Dans ce tome, Paul rend visite aux parents de sa femme Lucie à l’occasion de la Saint-Jean-Baptiste. Très vite, dans le cadre banal d’un village devenu banlieue-dortoir, le personnage du beau-père, monsieur Beaulieu, va prendre une ampleur dramatique sans précédent.
Bien sûr, il y a toujours de ces moments de tendresse et d’humour, entre la recherche d’une nouvelle maison, cette éternelle insatisfaction, et l’évolution constante et incontrôlée des micro-ordinateurs (dont la meilleure et la plus virulente critique se retrouve tout de même dans Paul à la pêche). Bref, Paul est là, tout entier. Comment tout cela a-t-il commencé?
«J’ai quand même un background de gros lecteur de bandes dessinées, nous dit Michel Rabagliati. J’en ai lu en masse. J’en lisais déjà, enfant. À 10-11 ans, sur la table du salon, je copiais les Astérix, Tintin, etc. ... Je commençais à dessiner... une case, deux cases. Quand il y avait des travaux de recherche à l’école, ça m’ennuyait tellement que je faisais toujours ma recherche en bandes dessinées. J’en profitais pour dessiner. Mais rien d’original. Je copiais Franquin, Astérix... Une ou deux fois par année, ça me pognait. J’essayais d’en faire une. Mais après la première page, je laissais tomber. Je n’étais pas accroché à mes histoires. De toute façon, elles étaient plutôt médiocres. Quand t’es jeune, t’as pas assez de background pour ça. À part plagier tes artistes préférés, ou faire des pseudo jokes de Gaston Lagaffe, qu’est-ce que tu veux faire? T’as pas de vécu!
«Ç’a été comme ça jusqu’à 18 ans, poursuit-il, période où je me suis orienté vers le graphisme, et je n’ai plus touché à la bande dessinée jusqu’à 38 ans. Y’a eu un gap de 20 ans. J’ai fait carrière en graphisme et j’ai complètement oublié ça. Ça m’a repris quand j’ai vu de nouvelles bandes dessinées intéressantes arriver sur les rayons des librairies, du côté américain avec des maisons d’édition comme Fantagraphics ou Drawn & Quarterly, du côté français avec l’Association, 6 pieds sous terre. Y’a une nouvelle gang qui est arrivée en bande dessinée. Des jeunes qui faisaient de la bédé plus intimiste, plus personnelle. Noir et blanc. Moins dans le format magazine, à faire des gags. Des gens comme Chester Brown. Moi, je n’invente rien. J’ai embarqué dans le train quand il a passé. Je ne suis pas allé chercher loin. J’ai créé un personnage à partir de moi et j’ai fait le premier album, Paul à la campagne. Je faisais ça sur le coin de la table, au bureau, entre deux jobs. C’est un personnage que je n’avais pas besoin d’inventer. Je connaissais son caractère: un peu soupe au lait.»
Le reste a suivi naturellement son cours. Michel Rabagliati a rencontré Martin Brault et Frédéric Gauthier des éditions de La Pastèque au lancement de leur revue Spoutnik, leur a proposé de venir à l’atelier pour voir son travail. Ils ont adoré. C’est ainsi que Paul est né, il y a bientôt 10 ans. «J’ai eu des bons résultats, explique-t-il. Je ne suis pas quelqu’un qui va bûcher 25 ans sur quelque chose même si le monde me dit que c’est pourri. J’ai eu des compliments, des tapes dans le dos, des prix... C’est ça qui m’a encouragé à continuer. C’est très différent du graphisme et de la pub, où tout ce que tu fais finit à la poubelle. En journalisme, c’est pareil aussi! Faut vivre avec ce concept-là. C’est éphémère. J’en ai fait beaucoup, de l’éphémère, mais je suis content de faire un travail qui se retrouve maintenant sur les tablettes des bibliothèques municipales, par exemple.»
Matière première
Dans Paul à Québec, Michel Rabagliati aborde un sujet encore plus délicat, celui de la mort de son beau-père. Comme d’habitude, il puise autour de lui la matière de ses histoires.
