Il l'a appris un peu connement. Par des analyses faites dans un hôpital de Bruxelles où il enregistrait son dernier album Bleu pétrole . Il se demandait pourquoi il n'arrivait pas à se débarrasser d'une bronchite. On lui a dit.
Cancer du poumon. Saloperie de Gauloise, mais il n'a pas pour autant mis fin à sa liaison avec elle.
Il a juste accepté de faire une chimiothérapie à condition que cela ne perturbe pas sa tournée.
Nous l'avons vu il y a deux semaines aux Victoires de la musique recevoir ses dernières récompenses. Trois : "Meilleur album", "Meilleur spectacle", "Meilleur interprète". C'était lui le meilleur et les autres en avaient un peu pris l'habitude. Il est apparu fragile, aussi ému que nous pouvions l'être aussi. Tout le monde savait. Lui, nous. On n'allait pas se revoir très souvent.
La première fois que nous nous sommes vus, c'était en 1980. J'habitais alors à Puteaux et de mes fenêtres, on voyait la Défense. Jean-Baptiste Mondino qui réalisait la pochette de Gaby oh Gaby et qui cherchait un décor urbain trouva que cela pouvait passer pour Manhattan et vint donc shooter Bashung chez moi.
Bien qu'encore inconnu, ce n'était plus un débutant, il enregistrait déjà depuis 1966, signant alors Baschung avec un C. Il arborait alors une coiffure mode de jeune homme moderne (mais propre sur lui façon Beatles) et sur la pochette de son premier single Pourquoi rêvez vous des États-Unis ? un invraisemblable pantalon à carreaux noirs et blancs comme seuls les golfeurs osent en mettre. Il ne jouait pas au golf mais se cherchait encore. Entre Dylan, les quatre prolos de Liverpool, Johnny, Gainsbourg, Lou Reed.
Douze ans plus tard, les cheveux en arrière, le regard déjà lointain, il savait enfin qui il était, et il fit sauter le C de son nom. Puis Gaby explosa en chamboulant à jamais le monde du rock français.
Alain Bashung est né le 1er décembre 1947 à Paris, mère ouvrière à Boulogne-Billancourt, père inconnu d'origine kabyle. Enfance passée en banlieue strasbourgeoise où nous fréquentions sans nous connaître les mêmes boîtes où l'on pouvait entendre du rock. Il n'était pas heureux dans l'est. L'étranger n'y est pas le bienvenu. "On vivait dans une ambiance très France profonde, étriquée, la culture du Picon-bière, avec des relents de Vichy, le régime et la peur de l'étranger, ma grand-mère m'interdisait de parler aux juifs." Le succès de Gaby puis celui de Vertige de l'amour le mirent cependant extrêmement mal à l'aise.
Il se sentit brusquement prisonnier d'un rôle, celui du rocker aux hits surréalistes, vaguement incompréhensibles mais toujours rigolos. Bashung déprime, Bashung boit, Bashung fait le con. Bashung ne sait de nouveau plus où il en est. Il dissout son équipe, se sépare de son parolier Boris Bergman et réinvente une nouvelle fois le rock. Très loin des trois accords du blues. "Le rock, explique-t-il à l'époque, je vois juste ça comme un moyen de transport. Une sorte de brevet déposé, tombé dans le domaine public et dont on peut se servir pour s'exprimer à sa façon. Le rock me suit comme une adolescente qui se perpétue, mais ça ne doit pas m'emprisonner. Certains ont pu penser que j'aimais jouer un personnage de loser, casser sans cesse ce que j'avais construit. Peut-être qu'en fait j'ai beaucoup plus d'ambition qu'eux..."
Il retrouvera Bergman en 1986 pour le splendide Passé le Rio Grande . Nouvelles formules gagnantes : "Si tu me quittes, est-ce que je peux venir aussi ?"
Cet homme timide, insécure limite paranoïaque, que l'on dit ingérable, touche aussi régulièrement un art qui n'aime pas les surprises, ne supporte pas le flou : le cinéma. Sa rigueur le rassure et il relève tous les défis. Comme celui de jouer - défendant de façon époustouflante un personnage indéfendable - un père incestueux dans L'ombre d'un doute d'Aline Issermann.
Il a tourné son dernier film en 2007 : J'ai toujours rêvé d'être un gangster de Samuel Benchetrit. "Je ne cherche pas à devenir comédien pour être quelqu'un d'autre, expliqua-t-il dans Les Cahiers du cinéma . Ce qui me paraît plus passionnant, c'est qu'à un certain moment il faut être présent, concret : un texte, un caméraman, un metteur en scène, tout doit fonctionner d'une manière parfaite. J'ai une grande tendance à la rêverie. Donc cela me permet de contrebalancer ce côté contemplatif, comme un cerf-volant qui perd sa ficelle."
La ficelle a fini par rompre et le cerf-volant s'est élevé dans des volutes de fumée.
Alain Bashung nous a quittés samedi en début d'après midi à l'hôpital Saint-Joseph à Paris entouré de sa famille.
