Tunisie/Nessma TV: reprise sous surveillance d'un procès test pour la démocratie


Jeudi 19 Avril 2012 - 14:20
AFP


Tunis - Le procès du directeur de la chaîne privée tunisienne Nessma TV poursuivi pour "atteinte aux valeurs du sacré" après la diffusion du film Persepolis, a repris jeudi sous haute surveillance au milieu de manifestations anti-Nessma et pro-libertés près du Palais de justice à Tunis.


Nabil Karoui
Nabil Karoui
Nabil Karoui, est poursuivi pour "atteinte aux valeurs du sacré, atteintes aux bonnes moeurs et troubles à l'ordre public".

Il est accusé d'avoir diffusé le film franco-iranien Persepolis, jugé blasphématoire, en octobre 2011, quinze jours avant la première élection post-Ben Ali gagnée par le parti islamiste Ennahda, qui dirige depuis le gouvernement.

L'affaire avait déchaîné les passions et suscité une vague de violences entre partisans des libertés retrouvées et défenseurs de l'islam. Des extrémistes avaient tenté d'attaquer le siège de la chaîne et d'autres ont mis en place un comité de défense des libertés.

En cause: une scène du film qui décrit le régime iranien de Khomeiny à travers les yeux d'une fillette parlant à Dieu personnifié, la représentation d'Allah étant proscrite par l'islam.

Nabil Karoui s'était "excusé" pour la diffusion de cette scène, sans réussir à faire cesser les poursuites engagées par de nombreux avocats de la partie civile.

"C'est un jour décisif pour la liberté d'expression et de la presse", a déclaré jeudi M. Karoui jeudi à l'AFP. "Le jugement sera historique et aura un effet sur la région", a prédit M. Karoui dont la chaîne diffuse également des programmes pour les téléspectateurs en Algérie et au Maroc.

Ouvert dans le chaos le 16 novembre et reporté deux fois depuis, son procès a de nouveau provoqué des manifestations des pro et anti-Nessma aux abords du palais de Justice, où un important dispositif policier était déployé.

Des journalistes et militants tunisiens avaient été insultés et agressés par des extrémistes lors d'une audience le 23 janvier.

"Dégage! Dégage média de la honte", ont crié jeudi des dizaines de jeunes agitant le drapeau noir des salafistes. "A bas les Rcdistes!" lançaient-ils par haut-parleur en référence aux partisans de l'ex-parti au pouvoir (RCD) dissous après la fuite de l'ex-président Ben Ali envers lequel Nessma était jugée complaisante.

"Ni Amérique, ni Qatar"

En face, des partisans de la chaîne ont entonné l'hymne national. Quelques "dégage!" ont fusé en direction des salafistes. "Médias libres en Tunisie, ni Amérique, ni Qatar", ont-ils scandé dénonçant un appui supposé des Etats-unis et du Qatar aux islamistes au pouvoir en Tunisie.

Amnesty International (AI) a évoqué une affaire qui "met en lumière les attaques contre la liberté d'expression".

"Poursuivre en justice et condamner des personnes parce qu'elles ont exprimé pacifiquement leurs opinions, même si celles-ci peuvent être considérées comme totalement choquantes par certains est totalement inacceptable", a indiqué Hassiba Hadj Sahraoui, responsable d'AI.

La Fédération internationale des droits de l'Homme (FIDH) a mandaté une mission d'observation. "Nous sommes ici pour vérifier et constater que les instruments internationaux sont bien respectés dans ce procès", a dit à l'AFP un membre de la FIDH, Antoine Garapon.

Ce procès "engage un principe fondamental qui est celui de la liberté d'expression et la liberté de la création", a ajouté ce magistrat français.

De nombreux avocats de la défense et de la partie civile poursuivaient jeudi après-midi leurs plaidoiries axées sur les libertés et le sacré.

"Allah n'a mandaté personne pour le défendre", a lancé Me Faouzi Ben Mrad, un avocat de gauche. Ses confrères de la partie civile ont plaidé des limites à la liberté dès lors qu'il s'agit de "sentiments religieux".

Nabil Karoui est passible de trois ans d'emprisonnement.


           

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