Washington, DC - En juillet 2009, la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton a nommé Farah Pandith au poste de Représentant spécial des Etats-Unis auprès des communautés musulmanes. L'expérience de Mme Pandith– et les responsabilités nouvelles qu'elle endosse avec ce rôle – signalent que l'administration du Président Barack Obama entend sincèrement adopter une démarche nuancée dans ses tractations avec les entités musulmanes du monde entier.
J'ai eu le privilège de travailler avec Farah Pandith au Département d'Etat ces dernières années. On ne saurait réduire sa pensée à la maxime simpliste du "gagner les esprits et les coeurs", qui repose sur une fausse hypothèse: si seulement les Etats-Unis parvenaient à convaincre les musulmans de la supériorité de notre système de gouvernement, tous les malentendus se dissiperaient. Inversement, elle ne croit pas non plus que les erreurs politiques commises par les Etats-Unis soient seules responsables de ce ressentiment et que, si seulement nous avions pratiqué une politique "raisonnable" au Moyen-Orient, il n'y aurait pas eu de radicalisation religieuse.
Mme Pandith comprend que la vérité est quelque part entre les deux. A n'en pas douter, en faisant preuve de neutralité dans le conflit Israélo-palestinien, en agissant en médiateur de paix entre la Syrie et Israël, et en se retirant de l'Irak dans de bonnes conditions, les Etats-Unis auraient une influence positive sur l'environnement régional en général et sur l'opinion qu'ont les musulmans des Etats-Unis en particulier.
Mais les attaques au vitriol lancées par les autorités iraniennes contre les Etats-Unis et l'Europe après les dernières élections ont bien montré que, quelque circonspectes et subtiles soient les déclarations des Etats-Unis, beaucoup de régimes se servent des Etats-Unis et de l'"Occident" comme d'un paratonnerre bien commode pour détourner la colère de leurs concitoyens, parfaitement conscients de l'incapacité de leurs gouvernements à créer un climat politique stable et ouvert et une économie florissante.
Les projections ne se prêtent guère à l'optimisme. Les déséquilibres démographiques (sachant que les moins de 25 ans constituent plus de la moitié de la population), le chômage, le marasme économique et l'absence de liberté politique continueront, pendant un certain temps encore, de conditionner l'opinion publique dans de nombreux pays à majorité musulmane. A force d'attribuer le ressentiment des musulmans à des motifs religieux et non politiques, les Etats-Unis et l'Europe finiront par valider le discours des idéologues radicaux – à savoir que c'est la religion qui nous sépare.
Tout au contraire, notre message doit être qu'une quête commune de la paix, de la stabilité et de la prospérité économique unit toutes les cultures et toutes les religions contre les extrémismes de tous bords.
Farah Pandith, elle-même d'origine indienne et musulmane, a travaillé au rapprochement avec les musulmans d'Europe à l'époque du gouvernement Bush. Elle apporte donc ses connaissances, sa vaste expérience et une certaine continuité institutionnelle à ce nouveau rôle. Sa nomination offre une occasion réelle d'amorcer un dialogue honnête et sincère avec les communautés musulmanes de la planète. Elle a le sens du respect, elle veut tout faire pour surmonter les malentendus, elle est convaincue qu'il n'existe pas une solution unique à tous les problèmes - ce sont là autant de gages de sa réussite future.
La nomination de Mme Pandith n'est pas la panacée qui résoudra la totalité du conflit entre les Etats-Unis et le monde musulman. Mais c'est un pas dans la bonne direction.
Farah Pandith doit allier principes démocratiques et humilité par Ahmed Charaï
Casablanca - La nomination de Farah Pandith en tant que « Représentante spéciale du gouvernement américain auprès du monde musulman » a été présentée comme un symbole de la volonté de la nouvelle administration américaine de se réconcilier avec les populations du monde musulman.
Pour que cette volonté se matérialise, il y a des actions qui paraissent inévitables. En premier lieu, Pandith se doit d’être ferme envers les dérives sémantiques tendant à assimiler l’islam aux extrémistes musulmans. Le discours du Président Obama au Caire va dans ce sens. Encore faut-il qu’un effort continue d’éducation de l’ensemble de la classe politique américaine se poursuive afin d’éviter ces dérives de langage.
