Le pape face à l'histoire des chrétiens cachés du Japon


Samedi 23 Novembre 2019 - 11:02
AFP


​Tokyo - Le pape François fera ressurgir un instant dimanche à Nagasaki le souvenir de l'extraordinaire histoire des premiers chrétiens du Japon qui, convertis au XVIe siècle puis persécutés, ont transmis leur foi dans la clandestinité pendant plus de 250 ans.


Une tragique aventure que le réalisateur américain Martin Scorsese avait montrée au monde il y a trois ans dans le film "Silence", inspiré du roman éponyme de l'écrivain catholique japonais Shusaku Endo (1966).

En se posant sur l'île méridionale de Kyushu, le pape retrouvera les traces d'un autre jésuite, l'Espagnol François-Xavier, arrivé en 1549 à Kagoshima et suivi par d'autres missionnaires.

Dès la fin du XVIe siècle persécutions et massacres de chrétiens par les shoguns, gouverneurs militaires qui sentaient leur pouvoir menacé, se multiplient: crucifixions, tortures, lentes noyades dans la marée montante.

Le christianisme est interdit, puis le Japon se ferme au monde en 1639.

Mais lorsque le pays sort de son isolationnisme plus de deux siècles plus tard, un prêtre français voit arriver, stupéfait, des hommes, femmes et enfants dans son église qui demandent à voir la statue de Marie.

La foi s'était transmise secrètement, au sein de ceux que l'on appelle au Japon les "kakure kirishitan" (chrétiens cachés). Leur nombre a été évalué à l'époque à quelque 60.000.

"Ils ont pu préserver leur foi pendant si longtemps sans prêtres ni bibles. C'est unique dans l'histoire de l'Eglise", souligne le père Domenico Vitali, directeur du musée des 26 Martyrs à Nagasaki, auprès duquel le pape viendra se recueillir devant un monument.

De nos jours encore, dans ces petites îles au climat subtropical, le visiteur peut se trouver plongé dans un émouvant voyage à travers les siècles en voyant des pêcheurs et agriculteurs chanter a cappella des paroles venues de l'autre bout du monde.

"Santa Maria", "Spirito Santo", "San Pedro", leurs rapides signes de croix sur le front et la poitrine, leurs prières en japonais mêlé de latin et de portugais, portent le souvenir durement gardé de leurs ancêtres.

"Nous disons +Maria+ à plusieurs reprises mais ce n'est pas elle que nous prions. Nous ne nous référons pas à un Dieu spécifique mais à nos ancêtres", avait dit lors d'une visite de l'AFP dans la région en 2016 Masatsugu Tanimoto.

Ce cultivateur de riz sexagénaire pratique tout autant le bouddhisme et le shinto et ne fréquente aucune des multiples églises qui parsèment à présent la région de Nagasaki, à mille kilomètres au sud-ouest de Tokyo.

C'est un culte métissé qui s'est créé autour de chefs de communautés dits "oyaji". "Esseulés, ils n'ont pas eu d'autre choix que de reproduire le culte le plus fidèlement possible" mais, sur certains aspects, "leur culture a repris le dessus", explique l'ethnologue Shigeo Nakazono.

Pour lui, il s'agit d'un "culte régional à part entière qui, tout en prenant sa source dans le christianisme, a été coupé du Vatican".

"La valeur culturelle des chrétiens cachés est bel est bien le fait qu'ils conservent ce culte chrétien remontant aux XVIe et XVIIe siècles", dit-il.

Il emmènera bien cinq "chrétiens cachés" à la messe papale à Nagasaki dimanche, mais il considère que "la venue du pape ne changera rien à la relation entre le Vatican et les chrétiens cachés".

Sur l'île d'Ikitsuki, dans la maison du pêcheur Masaichi Kawasaki, 69 ans, quatre autels occupent tout un mur de la salle de séjour au sol de tatamis: deux bouddhiques, dont l'un consacré aux ancêtres, comme dans bien des foyers nippons; un shinto; et sur le quatrième, deux images d'une femme en kimono aux longs cheveux noirs portant un enfant, Maria-Kannon - la Vierge sous la forme de Kannon, représentation bouddhique de la compassion.

Il est de ceux qui continuent à refuser de rejoindre l'Eglise et observent leurs rites dans l'intimité, contrairement à une partie des chrétiens clandestins, convertis au catholicisme au retour des prêtres, au milieu du XIXe siècle.

Les jeunes se désintéressent de cette croyance et les kakure kirishitan ne sont plus que quelques centaines. "C'est vraiment triste (...). Sans transmission, c'est fini", disait les larmes aux yeux à l'AFP en 2016 Yoshitaka Oishi, un menuisier sexagénaire.


           

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