Meurtres d'enfants en Côte d’Ivoire: Pour la population, "trop, c'est trop !"


Vendredi 9 Mars 2018 - 12:08
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A Abidjan, la capitale économique ivoirienne, la population se dit "écoeurée", "révulsée", "dégoutée". Le ras-le-bol est général depuis que le petit "Bouba", un écolier de quatre ans, a été assassiné pour les besoins d’un sacrifice rituel.


Aboubakar Sidick Traoré alias "Bouba" enlevé le samedi 24 février 2018 dans son quartier de Williamsville (nord d’Abidjan), avait été retrouvé mort à Angré dans le quartier de Cocody (ouest d’Abidjan), son corps enterré, la gorge tranchée et les membres ligotés.

Interrogé par la police, l'accusé, un bijoutier du quartier où vivait le garçon avait fini par avouer son crime rituel.

Selon lui, après l’avoir égorgé et vidé de son sang, il l’a ensuite enterré derrière le Centre hospitalier universitaire d’Angré (Est d’Abidjan). « Un marabout du quartier m’a dit de le tuer pour pouvoir avoir de l’argent », avait justifié à la police l’homme de 27 ans, dans une vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux et consultée par Anadolu.

D'après la police, cela faisait longtemps, qu'un acte de sacrifice rituel n'avait pas été notifié. En parallèle de ces meurtres, ces dernières semaines, le phénomène de kidnapping d'enfants, ne cesse lui aussi de progresser, plongeant la population dans l'écoeurement. 

Selon une récente déclaration du Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, Sansan Kambilé, depuis le mois de janvier 2018, pas moins de huit cas d’enlèvements et de disparitions ont été enregistrés dont trois cas de décès de mineurs dû à « des morts violentes par armes blanches ou strangulation ». 

Outre Bouba, une jeune fille du nom de Glahou Edmond Chanceline, 14 ans a également été retrouvée égorgée et littéralement vidée de son sang par des inconnus, à M’Bahiakro (ville située dans le centre du pays). 

Le meurtrier a également été interpellé, d’après une source policière qui ne précise pas ce qui a motivé l'assassinat.

Le 6 mars dernier, des élèves de M’Bahiakro, « choqués » et « en colère », ont organisé une marche spontanée pour protester contre la mort de la jeune fille. Cette manifestation a tourné en affrontements avec des éléments des forces de l’ordre de la ville, faisant plusieurs blessés, d’après des sources concordantes.

Troisième enfant tué, Lopoua Lopoua Bienvenue, un écolier de 6 ans, retrouvé mort à Boundiali (dans le nord du pays). 

La violence de ces assassinats ainsi que les nombreux cas d’enlèvements signalés à travers le pays ont suscité de fortes réactions de l’opinion publique et sur les réseaux sociaux. 

- Mobilisation générale

Le 3 mars dernier à Abidjan, la capitale économique ivoirienne, les familles victimes et les Ivoiriens se sont rassemblés à Cocody près du lieu où la dépouille de « Bouba » avait été ensevelie et ont organisé des marches silencieuses. 

Sur les réseaux sociaux l’opinion publique a vivement réagi poussant des organisations internationales présentes en Côte d’Ivoire, ainsi que le gouvernement, la classe politique et plusieurs personnalités du pays à se saisir du sujet. 

Le chef de l’Etat ivoirien Alassane Ouattara a ainsi condamné, mercredi, dans une adresse à la Nation, le phénomène d’enlèvement d’enfants promettant de «lutter contre ces pratiques» et invitant la population à ne pas «céder à la psychose».

«Je condamne avec fermeté ces crimes ignobles, perpétrés sur des enfants sans défense. Tous les suspects seront traduits devant la justice et les coupables seront sévèrement punis », a notamment déclaré le président Alassane Ouattara.

«J’ai donné des instructions fermes pour que nos forces de défense et de sécurité se déploient en nombre sur le terrain pour protéger toutes les populations. Je vous invite à ne pas céder à la psychose, nous sommes déterminés à lutter contre ces pratiques inacceptables », a-t-il encore martelé. 

Le Représentant résident du Fonds des Nations unies pour l'enfance (UNICEF) Dr Aboubacar Kampo avait également condamné, mardi dernier, les violences faites aux enfants. 

« Il n’y a aucun mérite d’essayer d’expliquer, ce sont des actes criminels commis par des criminels. Notre position est absolument claire, tout le monde doit s’impliquer pour éliminer cela et chaque cas mérite la même médiatisation pour éliminer ce fléau de notre société. Cet acte mérite une disposition pénale forte», avait-il insisté, lors d’un point de presse tenu à Abidjan. 

La première dame ivoirienne Dominique Ouattara s’était rendue dimanche 4 mars au domicile de la famille de « Bouba » et avait émis le souhait que les « enquêtes aboutissent pour l’ensemble des cas signalés jusqu’ici, et que les responsables répondent de leurs actes ». 

Du côté de l’opposition, le Front populaire ivoirien (FPI) a demandé au gouvernement de tout mettre en œuvre pour endiguer une fois pour toutes ce phénomène d’enlèvement d’enfants qui n’a que trop duré, et qui déshonore la Côte d’Ivoire. 

- Un phénomène récurrent 

L’enlèvement d’enfants à des fins rituels, est un phénomène particulièrement récurrent en Côte d’Ivoire. En 2015, des enlèvements massifs suivis d’assassinats d’enfants dans le district d’Abidjan et dans certaines contrées du pays avaient déjà plongé la ville dans une profonde psychose. 

Le phénomène avait alors été attribué à des cybercriminels en vue d’obtenir de l’argent. Une opération de la police avait permis l’arrestation de « 1000 suspects » et la fermeture de «550 cybercafés illégaux », selon une déclaration du ministre délégué à la Défense Paul Koffi d’alors. 

Approché par Anadolu pour décrypter cette actualité ivoirienne, Faustin Dedy Séri, socio-anthropologue à l'Université Félix Houphouet Boigny d’Abidjan, l’appréhende ainsi : «la recrudescence de ce phénomène est liée à notre temps, à notre contexte politique et à la soif d’argent. C’est devenu un phénomène aujourd’hui qui est inqualifiable », souligne-t-il. 

«Ces personnes qui tuent, le font sur une base d’idéologie, sur des croyances, pourtant insensées. On ne peut même pas s’avancer et dire qu’on pourra les soigner tant leurs convictions sont ancrées. Et puis, à cela s’ajoute un contexte d’impunité qui leur permet de faire ce qu’ils veulent », relève Dedy Séri estimant que le gouvernement devra établir tout une stratégie de lutte pour mettre fin à l’impunité et au phénomène qui horrifie toute une population.


           

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