Il est toujours plaisant, ingénieux dans ses intrigues, imprévisible avec ses personnages, inventif, gamin, joueur. On l’avait remarqué en France avec « Testament à l’anglaise », son quatrième roman, celui qui l’avait rendu célèbre. Ce livre fantasque brossait le tableau d’une famille d’ambitieux et de loufoques sous Margaret Thatcher. Le roman mélangeait intrigue policière, thriller, psychodrame, romance, satire sociale, tableaux érotiques, autobiographie. D’une drôlerie et d’une gouaille irrésistibles.
Son nouveau livre, « La pluie, avant qu’elle tombe », est tout aussi généreux, mais il atteint des couches humaines plus profondes. Jonathan Coe nous fait connaître la vie d’une femme, Rosamond, lesbienne et dactylo dans une maison d’édition. Elle a légué à une petite-cousine par alliance, Imogen, aveugle, une série de quatre cassettes audio de quatre-vingt-dix minutes. Et là, coup de génie de l’auteur : il nous fait écouter la voix de cette femme morte, avec son tremblé, ses moments flous, ses émotions, ses réticences, son anxiété. Rosamond commente donc d’outre-tombe une série de photos à une douce jeune femme privée de la lumière. Enorme rêverie parmi les ombres du passé. Vingt photos qui forment étang, miroir, confession déchirante... On revit l’enfance de Rosamond pendant le Blitz, un grand moment. L’évocation de sa vie dans un camping-car et sa meilleure amie, Beatrix, qui deviendra monstrueuse. La lumière de l’été 1955, en Auvergne à Murol, ou près du lac Chambon, ou la grisaille du ciel en 1962, dans une cabine de plage sur une côte anglaise ventée, forment des instants forts. Il y a aussi, avec un soin d’écriture tout particulier, la description du silence dans les neiges des chemins de campagne. Un être s’étourdit de joie. Chaque cliché noir et blanc ou couleur Kodachrome porte une histoire déréglée, cruelle. On passe d’un cottage à une ferme, d’un dancing à un parc.
On a tous feuilleté ces albums de famille avec tantes et cousins dont on a vaguement entendu parler et qui émergent, pâles, dans un jardin surexposé. Coe reprend ces tendres fantômes de papier glacé et retrace avec une merveilleuse compassion leur vie secrète. Rosamond revient vers les sentiers des étés disparus, vers un lac à jamais gris métal de 1962. Travail de mémoire, travail de mise en lumière, de catharsis, de délivrance, de confession, de cure analytique, mais surtout travail de communion avec les générations qui s’effacent. On est frappé par la tendresse jamais mièvre de cette évocation ; on est aussi étonné par l’acharnement de Jonathan Coe quand il analyse la violence que les adultes peuvent exercer sur les enfants. C’est le coeur et le message du livre.
commun. N’en disons pas davantage, car le coup de théâtre de la fin du livre s’ouvre sur une vérité bouleversante. Au fond, cet art complexe fait penser à Charles Dickens et à ses « Grandes espérances ». Quel art classique ! Tout y est : la chaleur autobiographique, l’audace, la pudeur, la sincérité, l’intelligence des situations et une capacité à voir le monde par les yeux d’un adulte mal guéri de son enfance, et qui nous enroule dans l’amer noyau du temps passé, caché, enfoui, ressuscité.
« La pluie, avant qu’elle tombe », de Jonathan Coe. Traduit de l’anglais par Jamila et Serge Chauvin (Gallimard, 254 pages, 21 €).
Son nouveau livre, « La pluie, avant qu’elle tombe », est tout aussi généreux, mais il atteint des couches humaines plus profondes. Jonathan Coe nous fait connaître la vie d’une femme, Rosamond, lesbienne et dactylo dans une maison d’édition. Elle a légué à une petite-cousine par alliance, Imogen, aveugle, une série de quatre cassettes audio de quatre-vingt-dix minutes. Et là, coup de génie de l’auteur : il nous fait écouter la voix de cette femme morte, avec son tremblé, ses moments flous, ses émotions, ses réticences, son anxiété. Rosamond commente donc d’outre-tombe une série de photos à une douce jeune femme privée de la lumière. Enorme rêverie parmi les ombres du passé. Vingt photos qui forment étang, miroir, confession déchirante... On revit l’enfance de Rosamond pendant le Blitz, un grand moment. L’évocation de sa vie dans un camping-car et sa meilleure amie, Beatrix, qui deviendra monstrueuse. La lumière de l’été 1955, en Auvergne à Murol, ou près du lac Chambon, ou la grisaille du ciel en 1962, dans une cabine de plage sur une côte anglaise ventée, forment des instants forts. Il y a aussi, avec un soin d’écriture tout particulier, la description du silence dans les neiges des chemins de campagne. Un être s’étourdit de joie. Chaque cliché noir et blanc ou couleur Kodachrome porte une histoire déréglée, cruelle. On passe d’un cottage à une ferme, d’un dancing à un parc.
On a tous feuilleté ces albums de famille avec tantes et cousins dont on a vaguement entendu parler et qui émergent, pâles, dans un jardin surexposé. Coe reprend ces tendres fantômes de papier glacé et retrace avec une merveilleuse compassion leur vie secrète. Rosamond revient vers les sentiers des étés disparus, vers un lac à jamais gris métal de 1962. Travail de mémoire, travail de mise en lumière, de catharsis, de délivrance, de confession, de cure analytique, mais surtout travail de communion avec les générations qui s’effacent. On est frappé par la tendresse jamais mièvre de cette évocation ; on est aussi étonné par l’acharnement de Jonathan Coe quand il analyse la violence que les adultes peuvent exercer sur les enfants. C’est le coeur et le message du livre.
commun. N’en disons pas davantage, car le coup de théâtre de la fin du livre s’ouvre sur une vérité bouleversante. Au fond, cet art complexe fait penser à Charles Dickens et à ses « Grandes espérances ». Quel art classique ! Tout y est : la chaleur autobiographique, l’audace, la pudeur, la sincérité, l’intelligence des situations et une capacité à voir le monde par les yeux d’un adulte mal guéri de son enfance, et qui nous enroule dans l’amer noyau du temps passé, caché, enfoui, ressuscité.
« La pluie, avant qu’elle tombe », de Jonathan Coe. Traduit de l’anglais par Jamila et Serge Chauvin (Gallimard, 254 pages, 21 €).