Tahar Ben Jelloun : le printemps arabe, un "mur de Berlin qui tombe"


Mardi 24 Mai 2011 - 16:34
AFP


Paris - Le printemps arabe, c'est "un immense mur de Berlin qui tombe", estime dans une interview à l'AFP l'écrivain franco-marocain Tahar Ben Jelloun qui revient à chaud sur le déclenchement des révolutions en marche dans une fiction dédiée à Mohamed Bouazizi et un essai.


Tahar Ben Jelloun
Tahar Ben Jelloun
La fiction titrée "Par le feu", qui rend hommage au jeune Tunisien dont l'immolation le 17 décembre a déclenché les révolutions dans son pays et le monde arabe, et l'essai intitulé "L'étincelle". Révolte dans les pays arabes", paraîtront le 6 juin chez Gallimard.

"Ces ouvrages ont été écrits à chaud, face à ce mouvement historique, cet immense mur de Berlin qui tombe et a eu un effet libérateur un peu partout dans le monde. Dans les autres pays arabes bien sûr, mais on le voit aussi aujourd'hui en Espagne" en proie à une rébellion sociale inédite, a-t-il expliqué lors d'un entretien téléphonique"Le printemps arabe a libéré les volontés. Si les Arabes ont fait ça, on peut le faire... ", poursuit-il estimant que les pays européens doivent s'attendre "à ce que leur jeunesse délaissée (...) trouve dans le vent de liberté arabe un appel à se soulever". "Mépris et racisme finissent toujours par être contre-productifs", écrit l'auteur, journaliste et poète, né en 1944 à Fès.

Dans "Par le feu", fiction réaliste et poétique, Tahar Ben Jelloun reconstitue les jours qui ont précédé la mort de Mohamed Bouazizi, ce jeune marchand de Sidi Bouzid (centre de la Tunisie) qui s'était immolé par le feu excédé par des humiliations policières répétées.

Son geste, symbole du désespoir de la jeunesse tunisienne, a marqué le début d'un mois de manifestations qui ont fini par chasser du pouvoir le président Zine El Abidine Ben Ali le 14 janvier.

"Ce récit-là est une oeuvre littéraire. La littérature peut avoir un impact très important. Les gens peuvent s'identifier, ils sont touchés par cette histoire humaine et par les mots", relève M. Ben Jelloun. "Les suicides des gens stressés par leur travail en France, cela passe aussi par la même désespérance", estime l'auteur.

Les événements en Tunisie ont été suivis par des mouvements de protestations dans plusieurs pays arabes dont l'Egypte, où le dirigeant Hosni Moubarak a lui aussi dû quitter le pouvoir le 11 février, la Libye où une insurrection commencée mi-février s'est transformée en guerre, ou en Syrie où depuis mi-mars la population est réprimée quasiment à huis clos.

Dans son essai, qui sera publié simultanément en France, en Italie et en Allemagne, l'écrivain souligne la singularité de chaque pays arabe et examine au cas par cas la situation de chacun d'eux, tout en se mettant "dans la tête" de Moubarak ou Ben Ali.

"Si personne ne pouvait prévoir ces événements, on pouvait en voir bien des signes avant-coureurs dans le monde arabe. Ce printemps signe aussi la défaite de l'islamisme", affirme-t-il. "Et la nouvelle génération a ceci de particulier: elle n'a pas peur !"

"Le printemps arabe a déclenché un immense espoir et une grande impatience.

En Tunisie et en Egypte, il y a des difficultés, tout ne peut pas se régler du jour au lendemain. Il y a encore beaucoup à faire pour instaurer la démocratie. Déjà, il faut ramener l'argent détourné par Ben Ali ou Moubarak", dit-il.

"En Libye, c'est un scénario bloqué, cela ne s'arrêtera qu'avec la mort d'un individu ou sa fuite... L'intervention (de la coalition internationale) était nécessaire mais elle est arrivée un peu tard", note l'écrivain.

"En Syrie, c'est encore différent, c'est un système du type ancienne Europe de l'Est, les militaires ne bougeront pas. Jusqu'au jour où un officier supérieur dira +basta+. L'Europe n'interviendra pas, le contexte de la région est trop compliqué. En attendant, c'est le peuple syrien qui paye".

"Ce que je demande à l'Europe, c'est d'être plus attentive au Sud économiquement et politiquement. C'est la meilleure façon de limiter l'immigration clandestine, mieux que la répression".


           

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