«La matière première, je vais la chercher dans mes poches, autour de moi, tranche-t-il. Ça reste très périphérique. Je n’ai pas besoin d’aller chercher mes histoires ailleurs. Mes personnages sont à portée de main. Et depuis Paul à la campagne, ils se sont complexifiés. La psychologie est plus raffinée. Il y a moins d’humour, c’est plus adulte.
«L’histoire de Paul à Québec est plus sombre, donc ça porte moins bien à faire des jokes. Ça parle de la mort de quelqu’un, alors il faut que ça reste assez sobre. J’aurais pu sortir les violons, mais encore une fois, l’honnêteté est très importante pour moi. Et évidemment, je brode pour que ce soit captivant, poétique autant que possible. Le côté poétique m’importe plus que le côté spectaculaire. Amener l’émotion tranquillement. Dans Paul à Québec, il y a beaucoup de cases silencieuses, qui servent l’émotion. On attend qu’il se passe quelque chose. J’aime bien laisser le temps s’écouler. C’est difficile, en bande dessinée, de ralentir le rythme. Le seul moyen, c’est de répéter les cases silencieuses. Ça m’aide à imposer ce break de réflexion.»
Changer de Paul ?
«Je pense souvent à changer de personnage, mais j’ai l’impression de ne pas avoir fait le tour encore. Il est intéressant parce qu’il est assez vierge. Il est pas compliqué, ne transporte pas beaucoup de bagages avec lui. Il n’est pas très typé, tout comme Lucie, sa blonde. Ils laissent la vie se dérouler sous leurs pieds. Ce n’est pas tant sur le caractère des personnages que je travaille, mais sur ce qui leur arrivent. Ils sont perméables aux événements. Je ne les sens pas usés. Ils sont allumés, capables de s’émerveiller.
«Je mijote une autre histoire, ces temps-ci, qui se passe dans les années 70. Cette période-là m’intéresse de plus en plus. C’est toujours ça, au départ: qu’est-ce que j’ai envie de dessiner, dans quelle période de la vie du personnage? C’est ce qui va me motiver pour commencer une histoire. Il y a une période que je n’ai pas couverte encore, qui se passe de 8 à 18 ans, entre Paul à la campagne et Paul a un travail d’été. Ça me tente d’y aller. Avec l’expérience acquise, je sens que je peux brosser un tableau plus sensible que je ne l’aurais fait en 1999, quand j’ai commencé.»
Bien sûr, il y a toujours de ces moments de tendresse et d’humour, entre la recherche d’une nouvelle maison, cette éternelle insatisfaction, et l’évolution constante et incontrôlée des micro-ordinateurs (dont la meilleure et la plus virulente critique se retrouve tout de même dans Paul à la pêche). Bref, Paul est là, tout entier. Comment tout cela a-t-il commencé?
«J’ai quand même un background de gros lecteur de bandes dessinées, nous dit Michel Rabagliati. J’en ai lu en masse. J’en lisais déjà, enfant. À 10-11 ans, sur la table du salon, je copiais les Astérix, Tintin, etc. ... Je commençais à dessiner... une case, deux cases. Quand il y avait des travaux de recherche à l’école, ça m’ennuyait tellement que je faisais toujours ma recherche en bandes dessinées. J’en profitais pour dessiner. Mais rien d’original. Je copiais Franquin, Astérix... Une ou deux fois par année, ça me pognait. J’essayais d’en faire une. Mais après la première page, je laissais tomber. Je n’étais pas accroché à mes histoires. De toute façon, elles étaient plutôt médiocres. Quand t’es jeune, t’as pas assez de background pour ça. À part plagier tes artistes préférés, ou faire des pseudo jokes de Gaston Lagaffe, qu’est-ce que tu veux faire? T’as pas de vécu!
