Madagascar : L'armée fait main basse sur le régime


Mercredi 18 Mars 2009 - 09:29
Courrierinternational.com/Philippe Randrianarimanana


Le chef de l'opposition malgache Andry Rajoelina est entré le mardi 17 mars au matin dans les bureaux de la présidence, situés au centre d'Antananarivo, la capitale malgache. Quelques minutes plus tard, le président malgache a démissionné et transféré ses pouvoirs à un "directoire militaire".


Madagascar : L'armée fait main basse sur le régime
Déjà, la veille, les jours au pouvoir du président Marc Ravalomanana semblaient comptés : avec la prise du palais présidentiel par l'armée malgache, le 16 mars, au cœur de la capitale, la crise s'apparentait déjà à un coup d'Etat.
Face à l'impasse politique, les militaires avaient lancé début mars un premier avertissement aux deux protagonistes : en cas de non-règlement politique, l'armée malgache prendrait ses responsabilités. Un avertissement d'autant plus lourd de sens qu'il avait été donné par les plus anciens des haut gradés. Cette perspective pouvait susciter une certaine bienveillance dans la population, lasse et inquiète de la surenchère politique. L'armée se parait de son aura de dernier rempart de l'unité et s'affichait comme étant au service du peuple. Mais ce scénario militaire s'est joué aux dépens de ceux qui l'avaient écrit. La mutinerie du Corps d'armée des personnels et des services administratifs et techniques (CAPSAT), le 8 mars, a débordé non seulement le pouvoir légal civil conspué, mais aussi la hiérarchie militaire. Deux colonels malgaches ont pris les devants, Noël Rakotonandrasana, conseiller et coordonnateur de l'état-major général, et André Andriarijaona, nouveau chef d'état-major.
"Finalement, en prenant leurs responsabilités, les militaires dits du CAPSAT auront révélé plus de problèmes qu'ils ne sont capables d'en résoudre", observe un chroniqueur de L'Express de Madagascar, pour qui "cette crise laissera de graves séquelles militaires". Il souligne les déséquilibres internes des forces armées. "Le statut dévalorisé des sous-officiers, articulation essentielle dans le fonctionnement d'une armée, fut sans doute trop longtemps masqué par le goulet d'étranglement des innombrables capitaines qui attendaient de passer ‘automatiquement'au grade supérieur, ou des commandants qui espéraient leur cinquième bouton tout aussi ‘automatiquement'."
"Paradoxalement, c'est un grand chef militaire, brillant, cultivé et racé qui a enclenché la descente aux enfers de l'armée malgache", juge l'éditorialiste de Madagascar-Tribune.com. "L'amiral Ratsiraka a créé une hiérarchie de pacotille, sans respect des principes, pour anesthésier les ambitions des officiers. A la fin de la IIe République [1992], pour un effectif évalué à 25 000 soldats, on compte 125 généraux, dont environ 80 en activité. Dans les pays occidentaux, 125 généraux correspondent à un effectif de 350 000 hommes. En voulant assainir la situation par un ralentissement des passages au statut d'officier général, Marc Ravalomanana avait pris une décision qui s'imposait mais qui n'a pas plu aux bidasses de service."
L'Express reste en quête d'une personnalité à l'autorité indiscutable. "Aujourd'hui, ce collectif de colonels a-t-il la légitimité morale d'avoir un projet qui puisse combler le vide sidéral des discours [de la place] du 13-Mai [lieu de rassemblement quotidien de l'opposition] ? Pour que l'opinion publique garde sa confiance dans les forces armées, il faudra une autre figure tutélaire qui rassure par sa capacité à fédérer toutes les sensibilités. La paix civile ne sera durablement possible que par l'intermédiaire d'un apaisement militaire."
Pour Madagascar-Tribune.com, l'attitude du régime n'a fait que précipiter sa chute. "Il est certain que la frustration des officiers est réelle. Marc Ravalomanana ayant pensé qu'on pouvait les traiter comme des pots de yaourt [secteur dans lequel le président a fait fortune], il s'est amusé à casser les barrières imposées par les normes en ce qui concerne les commandements. Il a gelé des promotions au grade de général, ce qui a transformé de nombreux colonels en mutins potentiels. Il a fait procéder à des emprisonnements d'officiers populaires au sein de l'armée. Et tout dernièrement, il a associé des civils et des mercenaires aux opérations de l'Emmo-Nat [état-major mixte opérationnel national]."
Le basculement manifeste de l'armée dans le camp d'Andry Rajoelina a terni l'image de celle-ci. "Une fois encore, conclut le site d'information, le comportement des militaires montre que, contrairement à ce qu'on essaie de faire croire, les militaires malgaches ne diffèrent pas de leurs frères d'armes africains. Au Burkina Faso, on a eu la révolte des capitaines. Au Liberia, un sergent avait pris le pouvoir. Et en Centrafrique, un caporal-chef s'est fait proclamer empereur. Donc une révolte de colonels, finalement, cela ne fait pas désordre."
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Marc Ravalomanana quitte le palais présidentiel, 15 mars 2009


           

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