes du parti Ennahda sont au gouvernement. Mais l'écriture de la nouvelle Constitution donne lieu à des bras de fer permanents, et le climat est tendu.

L'assassinat de Mohamed Brahmi, survenu quelques mois après celui de Chokri Belaïd, sonne l'arrêt de la transition. Soixante députés se retirent de l'Assemblée constituante, dont le président suspend les travaux. C’est alors que le quartet entre en scène : une cinquantaine de réunions en trois mois, pour trouver le nom d'un nouveau Premier ministre de consensus, Mehdi Jomaa, et pour relancer l'écriture de la Constitution.

Un prix Nobel de la paix des Tunisiens est-il anachronique ?

Ce dialogue fut salutaire. Aux yeux des Tunisiens, ce Nobel se justifie donc. Mais il prend de court de nombreux Tunisiens, parce qu’il était attendu l'an passé. En 2014, une campagne internationale avait été menée pour que l'UGTT - et non le quartet - soit lauréat. Cela n'avait pas été le cas, mais la campagne a manifestement marqué les esprits du comité.

Cependant, le Nobel 2015 de la paix peut sembler anachronique. « En 2013, le prix aurait pu avoir un sens », confie l'universitaire Héla Yousfi à Mediapart. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas, sous-entend-elle, car « le gouvernement qui est issu du dialogue mené par le quartet est en train de remettre en cause le processus démocratique ».

Pour Mouhieddine Cherbib, un militant de longue date, c'est cependant parce que la Tunisie va mal sur le plan sécuritaire et économique que ce prix fait du bien. « C'est un coup de fouet, dit-t-il, qui va peut-être nous aider à sortir de la désespérance. » Et justement, le quartet devrait à nouveau se retrouver autour de la table, pour un « dialogue national contre le terrorisme » programmé à la fin du mois. Puis il se rendra à Oslo pour recevoir son prix le 10 décembre prochain.

→ sur le Nobel tunisien lire aussi la chronique de Jean-Baptiste Placca : «Un symbole d'une rare puissance»


           

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