«Ç’a été comme ça jusqu’à 18 ans, poursuit-il, période où je me suis orienté vers le graphisme, et je n’ai plus touché à la bande dessinée jusqu’à 38 ans. Y’a eu un gap de 20 ans. J’ai fait carrière en graphisme et j’ai complètement oublié ça. Ça m’a repris quand j’ai vu de nouvelles bandes dessinées intéressantes arriver sur les rayons des librairies, du côté américain avec des maisons d’édition comme Fantagraphics ou Drawn & Quarterly, du côté français avec l’Association, 6 pieds sous terre. Y’a une nouvelle gang qui est arrivée en bande dessinée. Des jeunes qui faisaient de la bédé plus intimiste, plus personnelle. Noir et blanc. Moins dans le format magazine, à faire des gags. Des gens comme Chester Brown. Moi, je n’invente rien. J’ai embarqué dans le train quand il a passé. Je ne suis pas allé chercher loin. J’ai créé un personnage à partir de moi et j’ai fait le premier album, Paul à la campagne. Je faisais ça sur le coin de la table, au bureau, entre deux jobs. C’est un personnage que je n’avais pas besoin d’inventer. Je connaissais son caractère: un peu soupe au lait.»
Le reste a suivi naturellement son cours. Michel Rabagliati a rencontré Martin Brault et Frédéric Gauthier des éditions de La Pastèque au lancement de leur revue Spoutnik, leur a proposé de venir à l’atelier pour voir son travail. Ils ont adoré. C’est ainsi que Paul est né, il y a bientôt 10 ans. «J’ai eu des bons résultats, explique-t-il. Je ne suis pas quelqu’un qui va bûcher 25 ans sur quelque chose même si le monde me dit que c’est pourri. J’ai eu des compliments, des tapes dans le dos, des prix... C’est ça qui m’a encouragé à continuer. C’est très différent du graphisme et de la pub, où tout ce que tu fais finit à la poubelle. En journalisme, c’est pareil aussi! Faut vivre avec ce concept-là. C’est éphémère. J’en ai fait beaucoup, de l’éphémère, mais je suis content de faire un travail qui se retrouve maintenant sur les tablettes des bibliothèques municipales, par exemple.»
Matière première
Dans Paul à Québec, Michel Rabagliati aborde un sujet encore plus délicat, celui de la mort de son beau-père. Comme d’habitude, il puise autour de lui la matière de ses histoires.
«La matière première, je vais la chercher dans mes poches, autour de moi, tranche-t-il. Ça reste très périphérique. Je n’ai pas besoin d’aller chercher mes histoires ailleurs. Mes personnages sont à portée de main. Et depuis Paul à la campagne, ils se sont complexifiés. La psychologie est plus raffinée. Il y a moins d’humour, c’est plus adulte.
«L’histoire de Paul à Québec est plus sombre, donc ça porte moins bien à faire des jokes. Ça parle de la mort de quelqu’un, alors il faut que ça reste assez sobre. J’aurais pu sortir les violons, mais encore une fois, l’honnêteté est très importante pour moi. Et évidemment, je brode pour que ce soit captivant, poétique autant que possible. Le côté poétique m’importe plus que le côté spectaculaire. Amener l’émotion tranquillement. Dans Paul à Québec, il y a beaucoup de cases silencieuses, qui servent l’émotion. On attend qu’il se passe quelque chose. J’aime bien laisser le temps s’écouler. C’est difficile, en bande dessinée, de ralentir le rythme. Le seul moyen, c’est de répéter les cases silencieuses. Ça m’aide à imposer ce break de réflexion.»
Changer de Paul ?
«Je pense souvent à changer de personnage, mais j’ai l’impression de ne pas avoir fait le tour encore. Il est intéressant parce qu’il est assez vierge. Il est pas compliqué, ne transporte pas beaucoup de bagages avec lui. Il n’est pas très typé, tout comme Lucie, sa blonde. Ils laissent la vie se dérouler sous leurs pieds. Ce n’est pas tant sur le caractère des personnages que je travaille, mais sur ce qui leur arrivent. Ils sont perméables aux événements. Je ne les sens pas usés. Ils sont allumés, capables de s’émerveiller.
«Je mijote une autre histoire, ces temps-ci, qui se passe dans les années 70. Cette période-là m’intéresse de plus en plus. C’est toujours ça, au départ: qu’est-ce que j’ai envie de dessiner, dans quelle période de la vie du personnage? C’est ce qui va me motiver pour commencer une histoire. Il y a une période que je n’ai pas couverte encore, qui se passe de 8 à 18 ans, entre Paul à la campagne et Paul a un travail d’été. Ça me tente d’y aller. Avec l’expérience acquise, je sens que je peux brosser un tableau plus sensible que je ne l’aurais fait en 1999, quand j’ai commencé.»