Le grand luxe aux frais de la police


Lundi 23 Mars 2009 - 11:27
canoe.ca


Recruté à l’âge de 14 ans comme agent infiltrateur pour le compte de la police, Michael Lechasseur a vécu une double vie pendant 23 ans. Il publie ces jours-ci sa biographie, dans laquelle il raconte les dessous, tantôt thrillants et tantôt périlleux, de cette vie où les femmes, l’argent et la drogue sont rois.


Le grand luxe aux frais de la police
Une vie qu’il aurait préférée autrement. Le Journal de Montréal présente des extraits de sa biographie. À Toronto, une nouvelle escouade spécialisée, calquée sur un système britannique, filtre les informations, les valide puis les refile aux enquêteurs sur le terrain.
Ceux-ci sont donc formés pour travailler avec des informateurs et des agents doubles, ce qui est bien différent au Québec. Ainsi ai-je travaillé, au printemps 2007, avec un de ces spécialistes de l'infiltration et son groupe.
Ils avaient vu à passer mon histoire au peigne fin auprès de tous les policiers avec qui j'avais coopéré au Québec, mon contrôleur de la Sûreté du Québec, celui de Québec, celui de la section des crimes majeurs du SPVM, et même mon mal-aimé de l'Antigang.
Ils ont sûrement eu le feu vert. Quelqu'un a dû leur dire que j'étais réglo, car ils ont monté un projet et m'ont mis à l'épreuve. (...)
Le scénario était le suivant: je jouais un homme d'affaires intéressé à acheter un bar dans le district regroupant théâtres, restaurants, cinémas et discothèques; l'Entertainment District.
Le but ultime des policiers était d'épingler les dirigeants d'une dizaine de bars reconnus comme des blanchisseurs d'argent de la mafia torontoise. Mais mon premier travail d'infiltration a consisté à identifier les vendeurs de cocaïne dans ces bars.
Les spécialistes me payaient pour chaque information (...). Ils me payaient 700 dollars, 800 dollars, 1 000 dollars par renseignement, alors qu'au Québec c'était de 1 500 dollars à 2 000 dollars pour les grosses prises seulement.
Un travail d’équipe
Je faisais partie d'une équipe et je tripais. Ils mettaient des heures à préparer nos opérations, et ils s'occupaient vraiment de moi. Ils m'appelaient durant les weekends, j'allais m'entraîner, boire des bières avec eux durant leurs heures de loisirs.
Le spécialiste de l'infiltration ne cessait d'ailleurs de me répéter que je faisais partie de l'équipe et qu'en vingt ans de travail avec des informateurs il n'avait jamais vu un agent double opérer comme moi.
«On oublie qui tu es!» me disait-il à tout bout de champ, tant il appréciait mes méthodes. Un peu plus et j'allais poinçonner ma carte le matin à leur bureau. (...)
Je partageais leurs montées d'adrénaline. Impressionnés, ils ont décidé que je participerais à la phase 2 de leur opération antimafia.
Le spécialiste de l'infiltration s'occupait de mon bien-être. Il a mis plus d'une fois sa tête sur le billot pour me fournir les outils nécessaires à une telle mission. Il a même à quelques reprises payé de sa poche pour que je puisse opérer. Il me disait souvent: «C'est pas à toi de débourser. Après tout, tu travailles pour nous.» Ainsi l'on m'a fourni une rutilante Cadillac Escalade, des vêtements griffés et un luxueux appartement, dans le but de rendre ma mission crédible.
Rien de plus facile pour moi d'en mettre plein la vue dans les bars, c'était l'histoire de ma vie. Suffisait de chanter la pomme à une ou deux barmaids, de les attirer chez moi et ma publicité de bouche à oreille se répandait comme une traînée de poudre.
Dans le temps de le dire, j'étais devenu un habitué reconnu dans tous les bars ciblés. Mon seul vrai problème a été de convaincre les policiers de me donner assez d'argent liquide pour pouvoir impressionner.
1000 $ par soir
Ils avaient, au départ, pensé à 200 dollars par soir. C'était ridicule. Dans ces bars chics, une bouteille de vodka se détaillait 150 dollars et tout fêtard digne de ce nom dépensait à coups de 100 dollars. Et ils pensaient que je pouvais jouer au millionnaire avec 200 dollars ?
J'avais besoin d'un minimum de 1 000 dollars par soir et ils ont fini par accepter cette exigence, en montant un projet spécifique avec un budget adéquat. (...) J'ai dû attendre environ deux mois, le temps que le projet soit accepté, deux mois durant lesquels ils me payaient ma voiture, mon appart et mes dépenses. Ils m'ont même payé un cruiser dans le port de Toronto, équipé d'un barbecue, où j'invitais des barmaids à faire la fête.
