Pour fouler ce sol toujours gelé, il faut montrer patte blanche à l'administration du continent de l'Envers du monde. Quant au billet d'avion pour atterrir sur une base, il coûte 14 800€ au départ du Cap (Afrique du sud). Vous comprendrez pourquoi l'immense Antarctique apparaît comme la terra incognita dont rêve les alpinistes. La présence de l'homme dans cette nature hostile y est indésirable et les parois vierges foisonnent à perte de vue. "Une mine d'or de l'alpinisme", s'enthousiasme le lieutenant Didier Jourdain qui en revient. L'endroit est réputé comme la dernière escale avant la Lune.
Au-delà du massif du Vinson (4897 m), le toit du continent, ou encore du volcan Erebus, objectif d'une expédition scientifique de Jean-Louis Étienne dans les années 90, la sauvage Terre de la Reine Maud incarne cette fascination avec son massif de la mâchoire du Loup. Une chaîne de granit hérissée de dents gargantuesques émergeant de la calotte glaciaire. Un monde inventé pour l'alpinisme. À part des pétrels de neige, choucas blancs capables de faire 300 km pour aller se nourrir sur les côtes, pas un chat à l'horizon. C'est dans ce secteur vaste comme l'arc alpin, désert comme une autre planète, qu'en décembre, six alpinistes du Groupe militaire de haute montagne (GMHM) ont planté le drapeau tricolore sur quatre sommets, quelque part sous le 72e parallèle. Mieux, ils ont ouvert une voie en escalade artificielle sur l'Holstind, paroi qui culmine à près de 3000 m. C'était la sixième expédition seulement dans ce secteur exploré pour la première fois en 1994 par des Norvégiens.
Ce "commando des cimes", unité montagnarde d'excellence des chasseurs alpins, a ainsi relevé le cinquième des 7 défis qu'il s'est assigné depuis 2005. Les hommes du GMHM mettent à l'épreuve leur savoir faire sur des verticalités à hauts risques. Et de confirmer ainsi leur rôle d'expertise et de laboratoire de la montagne pour l'armée de Terre. "Notre unité de 10 hommes n'est pas qu'une vitrine, rappelle le commandant Faucheur à la tête du GMHM. Le volet expérimental des missions choisies en terrains extrêmes est essentiel pour la résistance des hommes et du matériel. Les conditions dans lesquelles nous évoluons peuvent être retrouvées sur des théâtres d'opérations militaires. Notre expérience est vitale pour les unités engagées".
Dormir dans un congélateur à 400 m du sol
Grimper près du pôle présente des difficultés spécifiques, selon le lieutenant Didier Jourdain : "On est toujours dans le froid et le grand vent. Si tu es en situation de survie au camp de base, c'est même pas la peine de songer à grimper". Le thermomètre est descendu à -41, soit -60 en ressenti avec le vent. Duvets et polaires déjà expérimentés au Groenland ont été précieux quand les vents catabatiques frigorifiaient les parois sud. "C'est sûr qu'il faut pas être monté trop fin", ironise Jourdain. Avec des sacs de 140 litres à hisser dans la paroi de l'Holstind pour évoluer selon la technique de la capsule, l'escalade artificielle sollicite ressources mentales et physiques. C'est une façon de grimper qui ne déplairait pas à Mac Gyver ou à l'inspecteur gadget. Bricolage et ingéniosité sont de mise. Un crochet dans une gouille, coinceurs et bouts de bois calés dans une fissure pour installer des cordes fixes. Et au suivant... C'est ainsi qu'on avance en se hissant au matériel, à la vitesse du gastéropode : 100 m par jour. En doudoune et avec des gants mieux, vaut gérer sa transpiration, au risque de se transformer en glaçon. Ils ont passé quatre nuits sur leur portaledege, bivouac portatif accroché à la paroi de granit, à 400 m du sol. Autant dormir dans un congélateur.
Et que dire de l'isolement : "À 300 km de la base la plus proche, personne vient te chercher en cas de pépin", remarque Jourdain. À la pointe de la technologie, les six hommes quittaient leur camp de base et leurs tentes pourvues de vastes absides, munis de panneaux solaires pour faire leur eau ou assurer leurs transmissions. Ils ont grimpé parfois 24 heures d'affilée profitant du jour permanent de l'été austral. Didier Jourdain s'enthousiasme : "Le soleil se couche sur un versant et tu le revois se lever en basculant de l'autre côté de la face. À 1h du matin, il te réchauffe sur une vire".
Finalement, par là-bas, le tourisme pour milliardaires se développe plus vite que l'alpinisme. À leur retour au camp de base, quelle ne fut pas la surprise des militaires de voir débarquer une nouvelle espèce. Des tour-opérateurs proposent pour 40 000€ des séjours en tentes chauffées. Un avant-goût des voyages sur la Lune.
REPÈRES
Tour du monde
Cette expédition était la cinquième levée du challenge du GMHM, 7 missions pour 7 techniques d'évolution en montagne sur les 7 continents.
Déjà réalisé : escalade pure sur les falaises maliennes, artificielle au pic granitique du Holstind, mixte en Patagonie, glaciaire dans les "moulins " du Groenland, ski dans les couloirs raides de Nouvelle-Zélande.
Derniers défis en 2009-2010 : un "8000" sans oxygène et une arête neigeuse en Alaska.
