ME Mars, Crispr, cancer... Six percées scientifiques de la décennie 2010


Mardi 17 Décembre 2019 - 12:45
AFP


​Washington - Astronomie, génétique, médecine, paléontologie, informatique: voici six percées ou découvertes scientifiques des années 2010 qui ont déjà commencé à changer les manuels scolaires. Des scientifiques interrogés par l'AFP se risquent aussi ici à des prédictions sur ce que la prochaine décennie pourrait apporter à nos connaissances.


On ne sait pas encore si Mars a eu des habitants, mais grâce à un petit robot à six roues américain, on sait que la planète rouge a été habitable. Peu après son atterrissage le 6 août 2012, le rover Curiosity a découvert des galets, nouveaux indices que des rivières y coulaient il y a des milliards d'années. Les preuves se sont multipliées: il y avait en fait beaucoup d'eau sur Mars, des sources chaudes, des lacs, peut-être des océans. Curiosity a aussi découvert ce que la Nasa appelle les "briques de la vie", des molécules organiques complexes, en 2014.

Les scientifiques vont maintenant passer à la question suivante: y a-t-il eu de la vie sur la planète rouge? Deux nouveaux robots mobiles seront lancés à l'été 2020, l'américain Mars 2020 et l'européen Rosalind Franklin pour, peut-être, déterrer d'anciens microbes.

"La science spatiale de la prochaine décennie sera dominée par la Lune, Mars et les astéroïdes", dit Emily Lakdawalla, de la Planetary Society. Elle espère que les agences spatiales décideront d'aller explorer les grandes oubliées du système solaire, Vénus, Uranus et Neptune, pour la décennie 2030.

Pendant longtemps, l'humanité croyait loger dans un système solaire à part. Un télescope spatial nommé Kepler, lancé en 2009, nous a détrompés et enchantés en même temps: le satellite a permis de découvrir 2.600 planètes ailleurs, des exoplanètes, et les astronomes estiment qu'il en existe probablement une par étoile, soit des milliards. Le successeur de Kepler, TESS, a été lancé par la Nasa en 2018.

Qu'attendre des années 2020? Des analyses fines des atmosphères de ces exoplanètes pour découvrir peut-être lesquelles abritent de la vie, suggère Tim Swindle, directeur du laboratoire d'études planétaires de l'université de l'Arizona.

Les Terriens ont aussi découvert cette année la première image d'un trou noir, produite par le projet Event Horizon Telescope. Son directeur, Shep Doeleman, promet pour la prochaine décennie le premier film d'un trou noir. "Imaginez regarder un trou noir évoluer en temps réel", dit-il.

Mais un événement a incontestablement marqué la décennie plus que les autres: la première détection, le 14 septembre 2015, d'ondes gravitationnelles. Deux trous noirs ont fusionné dans un tourbillon il y a 1,3 milliard d'années, une collision si puissante qu'elle a propagé dans le reste du cosmos des ondes qui contractent et dilatent l'espace, voyageant à la vitesse de la lumière, et qui ont finalement atteint la Terre ce matin-là. Einstein avait raison. Trois pionniers des installations LIGO et VIRGO ont été récompensés par un Nobel en 2017.

Quant à l'origine et la composition de l'univers, les cosmologistes continuent de débattre. La matière noire, invisible, qui compose la grande majorité de l'univers, reste l'une des plus grandes énigmes. "On crève d'envie de savoir ce que c'est", expliquait en octobre le cosmologiste James Peebles, Nobel de physique 2019.

En biomédecine, il y a un avant et un après-Crispr. "La modification génétique par Crispr est de loin en tête" des découvertes de la décennie, dit le prix Nobel de médecine 2019, William Kaelin.

Les généticiens savent depuis longtemps créer des organismes génétiquement modifiés (OGM), mais les techniques de modification du génome étaient laborieuses, chères et peu précises.

En juin 2012, les chercheuses Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna et des collègues décrivent dans la revue Science un nouvel outil capable de simplifier la modification du génome. Le mécanisme s'appelle Crispr/Cas9 et est surnommé ciseaux moléculaires. Il est facile d'emploi, peu coûteux, et permet aux scientifiques d'aller couper l'ADN exactement là où ils le veulent, pour par exemple créer ou corriger une mutation génétique et soigner des maladies rares.

"Imbattable", résume Kiran Musunuru de l'université de Pennsylvanie.

Les deux chercheuses ont été couvertes de récompenses depuis: le Breakthrough Prize (2015), le prix scientifique de la Princesse des Asturies (2015) ou encore le prix Kavli pour les nanosciences en Norvège (2018).

La technique est encore loin d'être infaillible et fait craindre les apprentis-sorciers, comme ce scientifique chinois qui fait scandale en l'utilisant sur des embryons humains lors d'une fécondation in vitro qui a donné naissance à des jumelles. Il a tenté de créer chez elles une mutation de résistance au VIH, mais les ciseaux Crispr ont provoqué d'autres mutations par erreur, dont l'effet sur la santé reste inconnu.

