Les jeunes de Mauritanie rejettent la pratique "de grossissement forcé" du Leblouh


Samedi 21 Février 2009 - 09:45
Magharebia.com/Mohamed Yahya Ould Abdel Wedoud


Le phénomène du Leblouh est l'une des plus anciennes valeurs sociales liées à la beauté dans la société mauritanienne. Selon cette pratique, les filles sont obligées de consommer de grosses quantités de nourriture, parfois de force, pour grossir.


Les jeunes de Mauritanie rejettent la pratique "de grossissement forcé" du Leblouh
L'objectif est de leur offrir de meilleures chances de mariage, de leur conférer des critères de beauté et d'acceptation sociale, dans la mesure où les femmes plus minces sont traditionnellement considérées comme inférieures.
Le Leblouh est également envisagé selon une perspective économique. Une fille grosse symbolise une classe sociale riche et raffinée. Vadel, un professeur, explique : "La fille mince est synonyme de honte pour sa famille dans certaines localités, en particulier dans les zones éloignées. Certaines familles se trouvent contraintes de respecter les coutumes de la société qui les entoure, même si elles ne sont pas convaincues. Parfois, les normes locales ne montrent aucune pitié pour les dissidents."
La plupart des mères en milieu rural, peu éduquées, estiment que le Leblouh est la seule manière de trouver un mari.
"J'ai pratiqué le Leblouh avec ma fille Leila quand elle avait dix ans, parce que je voulais qu'elle se marie et donne naissance à des enfants à un âge encore jeune", a expliqué Khadija à Magharebia. "C'est ce que ma mère, Dieu ait son âme, a fait pour moi."
Certaines femmes sont considérées comme des spécialistes de la pratique de grossissement, et perçoivent même un revenu pour leurs services. Ces femmes ne s'intéressent pas à la jeune génération qui tente de mettre un terme à cette pratique. Ache, l'une de ces professionnelle âgée de 45 ans, explique : "Je pense que la coutume du Leblouh est indispensable. Pour parler simplement, une femme grosse attire en général le regard des hommes, pas une femme mince."
D'autres femmes se rappellent sans plaisir les jours difficiles de leur apprentissage du Leblouh. La mère de Hoda avait fait appel aux services d'une professionnelle lorsqu'elle avait huit ans, alors qu'elle grandissait à la campagne. "Elle était très dure avec moi", se souvient-elle. "Elle me frappait lorsque j'en avais assez de manger et était sur le point de vomir. Elle me faisait boire un énorme récipient de lait, près de cinq litres. Mon estomac était sur le point d'exploser à chaque fois."
Selma avait été obligée de manger de très grosses quantités de nourriture dès l'âge de cinq ans. "Au début, je vomissais plusieurs fois par jour du fait de l'excès de nourriture et de boissons que j'étais obligée d'ingurgiter. Les femmes autour de moi disaient que cela était parfaitement normal, alors que j'avais le sentiment, bien que petite, que cela ne pouvait être normal. Je gagnais du poids rapidement ; à 15 ans, je pesais déjà près de 80 kilos", explique-t-elle.
Pour Vayza, ce grossissement était censé permettre un mariage jeune avec un cousin, le poids étant plus important aux yeux de la société. "J'ai été contrainte de me marier à 14 ans, et ai connu de nombreuses difficultés dans ma vie de femme mariée", raconte-t-elle. "Mon rêve d'éducation s'était évanoui ; je suis triste lorsque je vois mes amies minces qui étudient au lycée."
Pour plus de 70 pour cent des Mauritaniennes de plus de 40 ans, la coutume du Leblouh est nécessaire pour le mariage, selon une étude réalisée en 2007 par l'Association de Solidarité Sociale. Cette association l'attribue au fait que les femmes nées et élevées à la campagne – avant l'exode de la population vers les centres urbains – ont encore des mentalités traditionnelles fortement ancrées dans la population rurale. Cette même étude montre que si seulement dix pour cent des filles de la ville ont été grossies de force, leur nombre dans les zones rurales est proche de 80 pour cent.