Ce cruiser n'est jamais sorti du port. Il est toujours demeuré amarré. J'évoquais un problème de moteur. Je faisais la grosse vie (...). Finalement, cette grosse opération est tombée à l'eau faute de budget. J'avais cependant eu le temps de leur refiler des infos sur les dix bars visés.
Je leur avais fait saisir des kilos de cocaïne et deux immeubles appartenant à de gros trafiquants, fait arrêter des dizaines de revendeurs et mettre la main au collet d'un meurtrier recherché au Guatemala.
J'avais entendu un homme s'en vanter dans un bar et, quand les policiers ont fait les vérifications à son sujet, c'était bel et bien vrai. (...)
J'avais réussi à infiltrer la mafia de Toronto, en fréquentant régulièrement un restaurant de Toronto appartenant à famille mafieuse visée. Cet établissement abritait deux niveaux de terrasse. Je m'installais au deuxième niveau, d'où je pouvais surveiller leurs faits et gestes sans éveiller les soupçons.
Un jour, je vois le patron s'arrêter et adresser quelques mots en vitesse à deux clients aux allures d'hommes d'affaires. Conversation brève mais intense, que seul un œil averti pouvait remarquer.
Hôtel au Costa Rica
Je ne lâche pas les deux types des yeux. Quand ils se lèvent et montent au bar, qui est assis là, en grande conversation avec la barmaid ? Bibi, « Le chasseur » de Montréal.
Je joue de chance, car les deux clients viennent prendre place à côté de moi, au bar. Cinq minutes plus tard, nous sommes en grande conversation, telles de vieilles connaissances.
Ayant remarqué deux jolies filles, je les aborde et les présente aux deux types. Je commande des shooters pour tout le monde.
La vie est belle. Ils n'ont rien vu venir. Au point qu'à un certain moment je leur demande ce qu'ils font comme métier. Ils m'affirment œuvrer dans la construction. Je leur confie que j'ai un projet en vue dans leur domaine. - Je veux bâtir un complexe hôtelier de luxe au Costa Rica, dis-je. - Nous autres, on s'occupe du vaste projet de condos au coin de la rue X et de la rue Y, ici même à Toronto. Paf ! En plein dans le mille. C'était exactement le but de l'enquête antimafia : démontrer que ce projet immobilier était financé par l'argent blanchi de la mafia.
Je leur demande leurs cartes professionnelles, leur disant vouloir visiter ce vaste projet de condominiums. Je les raccompagne à l'extérieur, et note subrepticement l'immatriculation de leur véhicule.
Voilà ! J'avais en main un premier indice insinuant que la mafia de Toronto pouvait se cacher derrière le gigantesque projet domiciliaire. Information majeure !
Qui ne m'a valu pourtant que 1000 dollars de récompense, plus mes dépenses, et le fait que j'étais bien nourri et bien logé.
C'était peu, mais je m'étais amusé comme un fou. La base était là pour permettre d'aller plus loin, et mes policiers le savaient. (...)
Ferrari
J'ai quitté Toronto avec un nouveau surnom. J'étais devenu, pour mes deux détectives torontois et leurs hommes, « Ferrari ».
« Ferrari » pour fonceur comme un pilote de F1, car, en plus des missions qu'ils m'avaient confiées et qui avaient toutes donné des résultats concrets, j'avais réussi un coup dont ils parlent encore.
Durant mon infiltration dans les bars de l'Entertainment District, j'avais rencontré un restaurateur de Barrie, en Ontario, qui m'avait invité à un tournoi de golf.
Ignorant tout de ce sport, je ne possédais même pas de bâtons pour pratiquer. Quand j'en ai parlé à mon spécialiste de l'infiltration, il a tout fait pour que je ne rate pas cette invitation, car le restaurateur était apparenté à une des cinq grandes familles qui contrôlent la mafia de New York, et plusieurs de ses représentants devaient y participer!
Je m'y suis finalement rendu avec son équipement personnel, suivi d'une escouade de filature qu'il a dirigée sur place.
Or, pendant que les policiers choisis pour cette mission étaient cachés dans les bois environnant le terrain de golf, munis de lunettes d'approche et de caméras pour surveiller les participants au tournoi, ils étaient aussi sous la loupe de leurs semblables du Federal Bureau of Investigation (FBI) américain !
Ils en ont eu la confirmation plus qu'explicite trois jours plus tard, lorsque des agents du FBI les ont contactés pour identifier sur leurs photos un des personnages qu'ils ne connaissaient pas : moi-même en personne!


           

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