Il est assez fréquent d’opposer le désir au besoin – en sous-entendant besoin vital – en remarquant que si celui-ci peut être satisfait de multiples manières, celui-là est toujours centré sur un objet précis et un seul. Ainsi, j’ai besoin de boire – quelque liquide potable que ce soit –, mais je désire du vin plutôt que de l’eau (voire tel vin en particulier), quand bien même ma soif en tant que besoin serait étanchée autant par l’eau (si ce n’est plus…) que par le vin.
Cette distinction, classique en philosophie, se double généralement d’une deuxième : le besoin disparaît dès lors qu’il est satisfait, tandis que le désir renaît au moment même où il est exaucé, mais sous une autre forme : le propre du désir serait d’être insatiable et de changer d’objet, au point que l’on pourrait dire qu’un désir chasse l’autre. Il est d’ailleurs indéniable que les besoins de l’homme sont en nombre limité, tandis que l’expérience montre que ses désirs sont indéfiniment renouvelables.
Mais pourquoi le désir, indépendamment de sa “cible”, ne parviendrait-il jamais à être comblé ? Avant d’affirmer, comme une réponse possible, qu’il est dans la nature de l’homme de désirer, comme il serait dans la nature des animaux – dont l’homme – de se nourrir, ce qui d’ailleurs ne nous avance guère, sans doute sera-t-il prudent de prendre en compte toute la diversité des désirs, dont l’unité sera peut-être problématique.
Nous avons vu que certains désirs peuvent être liés à des besoins vitaux, notamment la nutrition et le repos ; le cas de la reproduction est sans doute plus complexe, car si elle est assurément un besoin pour l’espèce, l’est-elle pour l’individu ? Si oui, n’est-ce pas la sexualité plus que la reproduction qui est un “besoin” et qui, plus que cette dernière, est liée au désir individuel ? N’est-ce pas d’ailleurs avant tout au désir sexuel, indépendamment du désir de procréation, qu’on pense lorsqu’on évoque le désir ?
A l’égard des désirs liés aux besoins, nous pourrons ainsi nous demander s’ils peuvent être qualifiés de “désirs naturels” et quels liens ils entretiennent avec les instincts d’une part, avec le plaisir d’autre part. Mais l’expression “désirs naturels” suggère qu’il existe des désirs “artificiels” ou “culturels” : les désirs de reconnaissance ou de richesse par exemple. Ces désirs-là, parce que non naturels, devront-ils être considérés comme “contre nature” ? Nous touchons là au problème de la spécificité de la “nature” humaine : cette spécificité se traduirait-elle par le fait que seul l’homme a des désirs, là où la bête n’a que des besoins ? Il faudra alors préciser en quoi le “désir” pouvant exister entre deux êtres humains diffère précisément de l’instinct de reproduction qui va pousser deux animaux à s’accoupler. Certains philosophes se sont d’ailleurs plu à railler ce que d’aucuns appellent désir ou “amour” là où il ne faudrait voir qu’un instinct naturel enrobé d’un verni de convenances sociales.
Nous pourrons également nous pencher sur une autre question touchant aux différences entre le désir et le besoin : si le fait de différer la satisfaction d’un besoin n’engendre qu’une souffrance croissante, l’attente de l’assouvissement d’un désir est parfois en elle-même source de plaisir, fût-ce d’un plaisir douloureux. Mais sans doute ici faut-il distinguer les “petits” désirs des “grands” : les fameux vers de Corneille
« Vous me connaissez mal : la même ardeur me brûle
Et le désir s’accroît quand l’effet se recule. » (Polyeucte, I, 1)
ne s’appliquent vraisemblablement qu’aux désirs les plus intenses et les plus nobles ; un désir plus commun, s’il n’est pas rapidement satisfait, finira par disparaître ou par se porter sur un nouvel objet. Certes, tout désir est désir de quelque chose mais, après tout, peu importe de quoi…
Cette distinction, classique en philosophie, se double généralement d’une deuxième : le besoin disparaît dès lors qu’il est satisfait, tandis que le désir renaît au moment même où il est exaucé, mais sous une autre forme : le propre du désir serait d’être insatiable et de changer d’objet, au point que l’on pourrait dire qu’un désir chasse l’autre. Il est d’ailleurs indéniable que les besoins de l’homme sont en nombre limité, tandis que l’expérience montre que ses désirs sont indéfiniment renouvelables.
Mais pourquoi le désir, indépendamment de sa “cible”, ne parviendrait-il jamais à être comblé ? Avant d’affirmer, comme une réponse possible, qu’il est dans la nature de l’homme de désirer, comme il serait dans la nature des animaux – dont l’homme – de se nourrir, ce qui d’ailleurs ne nous avance guère, sans doute sera-t-il prudent de prendre en compte toute la diversité des désirs, dont l’unité sera peut-être problématique.
Nous avons vu que certains désirs peuvent être liés à des besoins vitaux, notamment la nutrition et le repos ; le cas de la reproduction est sans doute plus complexe, car si elle est assurément un besoin pour l’espèce, l’est-elle pour l’individu ? Si oui, n’est-ce pas la sexualité plus que la reproduction qui est un “besoin” et qui, plus que cette dernière, est liée au désir individuel ? N’est-ce pas d’ailleurs avant tout au désir sexuel, indépendamment du désir de procréation, qu’on pense lorsqu’on évoque le désir ?
A l’égard des désirs liés aux besoins, nous pourrons ainsi nous demander s’ils peuvent être qualifiés de “désirs naturels” et quels liens ils entretiennent avec les instincts d’une part, avec le plaisir d’autre part. Mais l’expression “désirs naturels” suggère qu’il existe des désirs “artificiels” ou “culturels” : les désirs de reconnaissance ou de richesse par exemple. Ces désirs-là, parce que non naturels, devront-ils être considérés comme “contre nature” ? Nous touchons là au problème de la spécificité de la “nature” humaine : cette spécificité se traduirait-elle par le fait que seul l’homme a des désirs, là où la bête n’a que des besoins ? Il faudra alors préciser en quoi le “désir” pouvant exister entre deux êtres humains diffère précisément de l’instinct de reproduction qui va pousser deux animaux à s’accoupler. Certains philosophes se sont d’ailleurs plu à railler ce que d’aucuns appellent désir ou “amour” là où il ne faudrait voir qu’un instinct naturel enrobé d’un verni de convenances sociales.
Nous pourrons également nous pencher sur une autre question touchant aux différences entre le désir et le besoin : si le fait de différer la satisfaction d’un besoin n’engendre qu’une souffrance croissante, l’attente de l’assouvissement d’un désir est parfois en elle-même source de plaisir, fût-ce d’un plaisir douloureux. Mais sans doute ici faut-il distinguer les “petits” désirs des “grands” : les fameux vers de Corneille
« Vous me connaissez mal : la même ardeur me brûle
Et le désir s’accroît quand l’effet se recule. » (Polyeucte, I, 1)
ne s’appliquent vraisemblablement qu’aux désirs les plus intenses et les plus nobles ; un désir plus commun, s’il n’est pas rapidement satisfait, finira par disparaître ou par se porter sur un nouvel objet. Certes, tout désir est désir de quelque chose mais, après tout, peu importe de quoi…