Pour aider son agriculture, l'Afrique va dresser un état des lieux de ses sols


Jeudi 15 Janvier 2009 - 21:11
Le Monde.fr/Jean-Philippe Rémy


L'agriculture africaine a besoin d'une "révolution verte". Le nombre croissant d'Africains menacés de disette et une vague d'émeutes de la faim, en 2008, consécutives à l'envolée du prix des denrées de première nécessité, largement importées faute d'être produites localement, l'ont rappelé avec force.


Pour aider son agriculture, l'Afrique va dresser un état des lieux de ses sols
Pour opérer cette révolution et parvenir à nourrir sa population (estimée à près de 2 milliards d'habitants en 2050), le continent doit, en particulier, mieux connaître l'état de ses sols. Mardi 13 janvier, le Centre international d'agriculture tropicale (CIAT) a annoncé, à Nairobi, le lancement d'un projet, le Service d'information des sols africains (ASIS), qui promet de dresser, d'ici quatre ans, une carte numérique complète à l'échelle continentale.

Même si l'étude méthodique de la nature des sols pour l'agriculture n'est pas une discipline nouvelle (elle est apparue il y a trois siècles en Russie), le projet ASIS devra agréger de manière inédite des données déjà existantes avec celles que fourniront les équipes sur le terrain. Dans soixante "sites sentinelles" répartis dans les zones arables du continent (moins de la moitié de sa superficie totale), un procédé d'analyse particulier, la spectroscopie par infrarouge - dont l'un des codécouvreurs est nigérien -, sera utilisé. Ses résultats, combinés avec des images prises par satellite, donneront une carte où devront figurer la nature des sols et leur niveau de dégradation.

Ce relevé servira de base aux gouvernements et aux organisations non gouvernementales pour orienter de grandes campagnes ou fournir aux agriculteurs des conseils, transmis par exemple par téléphones portables. ASIS se propose donc de dresser un état des lieux de la santé des champs africains. Un sol est considéré comme sain lorsqu'il parvient à la fois à héberger un écosystème, produire des récoltes, stocker le carbone de l'atmosphère et retenir les eaux de pluie. Parmi les facteurs qui mettent cette santé à mal : la surexploitation.

En Afrique, le manque d'engrais, trop rares et trop chers, contraint les paysans à exploiter leurs terres au-delà de leur capacité de régénération, lessivant les substances nutritives des sols. En moyenne, les agriculteurs africains n'utilisent que 8 kg d'engrais par hectare et par an, "contre 200 en Chine", se désole le Dr Nteranya Sanginga, directeur de l'Institut de biologie et de fertilité des sols tropicaux au CIAT. Au total, 500 millions d'hectares de terres agricoles africaines sont dégradés. Le manque à gagner, pour l'ensemble du continent, est évalué à 30 milliards d'euros par an.

Au Kenya, où l'agriculture représente 64 % des exportations, le gouvernement a annoncé, lundi 12 janvier, l'établissement d'un état d'urgence national, estimant que dix millions de Kényans sont menacés de disette. Parallèlement, le pays, tout comme la Tanzanie et le Mali, s'apprête à suivre l'exemple du Malawi, où une politique de subventions massives à l'achat d'engrais a permis de sortir d'une situation de déficit alimentaire grave en moins de deux ans.

Mais les politiques d'épandages massifs d'engrais mises en place en Asie à partir des années 1960, qui ont permis à ce continent de passer de la dépendance alimentaire au statut d'exportateur, ont eu un effet dévastateur sur l'environnement. Quarante ans plus tard, un dosage plus subtil de différents types d'engrais, d'origine organique ou issus de la pétrochimie, apparaît comme une nécessité. Pour ajuster ces cocktails aux différentes régions, force est de connaître l'état exact des sols.

"A beaucoup d'égards, on connaît mieux le sol de Mars que celui de la Terre, assure Pedro Sanchez, responsable du département d'agriculture tropicale de l'Institut de la Terre de l'université de Columbia (New York), dirigé par l'économiste Jeffrey Sachs. L'idée de lancer cette carte générale des sols d'Afrique est venue de manière progressive. Jeffrey Sachs me demandait un jour : quelle est l'étendue de l'érosion pluviale au Nigeria ? On ne savait pas. Ensuite, il s'interrogeait : quelles quantités d'engrais seraient nécessaires pour l'ensemble de l'Afrique ? Combien cela coûterait-il ?"

La carte de l'ASIS devra apporter des réponses à toutes ces questions, vitales pour l'Afrique, et constituer un instrument de mesure capital dans la recherche de l'autosuffisance alimentaire par le continent.


           

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