Mais Crispr est désormais dans tous les laboratoires. William Kaelin prévoit une "explosion" de son utilisation pour guérir les maladies.

Pendant des décennies, les médecins avaient trois solutions peu engageantes pour attaquer une tumeur: la chirurgie, le poison (chimiothérapie) et l'irradiation (radiothérapie).

La décennie 2010 a validé une quatrième idée longtemps mise en doute: l'immunothérapie. Le principe est de traiter les globules blancs qui composent le système immunitaire afin qu'ils détectent et attaquent les cellules cancéreuses, le cancer étant autrement expert pour rester incognito dans l'organisme. La technique la plus avancée s'appelle CAR-T et modifie génétiquement les lymphocytes T avant de les réinjecter en nombre dans le corps, mieux armés.

Une vague de médicaments ont été autorisés sur le marché depuis le milieu des années 2010, pour de plus en plus de cancers (mélanome, lymphomes, leucémies, cancer du poumon...). L'immunothérapie ne marche pas chez tous les patients et elle peut avoir des effets secondaires redoutables. Mais chez une minorité les rémissions sont impressionnantes.

Pour William Cance, directeur scientifique de l'American Cancer Society, la prochaine décennie apportera des immunothérapies "meilleures et moins chères".

La décennie a commencé avec l'addition d'une nouvelle espèce majeure dans le genre humain Homo: dans une caverne à Denisova, dans les monts Altaï en Sibérie, des fragments d'os de doigt, analysés génétiquement, ont révélé que l'individu appartenait à une espèce d'hominidés jusque-là inconnue, et qu'on baptisa Homo denisova: les Dénisoviens.

L'espèce rejoint ainsi les autres espèces d'Homo connues et qui peuplèrent différents continents de la planète: Homo neanderthalensis en Europe, Homo erectus en Asie, Homo soloensis sur l'île de Java, les nains d'Homo floresiensis sur l'île de Florès (annoncés en 2004), Homo naledi en Afrique du Sud (2015)... et la toute dernière espèce, découverte sur l'île de Luçon, aux Philippines, et classifiée cette année: Homo luzonensis.

Concernant les Néandertaliens, l'image longtemps entretenue d'une espèce primitive, arriérée, a définitivement volé en éclats avec la découverte de cavernes peintes en Espagne, et de preuves selon lesquelles ces humains portaient des bijoux et enterraient leurs morts avec des fleurs.

L'humanité moderne (Homo sapiens) complète donc lentement un arbre généalogique qui montre clairement que l'évolution humaine n'a pas été linéaire, et que jusqu'à une époque récente différentes espèces humaines cohabitaient, se croisaient et se reproduisaient entre elles. Ce n'est qu'il y a 10.000 ans que sapiens a gagné.

Les nouvelles techniques d'analyse génétique des ADN anciens ont ouvert le champ des possibles pour les anthropologues, qui peuvent désormais séquencer des fossiles vieux de dizaines de milliers d'années. Cette percée "a lancé une révolution dans notre capacité à étudier l'évolution humaine et expliquer d'où nous venons", dit Vagheesh Narasimhan, généticien à Harvard.

Pour la prochaine décennie, une voie à suivre est l'analyse non de l'ADN mais des protéines des squelettes vieux de millions d'années. "Avec cette technique, nous pourrons replacer nombre de fossiles dont la position dans l'évolution est inconnue", dit Aida Gomez-Robles, anthropologue à l'University College London.

L'intelligence artificielle - l'apprentissage automatique par les machines, ou "machine learning" - est arrivée à maturité dans les années 2010. C'est le moteur des assistants vocaux ou des recommandations de Netflix, une efficacité permise par le traitement de montagnes de données avec la gigantesque puissance de calcul des ordinateurs modernes.

L'étape suivante est l'apprentissage profond, le "deep learning", qui tâche d'imiter le fonctionnement neuronal du cerveau humain et résout des tâches plus complexes... La technologie a accompagné des percées spectaculaires cette décennie, du premier robot battant le champion du monde du jeu de go en 2017 (Google AlphaGo) aux logiciels de traduction en temps réel ou de reconnaissance faciale sur Facebook.

Les mondes de la médecine (pour réaliser des diagnostics plus exacts que les humains), de la finance, de l'automobile, voire des ressources humaines pour trier les CV et évaluer les candidats, adoptent la technique.

En 2016, Google a fait un bond en avant dans la qualité de ses traductions automatiques grâce à l'intelligence artificielle (IA).

"La plus grande percée des années 2010 fut le deep learning, la découverte que des réseaux neuronaux artificiels peuvent être adaptés à de nombreuses tâches du monde réel", dit Henry Kautz, professeur de sciences informatiques à l'université de Rochester. "L'IA a le potentiel de nourrir de nombreuses découvertes scientifiques, dans les domaines des matériaux, des médicaments et même de la physique fondamentale".


           

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