Sabine Devieilhe, superstar au festival lyrique d'Aix-en-Provence


Samedi 2 Juillet 2016 - 11:39
AFP


Sabine Devieilhe, qui a débuté toute jeune au festival lyrique d'Aix-en-Provence en 2012, a fait vendredi soir un retour triomphal dans le rôle principal du "Triomphe du temps et de la désillusion" de Haendel.


Le spectacle a été accueilli par des tonnerres d'applaudissements tant pour la distribution irréprochable (le contre-ténor argentin Franco Fagioli, l'Italienne Sara Mingardo, le ténor américain Michael Spyres) que pour la chef Emmanuelle Haïm et son Concert d'Astrée. Mais les spectateurs se sont partagés entre bravos et huées, comme souvent, sur la mise en scène radicale du Polonais Krzysztof Warlikowski.

Sabine Devielhe, qui confirme son aisance époustouflante dans un rôle virtuose, a soulevé l'enthousiasme. Il y a quatre ans, elle était la soubrette Serpetta de la "Finta Giardinera" de Mozart à Aix. La voici en nuisette de satin et blouson de cuir, le rimmel dégoulinant, dans le rôle allégorique de La Beauté dans l'oratorio de Haendel, mis en scène par le trublion de la scène polonaise.

La jeune Normande - elle est née à Ifs près de Caen - fait déjà partie des voix qui comptent sur la scène internationale, après de grands rôles où sa voix agile a fait merveille dans les aigus, comme "Lakmé" ou la Reine de la nuit de "La Flûte enchantée", à Lyon et Paris.

A tout juste 30 ans, la jeune femme gracile se joue des aigus stratosphériques, tout en prêtant une attention particulière à l'incarnation des personnages, à l'instar de sa célèbre aînée Natalie Dessay.

- blonde Amy Winehouse -

Elle campe dans ce "Triomphe du Temps et de la Désillusion" une blonde Amy Winehouse, titubant sous l'effet de la drogue, dans la version très noire imaginée par le metteur en scène.

Confier l'oeuvre au Polonais, grand pourfendeur du pouvoir religieux, offrait l'assurance d'une vision iconoclaste.

Pour Krzysztof Warlikowski, le livret du cardinal Pamphili est un "scandale", "une pure oeuvre dogmatique au même titre que des créations de l'époque stalinienne": l'oratorio à visée morale, créé à Rome en 1707, met en scène quatre personnages allégoriques, Beauté, Plaisir, Temps et Désillusion, les deux derniers s'efforçant de détourner Beauté de Plaisir en lui faisant prendre conscience de sa finitude.

Sur scène, des gradins installés face aux spectateurs accueillent la jeunesse d'aujourd'hui, habillée pour sortir en discothèque, tandis que le couple formé par Temps et Désillusion, assis devant une machine à écrire tels de modernes inquisiteurs, surveillent leurs ébats.

Dans un long couloir de verre transparent, un jeune éphèbe danse avec un naturel confondant, preuve que la musique baroque n'a jamais été plus vivante.

Au fil du spectacle, Beauté doute, s'inquiète, vacille sous les coups de boutoir du discours moralisateur de Temps et Désillusion. Sabine Devieilhe se montre d'autant plus émouvante dans ce rôle d'adolescente fragile qu'elle arbore un joli ventre rond, annonciateur d'une prochaine naissance.

La mise en scène, d'une cohérence remarquable, plante au deuxième acte le décor d'un sinistre repas familial, où les deux "salles gosses", Beauté et Temps, subissent la tyrannie de leurs censeurs.

Jamais la mise en scène n'est prise en défaut par rapport à la musique, où le jeune Haendel de 22 ans semble avoir pris un malin plaisir à affubler Temps et Désillusion des airs les plus funèbres, réservant la légèreté aux deux jeunes interprètes de Beauté et Plaisir.

Beauté finit bien sûr par renoncer aux plaisirs terrestres dans le livret moralisateur du cardinal Benedetto Pamphili. Warlikowski orchestre sa mort lente, poignets tailladés et larmes de sang dignes d'un Christ en croix.


           

Nouveau commentaire :

Actus | Economie | Cultures | Médias | Magazine | Divertissement