Le conflit israélo-palestinien reste également une des préoccupations majeures du monde musulman et Pandith, à son niveau, devra travailler dans ce sens. La « rue musulmane », de Casablanca à Jakarta, s’attend à ce que l’administration américaine ait une approche plus pragmatique et surtout plus juste envers ce conflit : celle de deux peuples, deux Etats bien sûr, avec d’un coté, l’acceptation franche et sans ambiguïté du droit d’Israël à l’existence dans des frontières reconnues, ainsi que la garantie d’une sécurité totale, et de l’autre, l’instauration d’un Etat palestinien démocratique et viable, réellement indépendant et souverain dans des frontières non imposées mais définies bilatéralement.
Par ailleurs, c’est probablement en orientant la politique américaine envers le monde musulman dans le sens des valeurs démocratiques de l’Amérique que Pandith réussira le mieux dans sa mission de diplomatie publique. En effet, l’aide et le soutien américains bénéficient souvent à des régimes autocratiques tandis que des expériences de démocratisation, inabouties bien que porteuses d’espoir, mériteraient un soutien plus marqué.
En effet, les Etats-Unis gagneraient en termes de popularité à encourager à travers la région les forces démocratiques existantes même lorsque celles-ci sont encore faibles. Pandith serait ainsi bien inspirée de rentrer en dialogue avec l’ensemble des forces politiques en présence au sein du monde musulman.
En dernier lieu, c’est le soutien à la cause des femmes et au combat de celles-ci qui accélérera les transformations sociales. Pandith, elle-même femme musulmane, pourrait peut-être profiter de son statut en vue de promouvoir leur avancement sociétal.
Tout cela nécessite une approche ferme sur les principes, mais aussi beaucoup d’humilité. Dans les incompréhensions actuelles, une part importante des difficultés est liée à une attitude perçue comme condescendante dans le chef des Etats-Unis envers le monde Musulman. La rationalité n’étant pas aux commandes, il ne faut pas oublier que nous sommes dans un monde du 21ème siècle où l’émotion, guidée par l’image et les perceptions, influence largement les attitudes voire les comportements des masses.
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Anja Manuel est une ancienne fonctionnaire au Département d'Etat (2005-2007) et professeur adjointe à Stanford University et Ahmed Charaï est directeur de l'hebdomadaire marocain L'Observateur. Article écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews) et publié d’abord dans On Faith du Washington Post/Newsweek.
J'ai eu le privilège de travailler avec Farah Pandith au Département d'Etat ces dernières années. On ne saurait réduire sa pensée à la maxime simpliste du "gagner les esprits et les coeurs", qui repose sur une fausse hypothèse: si seulement les Etats-Unis parvenaient à convaincre les musulmans de la supériorité de notre système de gouvernement, tous les malentendus se dissiperaient. Inversement, elle ne croit pas non plus que les erreurs politiques commises par les Etats-Unis soient seules responsables de ce ressentiment et que, si seulement nous avions pratiqué une politique "raisonnable" au Moyen-Orient, il n'y aurait pas eu de radicalisation religieuse.
Mme Pandith comprend que la vérité est quelque part entre les deux. A n'en pas douter, en faisant preuve de neutralité dans le conflit Israélo-palestinien, en agissant en médiateur de paix entre la Syrie et Israël, et en se retirant de l'Irak dans de bonnes conditions, les Etats-Unis auraient une influence positive sur l'environnement régional en général et sur l'opinion qu'ont les musulmans des Etats-Unis en particulier.
Mais les attaques au vitriol lancées par les autorités iraniennes contre les Etats-Unis et l'Europe après les dernières élections ont bien montré que, quelque circonspectes et subtiles soient les déclarations des Etats-Unis, beaucoup de régimes se servent des Etats-Unis et de l'"Occident" comme d'un paratonnerre bien commode pour détourner la colère de leurs concitoyens, parfaitement conscients de l'incapacité de leurs gouvernements à créer un climat politique stable et ouvert et une économie florissante.
Les projections ne se prêtent guère à l'optimisme. Les déséquilibres démographiques (sachant que les moins de 25 ans constituent plus de la moitié de la population), le chômage, le marasme économique et l'absence de liberté politique continueront, pendant un certain temps encore, de conditionner l'opinion publique dans de nombreux pays à majorité musulmane. A force d'attribuer le ressentiment des musulmans à des motifs religieux et non politiques, les Etats-Unis et l'Europe finiront par valider le discours des idéologues radicaux – à savoir que c'est la religion qui nous sépare.