"Le Leblouh est un phénomène néfaste qui a envahi notre pays à l'époque des Almoravides", explique le professeur d'histoire Mohamed Salem.
Il explique comment il s'est enraciné dans l'histoire de la Mauritanie. "La femme était traditionnellement confinée dans la tente du fait des conditions de la vie dans le désert. Les hommes se chargeaient de rapporter la nourriture, liée à l'élevage du bétail, et les femmes passaient la plupart du temps à manger et à dormir ; cela les aidaient à gagner du poids."
Pour se conformer aux pratiques sociales et culturelles, les femmes ont accepté le Leblouh.
Salem explique que les choses ont changé aujourd'hui. Il semble que la nouvelle génération de filles et même de garçons en ont assez des pratiques traditionelles qu'ils ne considèrent pas comme très saines.
"L'ère de la 'tente' traditionnelle, symbole du désert, est révolue", explique Fatimetou, une étudiante de 22 ans. "Désormais, à l'heure de la mondialisation, le phénomène du Leblouh a perdu toute signification et doit disparaître, son ère est révolue."
Mariem, une autre étudiante, est typique de la nouvelle génération de jeunes femmes des grandes villes comme Nouakchott et Noudhibou, qui prennent conscience des risques pour la santé associés à l'obésité.
Elle a expliqué à Magharebia : "Aujourd'hui, nous avons besoin de minceur et de beauté, afin de pouvoir préserver notre santé. Il y a tellement de femmes qui ne peuvent sortir de chez elles à cause de leur poids excessif."
Les critiques de la coutume du Leblouh trouvent des alliés dans la médecine moderne. Les hôpitaux de Mauritanie, comme les cliniques privées, reçoivent chaque semaine des centaines de femmes ayant des problèmes de santé liés au poids, tels que des insuffisances cardiaques, de l'hypertension et de l'artérosclérose.
"Nous recevons de nombreux cas chroniques liés au Leblouh", explique le Dr. Sidi Ahmed, spécialiste des maladies cardiaques à l'hôpital Sabah de Nouakchott. "Nous avons lancé plusieurs campagnes visant à mettre un terme à une mentalité qui lie beauté et poids ; certaines personnes revoient leurs habitudes et leurs traditions."
"La plupart des cas que nous recevons viennent de la campagne, car les femmes de la ville ont commencé à comprendre les dangers du Leblouh", ajoute-t-il.
Certains activistes exigent même que des mesures légales soient prises contre ceux qui font profession de faire grossir les filles.
Sayyid Aal Ould Ahmed, secrétaire général de l'organisation "Ensemble pour le Bien-Être Social", affirme que son association a lancé des campagnes de sensibilisation dans la capitale et dans certains quartiers sur "les mauvaises pratiques traditionnelles comme le Leblouh et le mariage précoce".
Son ONG a également conduit des enquêtes d'opinion publique, dont certains résultats sont surprenants.
"Nous avons découvert que 70 pour cent des jeunes hommes d'aujourd'hui n'aiment pas les femmes grosses", explique M. Ould Ahmed.
Selon une enquête, seuls 6 pour cent des femmes grosses sont mariées. M. Ould Ahmed l'explique par le fait que "elles sont en général peu éduquées, et donc peu désirées par les hommes".
Enfin, explique-t-il, 80 pour cent des mères en milieu urbain ne souhaitent pas que leurs filles soient grosses.
Ensemble pour le Bien-Être Social a produit plusieurs films dans la langue de tous les jours pour éduquer la société aux risques du Leblouh.
En dépit des appels pour des mesures légales contre les professionnelles du Leblouh, le gouvernement continue de tolérer cette pratique. Les critiques suggèrent que les membres du parlement ne traitent pas la question parce qu'ils sont âgés et n'ont aucune envie de changer des coutumes avec lesquelles ils ont vécu toute leur vie.
"Le gouvernement ne peut modifier les mentalités liées à la culture – en particulier le phénomène du Leblouh", explique un employé du ministère des Affaires Féminines, sous couvert de l'anonymat.
"Il est profondément ancrée dans les zones rurales, où l'influence de l'autorité administrative est faible et la force de l'héritage très puissante."


           

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