"Le pays tout entier était derrière moi"


Lundi 5 Janvier 2009 - 13:41
BBC Afrique.com/Alan Little


En 1962, James Meredith affronte l'Etat ségrégationniste du Mississippi en se faisant inscrire à l'université. Son geste provoque des émeutes, des affrontements violents. Alors qu'un Noir est un des deux principaux candidats à la présidence, James Meredith se souvient, au micro de notre confrère Allan Little.


"Le pays tout entier était derrière moi"
James Meredith : J'ai envahi l'université du Mississipi, parcequ'on avait décidé que c'était là l'endroit le plus propice pour atteindre notre objectif. Et la raison pour ça est très simple: l'université du Mississipi avait été établie en 1848 dans le but exclusif et ouvertement affiché de raffiner, définir, et perpétuer le système de la suprématie blanche.

Alan Little : Et quand vous avez envoyé votre formulaire demandant à être admis comme étudiant à l'université du Mississipi, que s'est-il passé?

JM : J'ai simplement dit que je voulais devenir étudiant dans cette université. Ils m'ont mis automatiquement sur leurs listes, ils m'ont dit quand je devais me présenter, et m'ont envoyé un formulaire à remplir plus tard, c'était la procédure normale. Et dans le formulaire, il y avait un espace pour mettre une photo. Quand je leur ai renvoyé le formulaire dûment rempli, aussitôt qu'ils l'ont reçu ils m'ont envoyé un télégramme en me disant de ne pas venir.

AL : Parceque quand ils vous avaient dit de vous présenter, ils ne pouvaient pas savoir que vous étiez Africain-américain...

JM : Ils étaient sûrs à 99% que j'étais un aristocrate blanc, d'une classe supérieure, et très riche. C'était le seul genre de personne qui pouvait entrer à cette université.

AL : Vous voulez dire que quand ils ont vu votre photo sur le formulaire quand il leur est parvenu, ils ont totalement retiré l'offre qu'ils vous avaient faite à l'origine ?

JM : Absolument. Tout le monde dit que les Blancs du Mississipi sont des imbéciles, mais ce sont les gens les plus malins du monde. Et ce qu'ils faisaient, contrairement à tous les autres Etats, c'était de pratiquer une politique d'élimination de toute personne qui remettait en question ou qui menaçait le système de suprématie blanche dans l'Etat. Vous comprenez ?

1962 : James Meredith arrive à l'université, sous protection policière

AL : Comment avez-vous finalement pu vous faire inscrire ?

JM : Eh bien... la seule chose qui permet de projeter les gens jusqu'au sommet, c'est la conquête militaire. Donc je savais que si je devais vaincre, dans le Mississipi, je devrais avoir la force, la violence, de mon côté. Une force supérieure à celle de mes ennemis. Le Mississipi avait sa propre force militaire mais nous avions le pays tout entier.

AL : A l'époque, c'était le président Kennedy...

JM : Il était président à ce moment-là.

AL : Donc vous saviez, quand vous vous êtes mis en marche ce jour-là, que vous aviez de votre côté la puissance de l'Amérique fédérale à vos côtés?

JM : Et comment! (autrement) je n'aurais pas été sur ce campus.

Ostracisme

AL : Et quand vous êtes entré dans les salles de classe, que vous avez suivi les cours, les séminaires, pour la première fois, comment cela s'est-il passé?

JM : Vous n'avez pas vu les images de mon premier cours! J'étais seul dans la salle! Il y avait une centaine de places, elles étaient toutes
vides (rire).

AL : Où étaient les autres étudiants?

JM : Ils étaient tous partis. Quand je suis entré, ils sont tous sortis.

AL : Comment avez-vous réagi aux violences qui se sont produites au moment où vous vous êtes fait inscrire?

JM : Ma seule surprise a été qu'il n'y a eu que deux morts et trois ou auatre cents blessés (rire), pour moi, c'était la seule surprise, pour tout le temps que j'y ai passé. Et ma plus grande surprise est que je suis resté en vie.

AL : Et votre objectif était de détruire le système de la suprématie blanche?

JM : Absolument!

AL : Dans quelle mesure avez-vous réussi?

JM : L'université du Mississippi est (aujourd'hui) la seule aux Etats-Unis qui assure vraiment l'éducation d'étudiants noirs. Toutes les autres universités, à commencer par Harvard et Yale, cherchent seulement à inscrire le nombre prescrit par le gouvernement, pour continuer de recevoir des subventions, des fonds publics. Vous comprenez? L'université du Mississipi est la seule, je vous le garantis. Vérifiez ce que je vous dis: vous verrez que durant les dix ou quinze dernières années, l'université du Mississippi a produit plus de diplômés noirs que
toutes les autres universités américaines. Vous comprenez?

Riches et pauvres

AL : Et quand vous regardez la candidature de Barack Obama, est-ce qu'à vos yeux elle fait partie de cette offensive contre la suprématie blanche dont vous aviez fait partie il y a si longtemps?

JM : Sélectionner le Pharaon, ce n'est pas mon rôle. J'ai toujours pensé, pas seulement aujourd'hui mais depuis toujours, que j'étais en fait un prophète. Mon rôle, c'est de faire en sorte que le Pharaon, quel qu'il soit, fasse ce qu'on attend de lui. Donc je ne considère pas que ce soit à moi, de quelque façon que ce soit, de jouer un rôle dans la sélection de ce Pharaon.

En d'autres termes, si Obama devient président... mon objectif maintenant est de faire porter l'attention non plus sur les questions de race et de couleur, mais sur les riches et les pauvres. Le problème aujourd'hui dans le monde entier, c'est ça: les riches et les pauvres. Mais le vrai problème, c'est que les riches manquent à leurs obligations à l'égard des pauvres.

C'est ça, le sens de la crise financière actuelle. Les riches deviennent encore plus riches, et le justifient par tous les moyens, sans s'intéresser aux couches les plus pauvres de la population.


           

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