Le sextant de Patrice Franceschi


Vendredi 26 Décembre 2008 - 18:01
Lire.fr/Tristan Savin


L'aventurier écrivain reçoit sur son bateau, La Boudeuse, un voilier construit en 1916. Amoureux de la mer comme de la littérature, son repaire célèbre la liberté et l'indépendance d'esprit.


Le sextant de Patrice Franceschi
Amarrée sur un quai de la Seine, au pied de la Grande Bibliothèque François-Mitterrand, La Boudeuse porte bien son nom en cet automne pluvieux. Le dragon de la figure de proue semble ronger les cordes, impatient de repartir dans les mers du Sud affronter les pirates. A bord, le capitaine Patrice Franceschi dédicace les DVD des documentaires réalisés par ses soins aux visiteurs de passage, ravis de poser le pied sur un trois-mâts légendaire depuis son tour du monde de trois ans à la découverte des «peuples de l'eau». Voilier de commerce hollandais construit en 1916, puis bateau-école suédois après guerre, la goélette fut rachetée en 2003 par l'éternel aventurier, transformée en navire d'exploration et rebaptisée en hommage à la frégate de Bougainville, initiateur de la première circumnavigation scientifique.

Né en 1954 à Toulon, de parents corses, Patrice Franceschi a changé quatorze fois d'école entre le cours primaire et le baccalauréat, naviguant entre la France et l'Afrique. Son père, saint-cyrien, était parachutiste, sa mère, infirmière militaire. Quel souvenir en garde-t-il ? « Des malles... et des bateaux. » Enfant nomade, il saute pour la première fois en parachute au Sénégal, fait son apprentissage de l'eau sur un requin. Aujourd'hui, il se considère à la fois comme un marin et un aviateur : « L'air et la mer sont des espaces de liberté. » D'où son tour du monde en ULM, ses incessantes plongées sous-marines « pour nager comme un poisson ».

Sous ses airs de baroudeur télégénique, le président de la Société des explorateurs français est un écrivain passionné de sciences. Il reçoit Lire dans la bibliothèque du carré, classée par thèmes: histoire, géographie, anthropologie... « Un jour, m'a mère m'a trouvé endormi sur mon lit. A la place des draps, je m'étais recouvert de livres... » Le premier appel de l'aventure? « Le Club des Cinq. Puis la Bibliothèque verte... Il ne faut pas s'en moquer. Ça permet ensuite de passer à Conrad. » Intrigué par les peuplades citées dans Bob Morane, il visite le Musée de l'homme trois fois par semaine. L'ethnologue en herbe s'identifie à Monfreid, Kessel, Gary, Malraux et Hemingway. En 1974, son père lui demande de choisir un métier. Réponse : « écrivain aventurier ». Devant le « niet catégorique », le rêveur s'inscrit en médecine, à Bobigny. Mais un matin, il fugue, sac au dos : « Je ne me voyais pas enfermé pendant sept ans. » Pourquoi la Guyane ? « Il n'y avait pas besoin d'autorisation de sortie du territoire. » Rattrapé par la gendarmerie, il passe au Brésil, atterrit dans la pampa argentine. Et apprend, dans Le Monde, que Giscard d'Estaing vient d'abaisser la majorité à 18 ans. « J'étais désormais libre. » Libre de remonter le Nil avec une caravane de contrebandiers, d'entreprendre une première expédition chez les pygmées du Congo. Il en conserve des cicatrices aux pieds. « J'ai découvert la mémoire de la chair. Les chiques et les mouches à miel nous dévoraient. Nous n'avions plus de vivres. Je me suis cru mort. Ça apprend le dépassement et l'humilité. » Désormais, l'aventure sera psychologique. Il reprend les études, consacre sa maîtrise à la philosophie des sciences : « Pour être armé en voyage - et libre - il faut s'instruire. » Il publie ses premiers textes, alternant récits et poésie. « A vingt ans, on a besoin de repères, de modèles - dont on s'écartera. » Parmi eux, Blaise Cendrars, bien sûr.

Lecteur attentif de Tocqueville

En 2001, après le naufrage de sa première Boudeuse (une jonque chinoise), au large de Malte, Franceschi a racheté les Pléiade consacrés aux présocratiques et aux stoïciens. Les deux volumes - désormais sous plastique - ne quittent pas la table de chevet de sa cabine. Passionné de philosophie politique, ce lecteur attentif de Tocqueville dénonce la « tyrannie molle des démocraties » et considère qu'un concept doit être appliqué. En Afghanistan, après des années d'aide humanitaire aux côtés de Bernard Kouchner, il s'engage physiquement contre l'envahisseur soviétique, puis commande une unité : « Ce n'est pas de l'idéologie mais de l'idéal. Je disais à mes hommes de dépenser leur sueur pour économiser leur sang. » Il préfère les guerriers aux militaires, évoque les samouraïs, les chevaliers, Malraux - et Cendrars, citoyen suisse engagé volontaire... Pour Franceschi, la littérature compte autant que l'aventure, « les deux sont inséparables ». Sa plus grande fierté ? « Etre resté libre. » Il aurait pu citer sa vingtaine d'expéditions et autant d'ouvrages publiés, parmi lesquels Ils ont choisi la liberté (lauréat de l'Académie française, Arthaud), le très beau Quelque chose qui prend les hommes (Robert Laffont) ou encore De l'esprit d'aventure (réédité aux éditions de L'Aube), conversation croisée avec ses complices Jean-Claude Guilbert et Gérard Chaliand, « écrivains de bord » sur La Boudeuse au même titre que J.M.G. Le Clézio.

Antimatérialiste, Franceschi n'a jamais été salarié et ne possède rien - à part son bateau et ses livres. Aurait-il tout de même un objet fétiche ? « Mon sextant. Je ne m'en sépare jamais. Il symbolise à la fois la mer et la terre, l'avenir et le passé... » Une symbolique dont le capitaine pourrait parler des heures : « Si l'aventure n'est pas intellectuelle, elle n'a aucun intérêt. » Sage leçon d'un écrivain en marinière, qui allume les feux de son trois-mâts quand la nuit tombe.

Parallèlement sont réédités en poche : L'Homme de Verdigi, Archipoche. La Dernière Manche, La Table ronde, La Folle Equipée, J'ai lu. Un capitaine sans importance, Pocket (à paraître le 5 janvier 2009).


           

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