Le « fichier de l’Etat islamique » : 20 000 noms et beaucoup de questions


Vendredi 11 Mars 2016 - 10:58
Jacques Follorou - Madjid Zerrouky - lemonde


La chaîne d’information britannique Sky News a affirmé, mercredi 9 mars, être en possession de documents de l’organisation Etat islamique (EI), contenant les noms de 22 000 membres de l’organisation djihadiste. Un ancien membre de l’EI lui aurait remis une clé USB contenant les fichiers, qui auraient été volés au chef de la police interne de l’organisation. La chaîne a précisé en avoir informé les autorités britanniques.


Les fichiers indiquent les noms, adresses ou encore numéros de téléphone des recrues, obtenus via des formulaires remplis par des ressortissants de 55 pays ayant rejoint l’EI. Ils comportent, en outre, plus d’une vingtaine de questions, comme le groupe sanguin, le nom de jeune fille de la mère, le « niveau de compréhension de la charia » – la loi islamique – ou l’identité de l’intermédiaire de l’EI ayant permis au candidat de rejoindre les territoires contrôlés par le mouvement.

Le site d’informations syrien Zaman Al-Wasl avait annoncé dès le mois de janvier être en possession de ces éléments, avant de diffuser une partie des documents, mercredi soir. Zaman Al-Wasl, qui dit également avoir eu accès à 22 000 noms, mentionne un nombre conséquent de doublons et de répétitions et arrive, au final, à 1 700 identités.
« Faire monter les enchères »

Après les premières analyses d’experts français de la communauté du renseignement, il apparaît que le document récupéré par Sky News est le fruit d’un montage d’éléments provenant de plusieurs sources. Il ne s’agirait donc pas d’un seul et même fichier émanant d’un service de sécurité de l’EI clairement identifié, mais d’un patchwork. Certains noms auraient déjà figuré sur d’autres listes et sont accessibles sur des sites spécialisés. Cette pièce aurait, d’autre part, été enrichie par des éléments en voie d’identification mais dont on saurait d’ores et déjà qu’ils datent d’époques différentes.

« Nous pensons, pour l’heure, que cette construction était destinée à faire monter les enchères », a indiqué au Monde, jeudi, une autorité française : la volonté de monnayer ces informations, à plusieurs stades, aurait donc conduit à élargir la base des renseignements fournis, dans les pièces montrées par la chaîne de télévision britannique. Le logo de l’Etat islamique serait, enfin, une grossière imitation. « Une chose est sûre, ce n’est pas un document officiel de l’EI », ajoute la même autorité française, même si ceux qui ont fait fuiter les informations ont pu avoir des contacts avec l’EI.

De fait, deux sigles cohabitent sur les documents : « Etat islamique en Irak et au levant », l’appellation officielle de l’EI de 2013 à juin 2014, mais aussi un « Etat de l’islam en Irak et au levant » à la présence saugrenue. Contrairement à tout document officiel sensible de l’EI, ces fiches ne comportent ni tampon ni signature manuscrite d’un cadre de l’organisation. En guise de sceau, un logo de piètre qualité issu d’une vidéo de propagande.

Un long travail d’exploitation
Les fiches de renseignements sont rédigées au nom d’une « direction générale des frontières », institution jusqu’alors inconnue. Un « responsable des frontières » est mentionné sur certaines fiches, une fonction, là encore, inconnue au sein de l’EI. Les dates ne sont exprimées qu’en calendrier grégorien alors que l’EI emploie habituellement celui de l’hégire – ou les deux – sur ses documents officiels.

Si des contacts, selon Sky News, ont été noués au sujet de cette liste avec les autorités britanniques, des négociations auraient eu lieu, jeudi, entre les avocats de Scotland Yard et ceux du groupe de médias Murdoch sur les modalités de transmissions des pièces révélées. Du côté français, au ministère de l’intérieur, on précisait que, si des contacts informels ont existé au sujet de cette liste entre la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et son homologue britannique, le MI5, la transmission formelle n’aurait pas encore eu lieu concernant les éléments pouvant intéresser la France.

Au ministère de la défense, dont dépend la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), on refusait, jeudi, de commenter cette publication mais on admettait que des échanges avaient eu lieu avec les collègues allemands ayant eu connaissance de cette liste avant sa diffusion par Sky News. La prudence affichée ne signifierait pas que la totalité des éléments de cette liste soit sans intérêt, mais elle demandera un long travail d’exploitation.

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