Les plaisirs du plagiat


Vendredi 13 Mars 2009 - 08:08
canoe.ca/Maxime Catellier


Moteur essentiel de la littérature, l’humour est rarement pris au sérieux chez nos confrères les intellectuels. Pourtant, quoi de plus essentiel à la réflexion que le rire, qui ouvre les voix respiratoires et permet au cerveau de s’oxygéner librement.


Les plaisirs du plagiat
Toutefois, gardons-nous de considérer le travail de Pierre Bayard sous le seul angle humoristique. Car il y a, à travers des essais aussi féconds et instructifs que Comment parler des livres que l’on n’a pas lus?, Comment améliorer les œuvres ratées?, ou encore Peut-on appliquer la littérature à la psychanalyse?, tous parus aux éditions de Minuit, un sérieux qu’on aurait tort de bafouer sous le couvert de la drôlerie.
Il n’y a pas de mauvais sujet. Il n’y a que de mauvais écrivains. Et si Bayard nous enchante par la magie de ses titres, il faut aller y voir de plus près pour constater que son esprit, d’une finesse à tout casser, dissèque habilement les apories les plus épineuses.
Ainsi, dans ce nouvel essai portant sur le plagiat par anticipation, une notion qui consiste à repérer les cas de plagiat faits par des écrivains du passé sur les œuvres à venir, Bayard met en place tous les éléments qui nous permettent d’en appeler à «d’autres modèles temporels» lorsqu’il est question de littérature. Voici d’ailleurs une petite entrevue que nous avons réalisé avec l’intrigant signataire de cet essai capital.
Dans votre dernier essai, vous abordez l’épineuse question du plagiat par anticipation. En quoi cette pratique assez répandue influe-t-elle sur la figure du précurseur, qui jouissait jusque là d’une assez bonne presse chez les intellectuels ?
La différence majeure est pour moi la question de l’intentionnalité. C’est un peu par hasard que le précurseur se retrouve avoir inventé des formes littéraires promises à un grand avenir. En revanche, c’est en toute conscience que le plagiaire - classique ou par anticipation - subtilise à d’autres écrivains leurs innovations. De ce fait se pose un problème moral qui ne se pose pas pour le précurseur.
Quelle est la part d’originalité qui échoit à un plagiaire par anticipation ?
Si mon livre a une dimension morale, je ne me contente pas de critiquer les plagiaires par anticipation pour leur absence de scrupule. Je leur rends aussi hommage pour leur capacité à deviner ce que vont faire leurs successeurs et à s’en inspirer. Les grands créateurs ont selon moi une capacité particulière à pressentir des formes à venir. J’ai étudié dans mon livre quelques-unes des formes de ces pressentiments.
Sentez-vous que vous êtes pris au sérieux, ou cherche-t-on à vous faire passer pour un fantaisiste ?
Je ne peux guère préjuger de l’image que j’ai auprès de mes lecteurs. Ceux dont je rêve sont capables à la fois de faire l’effort de suivre une réflexion théorique sur la littérature et de faire preuve d’humour. Les deux ne me paraissent pas incompatibles, contrairement à ce qui se passe souvent dans le domaine des sciences humaines. L’humour est un élément essentiel de mes livres, qui me permet de réfléchir de façon décalée sur des problèmes sérieux.
Le célèbre plagiat de Lautréamont par Guy Debord, dans son livre La société du spectacle, se dédouble à la lecture de votre essai. Aurait-on affaire à un plagiat réciproque ?
Je ne connais pas bien ce dossier, mais c’est tout à fait possible! En tout cas, la notion de «plagiat réciproque» - que j’ajoute à celles de plagiat classique et de plagiat par anticipation - est tout à fait féconde. Elle permet de comprendre des situations où des auteurs, séparés par des années et parfois même par des siècles, donnent l’impression de s’être plagiés mutuellement et d’avoir travaillé ensemble, alors même que certains n’étaient pas encore nés.
Finalement, a-t-on à craindre du plagiat par anticipation, en tant qu’écrivain ?
Il est toujours désagréable de se rendre compte que l’on a été copié par d’autres, qu’ils vous soient antérieurs ou postérieurs. C’est d’ailleurs ce qui m’est arrivé avec cette notion de « plagiat par anticipation », puisque je me suis aperçu qu’elle avait été utilisée dans les années soixante par un groupe d’écrivains, l’OuLiPo, qui avaient manifestement pris connaissance de mon livre et y avaient puisé sans vergogne. Mais c’est la vie !


           

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