Il avait soixante et un ans.
Cancer du poumon.
Saloperie de Gauloise.
Cancer du poumon. Saloperie de Gauloise, mais il n'a pas pour autant mis fin à sa liaison avec elle.
Il a juste accepté de faire une chimiothérapie à condition que cela ne perturbe pas sa tournée.
Nous l'avons vu il y a deux semaines aux Victoires de la musique recevoir ses dernières récompenses. Trois : "Meilleur album", "Meilleur spectacle", "Meilleur interprète". C'était lui le meilleur et les autres en avaient un peu pris l'habitude. Il est apparu fragile, aussi ému que nous pouvions l'être aussi. Tout le monde savait. Lui, nous. On n'allait pas se revoir très souvent.
La première fois que nous nous sommes vus, c'était en 1980. J'habitais alors à Puteaux et de mes fenêtres, on voyait la Défense. Jean-Baptiste Mondino qui réalisait la pochette de Gaby oh Gaby et qui cherchait un décor urbain trouva que cela pouvait passer pour Manhattan et vint donc shooter Bashung chez moi.
Bien qu'encore inconnu, ce n'était plus un débutant, il enregistrait déjà depuis 1966, signant alors Baschung avec un C. Il arborait alors une coiffure mode de jeune homme moderne (mais propre sur lui façon Beatles) et sur la pochette de son premier single Pourquoi rêvez vous des États-Unis ? un invraisemblable pantalon à carreaux noirs et blancs comme seuls les golfeurs osent en mettre. Il ne jouait pas au golf mais se cherchait encore. Entre Dylan, les quatre prolos de Liverpool, Johnny, Gainsbourg, Lou Reed.
Douze ans plus tard, les cheveux en arrière, le regard déjà lointain, il savait enfin qui il était, et il fit sauter le C de son nom. Puis Gaby explosa en chamboulant à jamais le monde du rock français.
Alain Bashung est né le 1er décembre 1947 à Paris, mère ouvrière à Boulogne-Billancourt, père inconnu d'origine kabyle. Enfance passée en banlieue strasbourgeoise où nous fréquentions sans nous connaître les mêmes boîtes où l'on pouvait entendre du rock. Il n'était pas heureux dans l'est. L'étranger n'y est pas le bienvenu. "On vivait dans une ambiance très France profonde, étriquée, la culture du Picon-bière, avec des relents de Vichy, le régime et la peur de l'étranger, ma grand-mère m'interdisait de parler aux juifs." Le succès de Gaby puis celui de Vertige de l'amour le mirent cependant extrêmement mal à l'aise.
Il se sentit brusquement prisonnier d'un rôle, celui du rocker aux hits surréalistes, vaguement incompréhensibles mais toujours rigolos. Bashung déprime, Bashung boit, Bashung fait le con. Bashung ne sait de nouveau plus où il en est. Il dissout son équipe, se sépare de son parolier Boris Bergman et réinvente une nouvelle fois le rock. Très loin des trois accords du blues. "Le rock, explique-t-il à l'époque, je vois juste ça comme un moyen de transport. Une sorte de brevet déposé, tombé dans le domaine public et dont on peut se servir pour s'exprimer à sa façon. Le rock me suit comme une adolescente qui se perpétue, mais ça ne doit pas m'emprisonner. Certains ont pu penser que j'aimais jouer un personnage de loser, casser sans cesse ce que j'avais construit. Peut-être qu'en fait j'ai beaucoup plus d'ambition qu'eux..."
Il retrouvera Bergman en 1986 pour le splendide Passé le Rio Grande . Nouvelles formules gagnantes : "Si tu me quittes, est-ce que je peux venir aussi ?"
Cet homme timide, insécure limite paranoïaque, que l'on dit ingérable, touche aussi régulièrement un art qui n'aime pas les surprises, ne supporte pas le flou : le cinéma. Sa rigueur le rassure et il relève tous les défis. Comme celui de jouer - défendant de façon époustouflante un personnage indéfendable - un père incestueux dans L'ombre d'un doute d'Aline Issermann.
Il a tourné son dernier film en 2007 : J'ai toujours rêvé d'être un gangster de Samuel Benchetrit. "Je ne cherche pas à devenir comédien pour être quelqu'un d'autre, expliqua-t-il dans Les Cahiers du cinéma . Ce qui me paraît plus passionnant, c'est qu'à un certain moment il faut être présent, concret : un texte, un caméraman, un metteur en scène, tout doit fonctionner d'une manière parfaite. J'ai une grande tendance à la rêverie. Donc cela me permet de contrebalancer ce côté contemplatif, comme un cerf-volant qui perd sa ficelle."
La ficelle a fini par rompre et le cerf-volant s'est élevé dans des volutes de fumée.
Alain Bashung nous a quittés samedi en début d'après midi à l'hôpital Saint-Joseph à Paris entouré de sa famille.
Il avait soixante et un ans.
Cancer du poumon.
Saloperie de Gauloise.