Des endroits sensibles qu’il faut protéger des indiscrétions, des sabotages, voire des attentats. Ces événements se situent au début des années 80, je ne me souviens plus exactement de la date, en fait, je ne suis même pas sûr que c’était l’hiver. Mais peu importe…
À la DST, on s’agite, on vérifie… Il faut se rendre à l’évidence : le nombre de camions bulgares présents sur notre territoire est anormal. Évidemment, on se pose des questions. D’autant plus qu’il est impossible de les ouvrir, ces fichus camions, ils sont destinés au trafic international et les portes sont plombées par des scellés.
On fait le rapprochement, bien sûr, avec les chalutiers russes qui sillonnent toutes les mers du monde sans jamais prendre de poissons mais qui possèdent un équipement électronique digne de bâtiments de guerre. Ces camions sont probablement là pour nous piquer nos petits secrets d’États.
Heureusement, la division (à l’époque, la DST était composée de divisions spécialisées par pays ou régions du globe) qui traite la Bulgarie a dans sa manche un défecteur, ou une taupe, ou un agent-double, je ne sais pas. D’abord tout cela est classé secret-défense, on ne devrait même pas en parler. Mais c’est Noël ! Bon, on pressure un peu l’individu et il se dit prêt à coopérer. C’est le KGB, dit-il, qui dans le cadre du « plan d’invasion du Pacte de Varsovie » a décidé de répertorier toutes les zones sensibles des pays considérés comme ennemis potentiels.
Aujourd’hui, cela fait sourire, mais il faut se souvenir qu’à l’époque le déploiement de forces militaires du pacte de Varsovie était considérable : plus de deux millions d’hommes et plus de cent mille blindés. On était en pleine guerre froide entre les nations appartenant à l’OTAN et celles du Pacte de Varsovie. Une guerre sournoise, sans aucun conflit armé, mais tout était possible, comme à Prague, au printemps 68.
La chose est donc prise très au sérieux par les grands chefs de la police et ceux des services secrets, et d’un commun accord, ils décident d’une opération d’envergure, à l’échelon national. Gaston Defferre, le ministre de l’intérieur, donne son feu vert. Des milliers de gendarmes et de policiers sont mobilisés. On sort les cartes militaires, les plans de bataille sont dressés, le matériel et les hommes sont déplacés dans les zones stratégiques, les frontières sont bloquées, etc. Il ne reste plus qu’à passer à l’action. Il faut que le jour J, à l’heure H, tout démarre simultanément, partout dans l’Hexagone. Les instructions sont simplissimes : immobiliser tous les camions bulgares, interpeller les chauffeurs et les occupants, et, trafic international ou pas, vérifier les chargements.
C’est la DST qui supervise les opérations. Son patron est un préfet. On va taire son nom, ça n’a pas d’importance. Il est fin prêt, la main sur le starter. Tout l’état-major retient son souffle. Soudain, le télex crépite. Le rouleau de papier se dévide lentement. Pour l’instant, on n’aperçoit que le haut : le ministre d’État, ministre des transports… Le préfet a des sueurs froides. Il sent venir la patate. « Merde ! On a oublié de l’informer… » Derrière son dos, les grands chefs se font des mimiques - mais pas comiques, loin de là. Eux, ils ont seulement fait semblant d’oublier. On n’allait quand même pas mettre un ministre communiste dans le coup !… En pleine guerre froide…
Le télex dit : opération annulée, signé : Charles Fiterman.
Un à un, comme par magie, tous les camions bulgares ont repassé la frontière. On n’a jamais eu confirmation des raisons de leur présence ni de leur contenu.
Un peu plus tard, en juillet 84, le nouveau gouvernement de Mitterrand, dirigé par Laurent Fabius, ne comprendra aucun ministre communiste. Et la guerre froide a continué jusqu’à l’implosion de l’URSS, en 1991.
L’histoire des camions bulgares est une histoire vraie, seule la mise en scène est de moi.
Joyeux Noël à tous.
À la DST, on s’agite, on vérifie… Il faut se rendre à l’évidence : le nombre de camions bulgares présents sur notre territoire est anormal. Évidemment, on se pose des questions. D’autant plus qu’il est impossible de les ouvrir, ces fichus camions, ils sont destinés au trafic international et les portes sont plombées par des scellés.
On fait le rapprochement, bien sûr, avec les chalutiers russes qui sillonnent toutes les mers du monde sans jamais prendre de poissons mais qui possèdent un équipement électronique digne de bâtiments de guerre. Ces camions sont probablement là pour nous piquer nos petits secrets d’États.
Heureusement, la division (à l’époque, la DST était composée de divisions spécialisées par pays ou régions du globe) qui traite la Bulgarie a dans sa manche un défecteur, ou une taupe, ou un agent-double, je ne sais pas. D’abord tout cela est classé secret-défense, on ne devrait même pas en parler. Mais c’est Noël ! Bon, on pressure un peu l’individu et il se dit prêt à coopérer. C’est le KGB, dit-il, qui dans le cadre du « plan d’invasion du Pacte de Varsovie » a décidé de répertorier toutes les zones sensibles des pays considérés comme ennemis potentiels.
Aujourd’hui, cela fait sourire, mais il faut se souvenir qu’à l’époque le déploiement de forces militaires du pacte de Varsovie était considérable : plus de deux millions d’hommes et plus de cent mille blindés. On était en pleine guerre froide entre les nations appartenant à l’OTAN et celles du Pacte de Varsovie. Une guerre sournoise, sans aucun conflit armé, mais tout était possible, comme à Prague, au printemps 68.
La chose est donc prise très au sérieux par les grands chefs de la police et ceux des services secrets, et d’un commun accord, ils décident d’une opération d’envergure, à l’échelon national. Gaston Defferre, le ministre de l’intérieur, donne son feu vert. Des milliers de gendarmes et de policiers sont mobilisés. On sort les cartes militaires, les plans de bataille sont dressés, le matériel et les hommes sont déplacés dans les zones stratégiques, les frontières sont bloquées, etc. Il ne reste plus qu’à passer à l’action. Il faut que le jour J, à l’heure H, tout démarre simultanément, partout dans l’Hexagone. Les instructions sont simplissimes : immobiliser tous les camions bulgares, interpeller les chauffeurs et les occupants, et, trafic international ou pas, vérifier les chargements.
C’est la DST qui supervise les opérations. Son patron est un préfet. On va taire son nom, ça n’a pas d’importance. Il est fin prêt, la main sur le starter. Tout l’état-major retient son souffle. Soudain, le télex crépite. Le rouleau de papier se dévide lentement. Pour l’instant, on n’aperçoit que le haut : le ministre d’État, ministre des transports… Le préfet a des sueurs froides. Il sent venir la patate. « Merde ! On a oublié de l’informer… » Derrière son dos, les grands chefs se font des mimiques - mais pas comiques, loin de là. Eux, ils ont seulement fait semblant d’oublier. On n’allait quand même pas mettre un ministre communiste dans le coup !… En pleine guerre froide…
Le télex dit : opération annulée, signé : Charles Fiterman.
Un à un, comme par magie, tous les camions bulgares ont repassé la frontière. On n’a jamais eu confirmation des raisons de leur présence ni de leur contenu.
Un peu plus tard, en juillet 84, le nouveau gouvernement de Mitterrand, dirigé par Laurent Fabius, ne comprendra aucun ministre communiste. Et la guerre froide a continué jusqu’à l’implosion de l’URSS, en 1991.
L’histoire des camions bulgares est une histoire vraie, seule la mise en scène est de moi.
Joyeux Noël à tous.