Le GMHM
Créé en 1976, le GMHM a vu passer les plus grands alpinistes français (Lafaille, Profit ou Escoffier). Il a notamment bouclé le programme des trois pôles (Everest, pôles sud et nord). Ses retours d'expériences sont transmis aux unités de montagnes et forces spéciales pour faire évoluer matériels et modes de progression en milieux hostiles.
Au-delà du massif du Vinson (4897 m), le toit du continent, ou encore du volcan Erebus, objectif d'une expédition scientifique de Jean-Louis Étienne dans les années 90, la sauvage Terre de la Reine Maud incarne cette fascination avec son massif de la mâchoire du Loup. Une chaîne de granit hérissée de dents gargantuesques émergeant de la calotte glaciaire. Un monde inventé pour l'alpinisme. À part des pétrels de neige, choucas blancs capables de faire 300 km pour aller se nourrir sur les côtes, pas un chat à l'horizon. C'est dans ce secteur vaste comme l'arc alpin, désert comme une autre planète, qu'en décembre, six alpinistes du Groupe militaire de haute montagne (GMHM) ont planté le drapeau tricolore sur quatre sommets, quelque part sous le 72e parallèle. Mieux, ils ont ouvert une voie en escalade artificielle sur l'Holstind, paroi qui culmine à près de 3000 m. C'était la sixième expédition seulement dans ce secteur exploré pour la première fois en 1994 par des Norvégiens.
Ce "commando des cimes", unité montagnarde d'excellence des chasseurs alpins, a ainsi relevé le cinquième des 7 défis qu'il s'est assigné depuis 2005. Les hommes du GMHM mettent à l'épreuve leur savoir faire sur des verticalités à hauts risques. Et de confirmer ainsi leur rôle d'expertise et de laboratoire de la montagne pour l'armée de Terre. "Notre unité de 10 hommes n'est pas qu'une vitrine, rappelle le commandant Faucheur à la tête du GMHM. Le volet expérimental des missions choisies en terrains extrêmes est essentiel pour la résistance des hommes et du matériel. Les conditions dans lesquelles nous évoluons peuvent être retrouvées sur des théâtres d'opérations militaires. Notre expérience est vitale pour les unités engagées".
Dormir dans un congélateur à 400 m du sol
Grimper près du pôle présente des difficultés spécifiques, selon le lieutenant Didier Jourdain : "On est toujours dans le froid et le grand vent. Si tu es en situation de survie au camp de base, c'est même pas la peine de songer à grimper". Le thermomètre est descendu à -41, soit -60 en ressenti avec le vent. Duvets et polaires déjà expérimentés au Groenland ont été précieux quand les vents catabatiques frigorifiaient les parois sud. "C'est sûr qu'il faut pas être monté trop fin", ironise Jourdain. Avec des sacs de 140 litres à hisser dans la paroi de l'Holstind pour évoluer selon la technique de la capsule, l'escalade artificielle sollicite ressources mentales et physiques. C'est une façon de grimper qui ne déplairait pas à Mac Gyver ou à l'inspecteur gadget. Bricolage et ingéniosité sont de mise. Un crochet dans une gouille, coinceurs et bouts de bois calés dans une fissure pour installer des cordes fixes. Et au suivant... C'est ainsi qu'on avance en se hissant au matériel, à la vitesse du gastéropode : 100 m par jour. En doudoune et avec des gants mieux, vaut gérer sa transpiration, au risque de se transformer en glaçon. Ils ont passé quatre nuits sur leur portaledege, bivouac portatif accroché à la paroi de granit, à 400 m du sol. Autant dormir dans un congélateur.
Et que dire de l'isolement : "À 300 km de la base la plus proche, personne vient te chercher en cas de pépin", remarque Jourdain. À la pointe de la technologie, les six hommes quittaient leur camp de base et leurs tentes pourvues de vastes absides, munis de panneaux solaires pour faire leur eau ou assurer leurs transmissions. Ils ont grimpé parfois 24 heures d'affilée profitant du jour permanent de l'été austral. Didier Jourdain s'enthousiasme : "Le soleil se couche sur un versant et tu le revois se lever en basculant de l'autre côté de la face. À 1h du matin, il te réchauffe sur une vire".
Finalement, par là-bas, le tourisme pour milliardaires se développe plus vite que l'alpinisme. À leur retour au camp de base, quelle ne fut pas la surprise des militaires de voir débarquer une nouvelle espèce. Des tour-opérateurs proposent pour 40 000€ des séjours en tentes chauffées. Un avant-goût des voyages sur la Lune.
REPÈRES
Tour du monde
Cette expédition était la cinquième levée du challenge du GMHM, 7 missions pour 7 techniques d'évolution en montagne sur les 7 continents.
Déjà réalisé : escalade pure sur les falaises maliennes, artificielle au pic granitique du Holstind, mixte en Patagonie, glaciaire dans les "moulins " du Groenland, ski dans les couloirs raides de Nouvelle-Zélande.
Derniers défis en 2009-2010 : un "8000" sans oxygène et une arête neigeuse en Alaska.
Le GMHM
Créé en 1976, le GMHM a vu passer les plus grands alpinistes français (Lafaille, Profit ou Escoffier). Il a notamment bouclé le programme des trois pôles (Everest, pôles sud et nord). Ses retours d'expériences sont transmis aux unités de montagnes et forces spéciales pour faire évoluer matériels et modes de progression en milieux hostiles.