Tout au contraire, notre message doit être qu'une quête commune de la paix, de la stabilité et de la prospérité économique unit toutes les cultures et toutes les religions contre les extrémismes de tous bords.
Farah Pandith, elle-même d'origine indienne et musulmane, a travaillé au rapprochement avec les musulmans d'Europe à l'époque du gouvernement Bush. Elle apporte donc ses connaissances, sa vaste expérience et une certaine continuité institutionnelle à ce nouveau rôle. Sa nomination offre une occasion réelle d'amorcer un dialogue honnête et sincère avec les communautés musulmanes de la planète. Elle a le sens du respect, elle veut tout faire pour surmonter les malentendus, elle est convaincue qu'il n'existe pas une solution unique à tous les problèmes - ce sont là autant de gages de sa réussite future.
La nomination de Mme Pandith n'est pas la panacée qui résoudra la totalité du conflit entre les Etats-Unis et le monde musulman. Mais c'est un pas dans la bonne direction.
Farah Pandith doit allier principes démocratiques et humilité par Ahmed Charaï
Casablanca - La nomination de Farah Pandith en tant que « Représentante spéciale du gouvernement américain auprès du monde musulman » a été présentée comme un symbole de la volonté de la nouvelle administration américaine de se réconcilier avec les populations du monde musulman.
Pour que cette volonté se matérialise, il y a des actions qui paraissent inévitables. En premier lieu, Pandith se doit d’être ferme envers les dérives sémantiques tendant à assimiler l’islam aux extrémistes musulmans. Le discours du Président Obama au Caire va dans ce sens. Encore faut-il qu’un effort continue d’éducation de l’ensemble de la classe politique américaine se poursuive afin d’éviter ces dérives de langage.
Le conflit israélo-palestinien reste également une des préoccupations majeures du monde musulman et Pandith, à son niveau, devra travailler dans ce sens. La « rue musulmane », de Casablanca à Jakarta, s’attend à ce que l’administration américaine ait une approche plus pragmatique et surtout plus juste envers ce conflit : celle de deux peuples, deux Etats bien sûr, avec d’un coté, l’acceptation franche et sans ambiguïté du droit d’Israël à l’existence dans des frontières reconnues, ainsi que la garantie d’une sécurité totale, et de l’autre, l’instauration d’un Etat palestinien démocratique et viable, réellement indépendant et souverain dans des frontières non imposées mais définies bilatéralement.
Par ailleurs, c’est probablement en orientant la politique américaine envers le monde musulman dans le sens des valeurs démocratiques de l’Amérique que Pandith réussira le mieux dans sa mission de diplomatie publique. En effet, l’aide et le soutien américains bénéficient souvent à des régimes autocratiques tandis que des expériences de démocratisation, inabouties bien que porteuses d’espoir, mériteraient un soutien plus marqué.
En effet, les Etats-Unis gagneraient en termes de popularité à encourager à travers la région les forces démocratiques existantes même lorsque celles-ci sont encore faibles. Pandith serait ainsi bien inspirée de rentrer en dialogue avec l’ensemble des forces politiques en présence au sein du monde musulman.
En dernier lieu, c’est le soutien à la cause des femmes et au combat de celles-ci qui accélérera les transformations sociales. Pandith, elle-même femme musulmane, pourrait peut-être profiter de son statut en vue de promouvoir leur avancement sociétal.
Tout cela nécessite une approche ferme sur les principes, mais aussi beaucoup d’humilité. Dans les incompréhensions actuelles, une part importante des difficultés est liée à une attitude perçue comme condescendante dans le chef des Etats-Unis envers le monde Musulman. La rationalité n’étant pas aux commandes, il ne faut pas oublier que nous sommes dans un monde du 21ème siècle où l’émotion, guidée par l’image et les perceptions, influence largement les attitudes voire les comportements des masses.
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Anja Manuel est une ancienne fonctionnaire au Département d'Etat (2005-2007) et professeur adjointe à Stanford University et Ahmed Charaï est directeur de l'hebdomadaire marocain L'Observateur. Article écrit pour le Service de Presse de Common Ground (CGNews) et publié d’abord dans On Faith du Washington Post/Newsweek.